Vos guerres ! Nos morts ! “Sir! No Sir!”

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  • Présentation de Guerre de Classe
  • Thèses sur la guerre en Ukraine (ASI)
  • La guerre du capital en Ukraine (Clandestina)
  • Vos guerres – Nos morts (FAO)
  • Postface : Défaitisme révolutionnaire (Guerre de Classe)

Présentation de Guerre de Classe

Nous présentons ici trois textes (que nous avons traduits en français) initialement publiés à l’initiative du groupe de discussion Balkan Anarchists Against War dans le cadre du salon du livre anarchiste des Balkans qui s’est tenu à Ljubljana en Slovénie en juillet 2023 (BAB 2023).

Nous avons plusieurs choses à dire tant au niveau du cadre général dans lequel cette discussion a eu lieu que des textes eux-mêmes.

Tout d’abord, exposons les raisons pour lesquelles nous n’avons pas participer physiquement à ce salon du livre, après avoir entretenu une correspondance avec les organisateurs et en avoir discuté avec plusieurs camarades autour de nous qui se demandaient s’il fallait y aller ou non.

Le principal bémol était la position (ou l’absence de position claire) que les organisateurs du BAB 2023 ont finalement adoptée sur l’attitude du mouvement anarchiste vis-à-vis de la guerre en Ukraine.

La question cruciale qui nous préoccupe tous est le soutien de certains anarchistes, mais aussi d’organisations entières, au camp ukrainien dans la guerre actuelle et l’espace qui pouvait leur être accordé au sein du BAB.

Nous suivons de près la discussion sur le thème du défaitisme révolutionnaire par rapport au soutien d’un camp de la guerre, discussion qui se déroule actuellement dans le mouvement et qui a également touché les organisateurs du salon du livre puisqu’ils y ont programmé un groupe de discussion Balkan Anarchists against War qui a traité de cette question.

Pour nous, comme toute discussion qui n’est pas destinée à être une simple présentation stérile de deux points de vue opposés, la discussion sur l’attitude anarchiste envers la guerre doit être basée sur des postulats partagés, sur des attitudes communes, qui pour nous sont l’antimilitarisme, l’internationalisme et le défaitisme révolutionnaire. En bref, le refus de soutenir l’un ou l’autre des belligérants.

Si le mouvement anarchiste (et plus généralement le mouvement prolétarien qui porte la nécessité d’abolir le capitalisme dans sa totalité) doit discuter de ce qu’il faut faire en cas de guerre, il doit discuter de la façon d’organiser la résistance à la guerre dans une perspective révolutionnaire (actions concrètes aussi bien que positions programmatiques), et non pas quel camp il faudrait soutenir.

Pour nous, donner de l’espace aux bellicistes dans le mouvement anarchiste (dans le camp prolétarien) et dans sa discussion, c’est empêcher cette même discussion sur les questions vitales du prolétariat.

A la même époque des préparatifs du BAB 2023, nous sommes tombés sur une prise de position intéressante provenant de camarades germanophones intitulée Warum wir dieses Jahr nicht auf das ABC-Fest fahren1.

Nous partagions leur point de vue selon lequel des organisations comme Solidarity Collectives et d’autres, « qui veulent applaudir les idées autoritaires des anarchistes (bellicistes), ne devraient pas se voir offrir une plateforme par les anarchistes. Ceux qui, avec des moyens manipulateurs […] s’emploient à entraver les débats et en même temps s’efforcent de mobiliser les anarchistes dans la guerre, à notre avis, ceux-là n’ont pas leur place dans un événement anarchiste. »

Nous étions également d’accord avec eux pour dire que nous devons « nous tenir aux côtés de tous ceux qui sont touchés par la guerre, quel que soit l’État qui occupe le territoire, qu’il s’agisse de l’Ukraine ou de la Russie, ainsi que partout dans le monde, et déclarer notre solidarité avec tous ceux qui luttent avec des intentions libertaires contre le massacre dans l’intérêt des diverses fractions dirigeantes capitalistes, qu’ils soient anarchistes ou non !

Pas de solidarité avec ceux qui veulent se battre pour leur pays, leur « peuple » ou le soi-disant moindre mal démocratique, qu’ils se disent « anarchistes » ou non ! »

A vrai dire, la réponse qui nous fut envoyée à l’époque par les organisateurs du BAB ne nous a pas semblé d’une grande clarté et fut loin de nous convaincre de participer à cet événement. Certaines structures militantes (en Grèce, en Allemagne, en France, en Tchéquie…) nous ont également fait part de leurs doutes et désapprobations. Des camarades « français » nous ont par exemple explicitement dit ceci : « On avait l’idée d’y aller, mais nous nous sommes découragés quand nous avons appris qu’une partie du milieu anarchiste français y allait, façon sortie de classe, ce qui ne promettait rien de bon en termes de qualité de débat. »

Si nous avons attendu plusieurs mois avant de publier ces trois textes, c’est qu’il a d’abord fallu qu’ils alimentent nos discussions, et ensuite nous avons voulu avoir suffisamment d’échos pour nous permettre de nous faire une opinion réelle sur ce qui s’est vraiment passé lors du salon du livre et de rédiger en conséquence une importante introduction/présentation afin d’encadrer cette publication.

Néanmoins, la « déclaration finale » que les organisateurs du BAB 2023 ont très rapidement publié sur leur blog était déjà assez éloquente : presque pas un mot sur la guerre en Ukraine et encore moins sur le rejet de toutes les parties belligérantes, sur la nécessité de soutenir le défaitisme révolutionnaire dans les deux camps, etc. Par contre, la « déclaration finale » se vautrait dans des questions connexes à la véritable lutte des classes mais surtout et fondamentalement déconnectées de celle-ci : la prééminence du féminisme, de l’antiracisme, de l’antifascisme, de la lutte contre le patriarcat, de l’intersectionnalité, de la défense de la communauté LGBT, etc. Bref, tout ce qui constitue le plus classique de « l’anarchisme idéologique » moderne : le refus de la lutte contre l’exploitation qui est considéré par les partisans libertaires de la réforme du capital comme du « réductionnisme économique », et par conséquent le refus de la lutte des classes contre le capitalisme (qu’ils soient d’accord ou non, qu’ils en soient conscients ou non), et donc la prééminence de comment s’organiser dans un monde parallèle et en marge de ce qui constitue leurs obsessions emblématiques : la domination et l’oppression…

Ce qui en tous les cas semble évident, c’est le manque de critères démarcatoires clairs quant à l’organisation d’un événement qui ressemble plus à une « réunion de famille » (ici en l’occurrence la famille idéologique anarchiste) qu’à une véritable rencontre internationale où les camarades présents discutent des avancées programmatiques, des ruptures vis-à-vis de tout ce qui (consciemment ou non) participe de la réforme et donc du maintien de la totalité de la dictature capitaliste (en période de « guerre » comme en période de « paix »), de comment s’organiser contre les deux camps bellicistes qui ne font que défendre finalement le même ordre bourgeois, quel que soit la couleur dont il se revêt…

Et pour preuve du manque de critères par rapport à ceux qui sont invités à participer à cet événement, voici ce qu’on s’est contenté de préciser, d’après le témoignage de deux militants « iraniens » présents au salon du livre (témoignage publié en espagnol) : « Un autre point notable était l’insistance des organisateurs à éviter à tout moment des comportements pleins d’animosité [comportamientos animosos] entre personnes ayant des idées différentes, en particulier en ce qui concerne la guerre Russie-Ukraine/OTAN. Le refus de toute propagande en faveur de la guerre figurait parmi les lignes directrices du lieu. »

Conclusion logique et provisoire de ce qui précède : tout le monde était invité, les partisans de l’Ukraine (donc les « pro-guerre ») et ceux qui défendent la seule ligne prolétarienne, c’est-à-dire le défaitisme révolutionnaire et l’internationalisme. Et tout ce « beau monde » (réputé appartenir à la même famille idéologique) était censé discuter en toute harmonie, en évitant « des comportements pleins d’animosité » ! S’il n’était pas question ici de guerre et de massacres, s’il n’était pas question ici d’imposer le renforcement de la paix sociale par l’embrigadement terroriste de notre classe dans un camp bourgeois ou un autre, ce serait à pisser de rire tellement toute cette entente familiale est à gerber !

A tout le moins, et c’est peu dire, bien que les organisateurs du BAB 2023 aient cru faire tout leur possible pour défendre une position internationaliste et défaitiste révolutionnaire (et c’est vrai que d’après les camarades qui y étaient présents, telle était l’ambiance générale lors de l’événement), cela s’est fait sans aucune rigueur, sans aucune logique, sans prendre les mesures adéquates pour réellement empêcher les « anarchistes » défensistes de déverser leur propagande bellicistes : c’est-à-dire en imposant des critères démarcatoires clairs et en n’invitant pas les groupes qui prennent position pour un camp bourgeois contre un autre (ici en l’occurrence, très souvent le camp de l’État ukrainien ou plus rarement celui de l’État russe), qui brandissent le drapeau de l’anti-impérialisme contre un « agresseur » impérialiste (alors que les deux camps sont pleinement impérialistes)…

A tout le moins, et c’est peu dire, les organisateurs du BAB 2023 se sont bercés d’illusions et ont préféré privilégier l’unité de la famille « anarchiste » plutôt que de briser tous ces carcans idéologiques et de favoriser la véritable critique et pratique prolétarienne.

« Salons du livre », « camps d’été », « réunions internationales », « conférences internationales »… qu’ils soient organisés par l’une ou l’autre des familles politiques qui prétendent représenter les intérêts historiques du prolétariat (pour faire simple : l’anarchisme idéologique, d’un côté, et la « gauche communiste », de l’autre), nous nous rendons compte qu’une critique impitoyable de ce qu’on pourrait appeler le « conférentisme » est vraiment plus que nécessaire. Pourquoi et quand les révolutionnaires doivent-ils se rencontrer, quels sont les critères de ces rencontres, comment se démarquer des discussions de salon dont le seul « intérêt » consiste à déblatérer le pseudo « programme politique » de sa petite secte !?

Mais aussi, comment organiser la contradiction au sein de ces événements !? Comment y « participer » sans véritablement se compromettre à y « prendre part » et à cautionner tout ce cirque académique !? Comment organiser les éléments révolutionnaires (mais encore quelque peu confus) qui s’y trouve par manque « d’autre chose », de « quelque chose de sérieux », comment les aider à rompre et à dénoncer ce qui ne peut en aucun cas être un véritable niveau de l’organisation de notre antagonisme de classe… !? Nous espérons revenir très prochainement sur toutes ces questions cruciales…

Maintenant, d’aucuns prétendront qu’avec de telles prises de position, nous n’avons vraiment rien à voir avec « le mouvement anarchiste », comme la Fédération anarchiste tchèque l’affirmait déjà il y a quelques mois à notre sujet : « Il est important de noter que le groupe Třídní válka ne fait pas partie du mouvement anarchiste tchèque, personne ne l’a jamais vu dans les rues, personne n’a jamais entendu dire qu’il organisait une action réelle et on peut se demander s’il a plus d’un membre. » Rappelons notre réponse cinglante à l’époque, réponse non pas envers la FA bien sûr mais à destination des camarades qui nous ont exprimé leur soutien :

« Guerre de Classe se considère comme faisant partie du mouvement pratique et historique du prolétariat et de sa lutte contre la dictature du capital. Un mouvement social révolutionnaire dans lequel la classe exploitée se constitue en classe révolutionnaire, en force mondiale unie dans la lutte contre son ennemi historique, la bourgeoisie, en force qui éliminera toute domination, toute exploitation et tout État. (…) Ajoutons que si nous adhérons à un mouvement révolutionnaire anarchiste ou communiste, nous ne faisons en aucun cas partie de la « famille anarchiste », qui ne repose pas sur un programme révolutionnaire, mais sur divers degrés d’affinités au sein de l’anarchisme en tant qu’idéologie. Nous prenons parti pour l’anarchie contre les « anarchistes » idéologiques qui soutiennent les luttes de libération nationale et donc l’État bourgeois et le capitalisme ! »

Pour nous, ainsi que pour le mouvement communiste historique d’abolition de l’existant actuel, le nom de famille générique de toute cette pléiade de groupes, organisations, structures, partis… qui œuvrent au ravalement de la façade du capitalisme tout en parlant aux ouvriers et en leur nom, c’est « Social-Démocratie », qui se décline sous différents prénoms : anarchisme, marxisme, bolchevisme, proudhonisme, léninisme, trotskisme, stalinisme, titisme, castrisme, guévarisme, ad nauseam… Différentes méthodes d’actions ou moyens sont mis en œuvre afin d’accomplir cette médiocre activité de sabotage de nos luttes : conférentisme, démocratisme, confédéralisme démocratique, démocratie ouvrière ou directe, auto-gestionnisme, conseillisme, anarcho-syndicalisme, trade-unionisme, syndicalisme révolutionnaire, syndicalisme de base, national-libérationisme, national-social-libérationisme, ad nauseam… Tous et toutes seront balayés par les impulsions dévastatrices de la guerre de classe et renvoyé(e)s dans les poubelles de l’histoire.

Venons-en à présent aux textes eux-mêmes qui proviennent comme nous le disions au début de cette présentation de la mouvance « anarchiste ». Et même deux de ces textes émanent de sections locales de structurations « anarchistes » internationales pour lesquelles nous n’avons pas à priori d’énormes sympathies, tant celles-ci représentent historiquement ce que nous dénonçons plus haut comme « l’anarchisme idéologique » ou « la famille anarchiste », qui ont toujours constitué des freins aux ruptures programmatiques du prolétariat vis-à-vis de la social-démocratie et de l’ordre capitaliste. Ces deux organisations sont d’une part, l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), de tendance anarcho-syndicaliste, et d’autre part, l’Internationale des Fédérations Anarchistes (IFA)…

Néanmoins, si nous avons voulu extraire ces textes de leur gaine et de leur carcan idéologique, et les ramener au sein de notre communauté de lutte prolétarienne qui se fout des familles idéologiques et de leur structuration formelle, c’est pour précisément faire ressortir toute la richesse de la discussion qui traverse le milieu révolutionnaire anarchiste (et d’autres milieux militants également !) contre la guerre en Ukraine. Car au-delà de plusieurs affirmations qui ne rompent pas (ou que trop peu !) avec des idéologies comme celle du « moindre mal » qui serait à défendre, ces textes se situent globalement dans notre camp, celui de la révolution mondiale.

Le premier texte, « Thèses sur la guerre en Ukraine », contribution de l’Initiative anarcho-syndicaliste (ASI-AIT) de Serbie, est de facture plutôt classique. Un paragraphe et donc une argumentation nous a en fait interpellé, c’est celui-ci :

« Bien que de nombreux camarades estiment qu’il est important pour nous de dire que nous sommes contre les deux camps dans cette guerre, ce qui est indubitablement vrai, nous devons nous rappeler que nous ne sommes pas des prédicateurs mais des révolutionnaires, et que ce n’est pas ce que nous disons qui compte, mais ce que nous faisons. Par conséquent, en dehors de la proclamation abstraite que nous nous opposons aux deux camps dans cette guerre, nous devons concentrer nos activités pratiques sur quelque chose qui n’est pas seulement politiquement juste mais aussi la seule chose physiquement possible – lutter contre notre classe dirigeante, ses armées et son bellicisme. »

Cette prise de position a fait polémique dans le milieu anarcho-syndicaliste puisque des militants de la CNT française nous ont écrit ceci : « C’est un document intéressant et auquel nous souscrivons largement mais il présente quand même quelques lacunes importantes – comme tout le mouvement anti-guerre dont vous avez publié une compilation récemment : si le mouvement analyse très longuement la nature du gouvernement ukrainien, il ne dit rien (ou presque) de la nature du régime de la Fédération de Russie. Cela manque d’équilibre à notre sens et cela peut donner à croire que nos critiques sont plus contre un camp que contre l’autre (même si nous savons que ce n’est pas vrai). La théorie de « l’ennemi principal » telle qu’elle est énoncée dans ce texte (et dans de nombreux textes que vous partagez) nous semble complètement erroné. Cette théorie de « l’ennemi principal » nous amène de fait à prendre parti pour l’un ou l’autre des belligérants, elle est une réponse en miroir et donc identique même si inversée à ceux qui disent que l’ennemi principal est la Fédération de Russie. Nous devons au contraire marteler et répéter que l’ennemi principal sont le capitalisme et le nationalisme, qu’ils sévissent de la même façon des deux côtés du front et que nous devons les combattre partout, tout le temps. »

En réponse à une telle compréhension des choses, nous devons insister sur le fait que nous devons nous organiser directement au-delà des « lignes ennemies ». Ne pas le faire reviendrait à sacrifier les camarades du « camp ennemi » à la répression de l’État capitaliste, à les laisser crever sur le front, à abandonner leur lutte contre « leur propre » bourgeoisie et à les pousser à accepter l’interclassisme de la « paix sociale », qui ne peut que profiter à la bourgeoisie. Dans la déclaration de la CNT, nous pouvons voir la tendance à sacrifier le prolétariat dans le « camp ennemi » et sa lutte contre « leurs propres » structures bourgeoises. La même approche apparaît également dans le cas du courant propalestinien dans le récent mouvement contre la guerre Israël/Palestine, mais elle existe également dans de nombreuses expressions « anti-OTAN » ou « anti-impérialisme occidental » du mouvement contre la guerre en Ukraine.

Les camarades de pays comme la Serbie ou la Turquie, qui sont « à cheval » sur deux camps dans les récents conflits capitalistes, devraient assumer le rôle de liens militants facilitant l’organisation internationaliste des militants vivant dans les camps opposés du conflit bourgeois. Dans le cas particulier de la Serbie, nous comprenons et faisons confiance à l’analyse des camarades, qui fournissent la preuve que la Serbie tombe progressivement dans le « camp de l’OTAN » et que l’organisation de la lutte contre les efforts militaires du « camp de l’OTAN » en Serbie est le plus important. Mais en même temps, les efforts militaristes concrets de l’État russe sur le territoire de la Serbie – comme les centres de recrutement des mercenaires de Wagner, les livraisons d’armes et de matériel militaire à la Russie, etc. ne peuvent pas être ignorés – bien au contraire ils doivent être dénoncés, combattus, sabotés et attaqués !

Afin de mieux expliciter la position courageuse de l’ASI, ci-dessus critiquée par leurs collègues anarcho-syndicalistes français, citons maintenant le Groupe Communiste Internationaliste (GCI) qui affirmait ainsi que l’ennemi c’est notre propre bourgeoisie :

« Dans de telles circonstances, se déclarer contre la guerre et la bourgeoisie en général, sans mener une action concrète contre l’augmentation de l’exploitation que toute guerre génère, n’est qu’une simple formule de propagande et non une direction révolutionnaire pour l’action. En effet, la guerre bourgeoise se concrétise avant tout par la guerre d’un Etat contre « son » prolétariat, c’est-à-dire contre le prolétariat de ce pays, pour le broyer, pour liquider les minorités révolutionnaires et l’entraîner progressivement dans la guerre bourgeoise. C’est dire s’il devient indispensable, inéluctable, incontournable d’assumer le fait que « l’ennemi est dans notre propre pays », que c’est « notre propre bourgeoisie », « notre propre Etat ». C’est dans la lutte pour provoquer la défaite de « sa propre » bourgeoisie, de « son propre » Etat que le prolétariat assume réellement la solidarité internationaliste avec la révolution mondiale. Ou, pour le dire d’un point de vue plus global, la révolution mondiale constitue précisément la généralisation du défaitisme révolutionnaire du prolétariat mondial. »

Et le GCI de continuer :

« Historiquement, les révolutionnaires se distinguent également des centristes par leur appel à l’organisation indépendante des soldats contre les officiers, par la direction qu’ils donnent à l’action concrète de sabotage de l’armée, par la consigne de tirer contre « ses propres officiers » (et par leur lutte énergique pour qu’elle soit mise en pratique), par le fait de retourner les fusils tournés vers « l’ennemi extérieur » pour le pointer sur les « officiers » de la patrie.

En effet, l’expérience de la guerre et de la révolution et, en particulier, l’expérience concrète de ce qu’on a appelé la « Première » Guerre mondiale a permis de clarifier que la consigne de lutte révolutionnaire contre la guerre bourgeoise est totalement insuffisante et pratiquement centriste si elle n’est pas accompagnée de sa concrétisation pratique, c’est-à-dire de la lutte ouverte contre « sa propre » bourgeoise, pour la défaite de « son propre » Etat. »

Et enfin, voici ce que le GCI déclare contre tous les pacifistes et pleurnichards :

« Pendant ladite Première Guerre mondiale, le centre de la Deuxième Internationale (par opposition à sa droite qui se déclara pour « la défense de la patrie ») affirma opposer la révolution à la guerre et lança des consignes aussi radicales que « guerre à la guerre ». Mais, dans le même temps, il s’opposa aux consignes défaitistes révolutionnaires parce que, disait-il, (tout comme les généraux de l’armée !) cela bénéficiait à l’ennemi national, et finit donc par proposer des consignes comme « ni victoire, ni défaite ». »2

Maintenant, sans vouloir enfoncer le dernier clou du cercueil de l’anarcho-syndicalisme, rappelons tout de même ses « heures de gloire » et sa totale « faillite » en des temps qui précédèrent le déclenchement des deux grandes orgies sanguinaires qui embrasèrent le monde de la valeur durant le vingtième siècle.

Rappelons qu’à l’été 1914, elles furent légions « les organisations de la classe ouvrière », qui se déclaraient ouvertement anti-guerre (mais sans « se mouiller » jusqu’à défendre la défaite de sa propre bourgeoisie), à retourner leurs vestes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Rappelons l’exemple du militant « socialiste révolutionnaire » français Gustave Hervé, qui écrivait dans le journal « La Guerre Sociale » qu’il fallait « planter le drapeau national dans un tas de fumier », et qui va très rapidement se rallier à la défense de « la patrie en danger ». Rappelons également l’exemple de ce fleuron de l’anarcho-syndicalisme international que représentait à l’époque la CGT française, qui après des années de propagande antimilitariste, rejoindra en rangs serrés les partisans de la guerre et de l’union sacrée, permettant ainsi la faisabilité de la mobilisation générale, ou du moins favorisant son déroulement sans trop de problème. Les seuls en France à avoir tenté de faire quelque chose contre les préparatifs guerriers, contre leur propre bourgeoisie, contre leurs propres exploiteurs, étaient de véritables militants anarchistes qui avaient déjà rompu depuis longtemps avec la CGT et l’anarcho-syndicalisme, cette dernière finissant dans les bras de la collaboration avec l’État français.

Et rappelons enfin comment l’anarcho-syndicalisme espagnol finira par prendre position pour un camp bourgeois (celui de la gauche, de la République et de l’antifascisme) dans la guerre « civile » qui l’opposait à l’autre camp bourgeois (celui de la droite cléricale et des militaires dirigés par Franco). C’est grâce au « soutien critique » de la CNT que le Front populaire a remporté la victoire aux élections, et a ainsi pu développer une politique républicaine antifasciste qui s’opposera pratiquement aux velléités du prolétariat dans sa lutte pour la révolution sociale.

Cette guerre « civile » se révélera être en définitive l’échappatoire vers lequel on a aiguillé le prolétariat pour lui faire quitter son véritable terrain de classe sur lequel il s’affrontait depuis des années en Espagne à ses propres exploiteurs. Alors que les batailles sanglantes qui se déroulèrent durant ladite « Guerre d’Espagne » ne furent jamais que les préparatifs pour enrôler le prolétariat sur les futurs charniers de la deuxième guerre mondiale (au nom de la polarisation bourgeoise fascisme/antifascisme), il est clair que le rôle tenu par la CNT espagnole et par l’anarchisme idéologique international fut de désarmer notre classe, le désarmer « politiquement », « socialement », programmatiquement, et le faire chavirer du terrain de la défense de ses intérêts de classe immédiats et historiques vers le terrain de la défense d’une alternative bourgeoise contre une autre. En cela, la CNT participa directement à l’embrigadement du prolétariat dans la guerre bourgeoise et n’a donc jamais défendu le véritable défaitisme révolutionnaire et l’internationalisme… Encore une fois, la révolution sera sacrifiée sur l’autel de la défense d’un quelconque camp bourgeois considéré comme un « moindre mal »…

Après cette longue digression sur l’anarcho-syndicalisme, venons-en maintenant au deuxième texte « La guerre du capital en Ukraine », contribution du groupe Clandestina de Grèce.

Nous sommes évidemment d’accord avec leur critique du nationalisme et de l’anti-impérialisme, mais d’un autre côté, nous discernons des éléments contradictoires dans les positions suivantes : le soutien à « l’expérience du Rojava » et la différenciation faite entre les YPG et la « défense territoriale » ukrainienne, l’assimilation de « l’internationalisme » au « soutien au droit à l’autodétermination du peuple macédonien slave dans les années 1930 » par le « Parti communiste grec » (une position qui était en fait basée sur l’alignement sur les politiques du Komintern stalinien) et l’évaluation positive de l’anticolonialisme et du « mouvement altermondialiste ».

A propos de ladite « Révolution du Rojava », rappelons tout de même que nous avons déjà publié un bulletin entier traitant de cette question (bulletin n°13 – été 2021), et nous ne comptons pas la développer ici plus avant. Au Rojava comme en Ukraine, ce sont les mêmes « incompréhensions » de la matière sociale, de ce qu’est fondamentalement le capitalisme en tant que rapport social, de ce qu’est son État et ses différents niveaux de structuration, qui font tomber dans le piège d’un soutien à une quelconque « expérience » des militants qui se revendiquent ouvertement de la révolution sociale. Pour paraphraser Marx, disons simplement que ce qui importe, ce n’est pas ce qu’on pense de soi, ce qu’on prétend être, mais ce qu’on fait réellement, pratiquement. Ainsi donc, tous ces défenseurs du Rojava ou de l’Ukraine, dans la situation particulière de chacun de ces deux conflits, sont et resteront, tant qu’ils ne rompront pas avec leur pratique de soutien à un éternel « moindre mal », rien d’autres que des supplétifs obéissant aux ordres des états-majors respectifs, bref dans les deux cas des « brigades anarchistes de l’OTAN »…

Et maintenant, en ce qui concerne le troisième texte, « Vos guerres – Nos morts », contribution de la Fédération pour l’organisation anarchiste FAO-IFA de Slovénie et Croatie, voici les quelques commentaires que nous voulons mettre en avant.

Comme pour le texte précédent, il y a des affirmations très fortes, mais mélangées à leur contraire ! Soulignons d’abord quelques-unes de ces affirmations très fortes :

« Malgré l’importance des facteurs locaux, la guerre en Ukraine ne repose pas sur un conflit politique local. C’est plutôt l’Ukraine, sa population, son environnement, ses ressources, ses villes et ses champs qui ont été choisis comme terrain d’affrontement militaire entre deux puissants centres capitalistes. D’un point de vue géopolitique, le cœur du problème n’est donc pas la Russie contre l’Ukraine, et certainement pas les Russes contre les Ukrainiens. Il s’agit d’une bataille entre des centres de pouvoirs économiques et politiques qui s’alignent sur deux modèles concurrents du système politique mondial et qui disposent d’outils militaires et autres pour faire valoir leurs revendications respectives. Malgré les nombreuses différences entre leurs modèles économiques et politiques, les deux modèles sont ancrés dans le capitalisme, le militarisme, le nationalisme et donc la nécessité d’une exploitation et d’une destruction à grande échelle. La guerre en Ukraine n’est donc pas une guerre entre les gens, mais une guerre entre de grands systèmes de domination capitaliste. Dans cette guerre, les gens ne font que mourir. »

Et peut-être maintenant la partie la plus dialectique du texte :

« Tant que le capitalisme en tant que système mondial ne sera pas démantelé, les États resteront le mécanisme par lequel une infime minorité impose un régime autoritaire sur le monde d’une manière qui nécessite la guerre pour se reproduire. On peut donc affirmer à nouveau que le capitalisme, c’est la guerre. (…)

Pour nous, l’ennemi dans cette guerre est la guerre elle-même. Pour nous, les États, qui ont besoin de la guerre pour s’imposer aux populations, sont l’ennemi. Pour nous, l’ennemi est le capitalisme qui a besoin d’États et de guerres pour perpétuer son emprise sur le monde. Pour nous, c’est le cœur de l’analyse et de la politique anarchiste. Sans elles, l’anarchisme en tant que position et pratique politique claire et spécifique n’a aucun sens pratique ou théorique. »

Abordons maintenant ce que nous n’avons absolument pas apprécié : leurs positions sur les mythes yougoslaves de l’État ouvrier sous le joug de Tito, etc. sont très problématiques et nous avons complètement supprimé ces paragraphes de cette brochure.

En décembre 2012, alors qu’une vague de lutte très brève mais très radicale avait embrasé la Slovénie, nous avions pris contact avec des anarchistes de la région et nous avions échangé quelques arguments à propos de ces événements. Il était ressorti à l’époque de cette discussion, et d’une manière générale d’ailleurs, que les anarchistes ne sont pas vraiment « fans » du concept de dictature du prolétariat, qu’ils attribuent à tort à la tendance léniniste et bolchevique au sein du mouvement de la classe ouvrière. L’expérience de notre classe montre clairement que la dictature du prolétariat n’a jamais existé nulle part dans le monde et dans l’histoire. La soi-disant « dictature du prolétariat » qui a sévit en Russie, en Chine, à Cuba, en Yougoslavie n’était purement et simplement rien d’autre qu’une forme de la dictature capitaliste sur le prolétariat, et pire encore, au nom du « communisme » et/ou du socialisme qui n’a jamais existé en réalité, sauf en tant que tendance dans nos luttes de classe et nos insurrections…

Ainsi, dans le texte des camarades, nous trouvons la position développée envers le régime yougoslave de Tito très étrange car même si le texte ne revendique pas ce régime « socialiste » (ce qui serait fou pour des anarchistes qui sont censés vomir sur tous les États), il en considère néanmoins certains aspects comme sympathiques et populaires… Aleksander Simic (de l’ex-groupe de classe Torpedo en Serbie) a expliqué très clairement dans son texte « Le mouvement ouvrier en Serbie et ex-Yougoslavie » que la « dictature du prolétariat » en Yougoslavie était en fait une dictature du parti, et nous dirions même une dictature de leur parti, celui des bolcheviks, des léninistes, des staliniens, des titistes, etc. ad nauseam, ces sociaux-démocrates d’extrême gauche (et capitalistes) !!!

Mais pour en revenir à la vraie et authentique dictature du prolétariat, celle-ci n’est rien d’autre que la façon dont notre classe s’organise pour imposer ses besoins humains à la classe des capitalistes : c’est-à-dire l’insurrection, l’expropriation des expropriateurs, l’abolition de l’exploitation, de la propriété privée, de l’État, de la police, de l’armée, du gouvernement, de la religion, de l’argent, des guerres… et donc aussi de l’oppression et de la domination !!!

Si maintenant l’expression dictature du prolétariat ne satisfait pas les anarchistes (et nous pouvons assez bien le comprendre), et afin de ne pas rester sur ce terrain linguistique formel, on est bien sûr libre de trouver d’autres mots mais surtout en gardant intact le contenu réel et authentique de ce processus d’abolition de l’ordre ancien !!!

Cela étant dit, nous vous souhaitons une bonne lecture de cette brochure…

Thèses sur la guerre en Ukraine

Contribution de l’Initiative anarcho-syndicaliste ASI-AIT (Serbie)3

Sur la guerre et l’antimilitarisme

La guerre a toujours été l’un des attributs essentiels de tous les systèmes autoritaires au cours de l’histoire, tout comme elle est aujourd’hui l’une des principales caractéristiques du système capitaliste mondial à un stade avancé que nous subissons.

Comme tous les révolutionnaires ont été conscients que la guerre c’est la santé de l’État, et un outil important de la classe dirigeante pour le maintien de son pouvoir, l’antimilitarisme est à juste titre considéré comme l’un des principes anarchistes de base. Principe qui a conduit à la répression, à la souffrance, à l’emprisonnement et à la persécution de beaucoup de nos camarades au cours de l’histoire de notre mouvement. Nous ne devrions jamais l’oublier.

Sur les expériences récentes de la guerre (oubliée ?) dans les Balkans

Certains d’entre nous, anarchistes de l’ex-Yougoslavie dans la péninsule balkanique, qui ont la malchance d’avoir vécu les guerres yougoslaves des années 1990 et de s’en souvenir, ont été les témoins directs de la guerre civile, de l’effusion de sang nationaliste, de l’agression impérialiste, des sanctions, du mouvement anti-guerre, de la révolution colorée, de la transition brutale vers le capitalisme néolibéral, de l’appauvrissement massif de la classe ouvrière, du retour aux traditions et de l’abaissement général du niveau de développement dans nos sociétés et dans l’ensemble de l’Europe de l’Est. C’est la raison pour laquelle les déclarations des politiciens de l’OTAN qui parlent de la guerre ukrainienne comme d’une « première guerre en Europe après la Seconde Guerre mondiale », qui sont basées sur leur aveuglement historique causé par le chauvinisme occidental, sont absolument criminelles et fausses.

Nous, anarchistes de la République de Serbie, avons notamment fait l’expérience de la guerre par procuration pendant la guerre civile yougoslave. Slobodan Milošević, dirigeant de la Serbie (République fédérale de Yougoslavie), qui ne participait pas officiellement à la guerre en Bosnie et en Croatie, a armé, entraîné, organisé et dirigé les forces serbes dans ces pays.

Toute cette expérience nous donne un aperçu important de la nature de la guerre ukrainienne, qui pourrait échapper à certains de nos camarades occidentaux. Nous considérons donc qu’il est de notre devoir d’attirer l’attention des camarades sur certains de ces éléments que nous jugeons importants pour une interprétation correcte de la guerre inter-impérialiste actuelle entre l’OTAN et la Russie, qui fait rage en Ukraine.

Sur la nature de l’État ukrainien

Toutes les forces de police et les armées professionnelles du monde ont tendance à attirer dans leurs rangs des personnalités très autoritaires. Cet environnement est idéal pour que les fascistes et les partisans de la droite prospèrent. Cependant, la présence massive de fascistes dans ces structures étatiques, comme elle est omniprésente, ne définit pas un État comme fasciste ou nazi. Pour une analyse scientifique sérieuse de la situation, ce qui a toujours été l’objectif proclamé de l’idéologie anarchiste, nous devons faire la distinction entre les sympathies politiques des individus et les éléments /structurels/ de l’État qui affectent la nature de l’État que nous analysons. Tous les horribles systèmes capitalistes ne sont pas fascistes, et pour pouvoir maintenir le sérieux de nos analyses, nous devons être capables de distinguer clairement ce dont nous parlons.

L’État ukrainien, après le coup d’État de 2014, est devenu un État nazifié. Lorsque nous disons que l’Ukraine est un État nazifié, nous ne parlons pas du fait que les nazis y sont une force politique dominante, comme en témoignent les dernières élections parlementaires au cours desquelles les nazis déclarés n’ont obtenu que des gains relativement faibles. Nous parlons d’éléments /structurels/ qui qualifient l’Ukraine pour ce faire. Nous parlons de bataillons ouvertement néo-nazis de l’armée ukrainienne, tels qu’Azov, Aïdar et d’autres, nous parlons du contrat officiel signé entre la ville de Kiev et l’organisation néo-nazie C14, nous parlons de la réhabilitation en masse et de la réaffirmation publique des criminels de guerre et des collaborateurs nazis de la Seconde Guerre mondiale, tels que Bandera, etc. Si la réhabilitation des nazis de la Seconde Guerre mondiale ne se limite pas à l’Ukraine, mais est répandue dans la plupart des pays d’Europe de l’Est après la chute du communisme d’État, en particulier dans les États baltes, mais aussi dans d’autres pays, elle n’a nulle part pris la forme d’une adjonction structurelle, comme en Ukraine.

Le fait que l’Ukraine soit un État nazifié (encore une fois, pas un État nazi) n’implique en aucun cas un soutien à la Russie, pas plus qu’il ne soutient le mensonge de l’État russe selon lequel il mène la guerre dans l’intention de « dénazifier » l’Ukraine. La classe dirigeante russe, qui mène la guerre pour ses propres raisons hégémoniques, ne fait qu’utiliser dans sa propagande quelque chose de vrai à propos de l’Ukraine, et nous ne devrions pas éviter de dire la vérité simplement parce que certains de nos ennemis en parlent également.

Sur la nature de la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine est une guerre inter-impérialiste par procuration menée par l’OTAN et la Russie, aux dépens de la population ukrainienne.

La Russie est une puissance qui, même si elle ne remplit peut-être pas toutes les conditions requises pour être qualifiée scientifiquement d’État impérialiste, joue un rôle de puissance impérialiste dans ce conflit. Elle est dirigée par une clique impitoyable, très conservatrice et hégémonique qui entend s’imposer par la force comme l’un des principaux acteurs de ce monde capitaliste impitoyable.

Biden et von der Leyen sont les Slobodan Milošević du XXIe siècle, qui dirigent le camp de l’OTAN dans cette guerre, armant l’une des armées et organisant tout pour ce camp dans le conflit. La tendance de l’OTAN à s’étendre et à encercler la Russie est, sans aucun doute, l’une des principales raisons immédiates de ce conflit.

Si l’on se place dans le contexte historique et que l’on comprend que l’UE est largement ramenée à une position de marionnette des États-Unis dans les relations internationales, cette guerre peut être considérée comme la troisième tentative de l’impérialisme allemand en 110 ans pour établir un contrôle sur les ressources stratégiques de la Russie par le biais de la guerre. Avec la rupture des décisions de démilitarisation de l’Allemagne prises lors de la conférence de Potsdam en 1945, cette tendance est très inquiétante et devrait alarmer fortement la classe ouvrière et le mouvement anarchiste en Europe.

La guerre n’est pas seulement menée par des affrontements militaires directs, par le financement, l’armement, l’entraînement, l’organisation et la direction d’armées, mais aussi par l’imposition de sanctions. Comme nous, anarchistes de Serbie, avons vécu pendant les années 1990 sous un régime strict de sanctions, nous avons l’expérience, en plus de la compréhension rationnelle, qui confirme que les sanctions sont une guerre contre la population de l’État sanctionné. Ce n’est jamais la classe dirigeante qui souffre des sanctions : dans le cas de la guerre en Ukraine, ce ne sont pas Poutine et ses acolytes qui auront des difficultés à se procurer les médicaments et autres produits de première nécessité dont ils ont besoin, mais la classe ouvrière ordinaire. C’est pourquoi tous les États qui sanctionnent la Russie participent à cette guerre, en menant la lutte contre la population russe. C’est pourquoi la lutte antimilitariste doit inclure la lutte contre les sanctions.

Comme toutes les guerres, celle-ci a entraîné une montée du nationalisme et du chauvinisme. Dans ce contexte, pour nous, anarchistes des Balkans et d’Europe, il est important de souligner le racisme antirusse qui prévaut dans l’UE, la discrimination des personnes d’origine russe (et biélorusse), le déni de leur droit de se déplacer, d’étudier ou de travailler librement, l’interdiction de la culture russe, etc.

Sur la réponse des anarchistes du monde entier à la guerre en Ukraine

Comme dans le cas de la Première Guerre mondiale, ainsi que l’a noté Malatesta, de nombreux anarchistes ont oublié leurs principes face à une confrontation internationale de cette ampleur. Mais, au moins pour le moment, et alors que le conflit n’a pas encore éclaté, la majorité du mouvement anarchiste /organisé/ parvient encore à maintenir – plus ou moins – des positions antimilitaristes. Il est de la plus haute importance de fortifier cette position en prévision des événements à venir.

Nous devons nous rappeler que notre rôle principal en tant que révolutionnaires anarchistes – et en particulier pendant les conflits armés capitalistes et impérialistes – doit être de lutter contre notre propre classe dirigeante. Nous ne devrions jamais permettre à notre classe dirigeante de nous convaincre que la classe dirigeante qui est l’ennemie de nos propres maîtres devrait être la cible principale de nos activités. Dans le cas de la guerre en Ukraine, cela signifie pour les anarchistes actifs dans les États de l’OTAN ou dans les États contrôlés par l’OTAN, que notre cible principale doit être l’OTAN et son camp.

Bien que de nombreux camarades estiment qu’il est important pour nous de dire que nous sommes contre les deux camps dans cette guerre, ce qui est indubitablement vrai, nous devons nous rappeler que nous ne sommes pas des prédicateurs mais des révolutionnaires, et que ce n’est pas ce que nous disons qui compte, mais ce que nous faisons. Par conséquent, en dehors de la proclamation abstraite que nous nous opposons aux deux camps dans cette guerre, nous devons concentrer nos activités pratiques sur quelque chose qui n’est pas seulement politiquement juste mais aussi la seule chose physiquement possible – lutter contre notre classe dirigeante, ses armées et son bellicisme.

Malheureusement, de nombreux camarades anarchistes occidentaux sont tombés sous l’influence de la propagande de leur classe dirigeante et, certains consciemment et beaucoup inconsciemment, ont commencé à reproduire et à soutenir des positions qui sont objectivement conformes au nationalisme ukrainien, au chauvinisme occidental et au nationalisme impérialiste européen et américain.

Alors que certains camarades occidentaux mal informés pourraient croire à la propagande belliciste concernant le nombre considérable de combattants « anarchistes » et « anti-autoritaires » qui font partie du camp de l’OTAN dans la guerre en Ukraine, nous, qui sommes actifs dans le mouvement anarchiste en Europe de l’Est depuis des décennies, savons pertinemment bien que ces chiffres ne sont que pure fiction et que, jusqu’à la guerre, le mouvement libertaire organisé en Ukraine était assez petit et faible. Dans ce contexte, fournir des armes et d’autres formes de soutien à quelque soldat du front que ce soit n’est rien d’autre que participer à la guerre inter-impérialiste et soutenir l’une des parties belligérantes, ce qui est en totale opposition avec nos principes et nos idéaux. Nous comprenons bien sûr qu’en situation de guerre, rejoindre l’armée peut parfois être le seul moyen de survie, mais nous sommes en désaccord total avec le fait que ces activités puissent être qualifiées d’anti-autoritaires et que leur soutien soit une excuse pour que le mouvement anarchiste s’engage dans cette aventure.

La majorité des camarades non européens adoptent une ligne antimilitariste correcte concernant la guerre en Ukraine, mais dans de nombreux cas, cette position s’explique par la croyance erronée selon laquelle cette guerre est identique à de nombreuses autres guerres récentes et que c’est uniquement en raison de l’eurocentrisme prédominant qu’elle prend autant d’importance à l’échelle mondiale. Bien que l’eurocentrisme soit un problème majeur, lié aux relations structurelles du système capitaliste mondial, il est important de souligner que cette guerre n’est pas comme toutes les autres guerres de ces dernières années. La guerre en Ukraine est une guerre inter-impérialiste par procuration menée par l’OTAN et la Russie, avec un potentiel dangereux et une tendance à l’escalade et au déclenchement d’une troisième guerre mondiale, voire d’une confrontation nucléaire, ce qui n’était pas le cas de guerres telles que la guerre civile yougoslave, les guerres en Irak ou en Afghanistan, etc. D’autre part, la guerre annoncée entre l’OTAN (et AUKUS [note du traducteur : accord de coopération militaire entre l’Australie, le Royaume-Uni et les USA]) et la Chine à Taïwan développe un potentiel similaire à celui de la guerre en Ukraine.

Nous pensons que « Non à la guerre sauf la guerre de classe », une position qui est remise en question (en temps de guerre !) par certains qui se réclament de l’anarchisme, est la seule position acceptable du point de vue de notre idéologie anarchiste, alors que toute autre attitude équivaudrait à du bellicisme et au fait de se mettre au service des puissances impérialistes.

Sur la réponse des anarchistes des Balkans à la guerre en Ukraine

Concrètement, en Serbie : dans la période précédant la guerre, la Serbie affirmait publiquement être militairement neutre en organisant des exercices militaires conjoints avec l’OTAN et la Russie dans un rapport de 10:1 – 10 avec l’OTAN contre 1 avec la Russie. Depuis le début de la guerre, la Serbie a proclamé sa neutralité, qu’elle ne maintient en réalité qu’en n’imposant pas de sanctions à la Russie, mais elle a également proclamé mettre fin à tous les exercices militaires conjoints avec les deux parties. Mais, juste après un an de guerre, la Serbie a repris ses exercices militaires conjoints, maintenant /uniquement/ avec l’OTAN, tandis que les armes et les munitions produites en Serbie sont envoyées en grandes quantités au camp de l’OTAN dans la guerre et que le territoire de la Serbie est utilisé pour le transport d’équipements militaires vers l’Ukraine, toujours au camp de l’OTAN dans ce bain de sang.

L’ensemble des Balkans est une zone d’influence de l’OTAN, la majorité des États qui la composent faisant officiellement partie de l’OTAN, tandis que plusieurs autres États (dont la Serbie) et territoires coloniaux sont sous le contrôle écrasant de l’OTAN. C’est pourquoi notre lutte dans les Balkans contre la guerre doit se concentrer sur la lutte contre l’OTAN et ses armées.

La guerre du capital en Ukraine

9 notes et quelques réflexions4

Contribution de Clandestina (Grèce)5

Quelle a été la guerre la plus meurtrière du 21e siècle ? Beaucoup répondraient la guerre en Ukraine. D’autres diront la guerre en Syrie. D’autres encore mentionneront les guerres en Irak ou en Afghanistan. Quelques lecteurs, plus informés, pourraient citer la guerre au Yémen. En fait, la guerre inconnue d’Éthiopie (le « conflit du Tigré », 2020-2022) est probablement la plus meurtrière du 21e siècle, avec environ 600 000 morts civils, « sans compter les combattants des deux camps, que certaines sources de renseignement militaire évaluent entre 100 000 et 200 000. »6 Pour qu’une guerre fasse la une des journaux, il faut qu’elle implique des personnes auxquelles les citoyens privilégiés de l’Occident peuvent s’identifier, et/ou qu’elle ait une signification politique (un cadre d’importance reconnue) pour le capitalisme mondial.7 La guerre en Ukraine marque une évolution décisive vers un monde bipolaire. Certains anarchistes et gauchistes appellent à soutenir les troupes ukrainiennes contre l’impérialisme russe, d’autres anarchistes et gauchistes rejettent la faute sur l’OTAN, arguant que le renforcement de l’« alliance Russie-Chine » affaiblira le pouvoir de l’impérialisme occidental. De nombreuses personnes dans les pays anciennement connus sous le nom d’« Europe de l’Est » se demandent « s’il faut parler du capitalisme maintenant que nous sommes si proches de la guerre ? », les fascistes tentent de gagner des partisans en se faisant passer pour des « anti-guerre », beaucoup sont perdus dans les analyses géopolitiques et la plupart des gens se sont habitués à cette guerre et ne s’en préoccupent que lorsque, toutes les quelques semaines, la menace d’une guerre nucléaire augmente8. Les médias et les « voix de la raison » nous appellent à soutenir « notre » capitalisme, menacé par la version de Poutine et de Xi Jinping, tandis que dans la périphérie capitaliste, la société militaire privée russe Wagner se présente comme un agent de la lutte anti-impérialiste. Bien que le capitalisme, en tant que système mondial de mort et de destruction, nous attaque de multiples façons, la résistance aux guerres capitalistes est principalement liée à l’anti-impérialisme. Mais « l’impérialisme » en tant que concept crée une confusion sur la nature du capitalisme, tandis que « l’anti-impérialisme » en pratique implique de succomber au pouvoir de l’État et d’accepter le nationalisme comme un « mal nécessaire », un cheval de Troie pour le nationalisme et l’édification de l’État. Si nous ne créons pas rapidement une position claire, une position qui s’étendra globalement au-delà des frontières, avec tout le travail pratique que cela implique, en nous opposant à toutes les fausses options présentées par le « nouveau monde multipolaire en formation », nous finirons par nous retrouver dans un avenir où il n’y aura pas de choix du tout.

Si nous voulons sauver l’avenir, nous devons réparer le passé, c’est-à-dire nous libérer du fardeau des concepts fabriqués du passé – et du présent.

1. L’impérialisme n’est pas le dernier mais le premier stade du capitalisme

Selon une fausse conception très répandue (et qui se prête à la manipulation), l’impérialisme serait relativement récent, consisterait en la colonisation du monde entier et serait le stade suprême du capitalisme. Ce diagnostic indique un remède spécifique : le nationalisme est proposé comme antidote à l’impérialisme ; on dit que les guerres de libération nationale sont censées démembrer l’empire capitaliste.

Ce diagnostic sert un but mais il ne décrit aucun évènement ni aucune situation. On se rapproche de la vérité en renversant cette conception et en disant que l’impérialisme fut le premier stade du capitalisme, que le monde a été colonisé subséquemment par des États-nation et que le nationalisme est le stade dominant, contemporain et espérons-le, ultime, du capitalisme. Les éléments de cette affaire n’ont pas été découverts hier, ils sont aussi courants que la fausse conception qui les nie.

(Fredy Perlman, The Continuing Appeal of Nationalism, 1984)
[en traduction française : « L’appel constant du nationalisme », 20119]

2. Pendant des centaines d’années, la résistance au colonialisme et au capitalisme n’a pas impliqué la création d’États et la construction de nations

Les représentations conventionnelles du prolétariat – une classe ouvrière industrielle européenne, blanche et masculine – ont occulté les premières expériences de solidarité, d’auto-organisation et d’autoémancipation réalisées dans l’Atlantique par l’« hydre aux mille têtes » formée de matelots, pirates et esclaves déportés. Enveloppé dans le smog des usines victoriennes, Marx ne considérait pas ces expériences comme significative ; il n’y voyait sans doute que l’enfance de la révolte, qu’il percevait aussi chez les briseurs de machines du début du XIXe siècle.

(Enzo Traverso, Malinconia di sinistra: Una tradizione nascosta, 2016)
[en traduction française : « Mélancolie de gauche. La force d’une tradition cachée », 2016]

Dans l’histoire moderne du travail, l’intérêt porté à l’artisan/citoyen propriétaire ou au travailleur blanc, masculin, qualifié, salarié, nationaliste, a occulté l’histoire du prolétariat atlantique des XVIIe, XVIIIe et du début du XIXe siècle. Il a empêché d’établir que le prolétariat n’était pas un monstre, qu’il n’était pas une classe culturellement unifiée, qu’il n’était pas une race. Cette classe était anonyme, sans nom. […] Elle était planétaire par ses origines, ses mouvements et sa conscience. Enfin, la classe prolétarienne était autonome, créative ; elle était – elle est – vivante ; elle est en marche.

(Peter Linebaugh et Marcus Rediker, The Many-Headed Hydra. The Hidden History of the Revolutionary Atlantic, 2000)
[en traduction française : « L’hydre aux mille têtes. L’histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire », 2008]

3. En fait, pendant une période encore plus longue, des millions de personnes dans le monde entier ont fui le contrôle et l’oppression de l’État

Depuis deux mille ans, les groupes disparates qui résident aujourd’hui dans la Zomia (une région montagneuse de la taille de l’Europe qui comprend des portions de sept pays asiatiques) fuient les projets des sociétés étatiques organisées qui les entourent – esclavage, conscription, impôts, corvées, épidémies et guerres. James Scott10 redéfinit la création d’un État comme une forme de « colonialisme interne » et raconte l’histoire des peuples de la Zomia du point de vue d’une population sans État par choix : « les peuples des hauteurs doivent plutôt être approchés comme des communautés de fuyards, de fugitifs, de délaissés qui ont, au cours des deux derniers millénaires, tenté de se soustraire aux différentes formes d’oppression que renfermaient les projets de construction étatique à l’œuvre dans les vallées – esclavage, conscription, impôts, corvées, épidémies, guerres. […]

Ce qui fait de la Zomia une région [qui] ne réside donc pas tant dans une unité politique, qui lui fait cruellement défaut, mais dans des formes comparables de divers types d’agriculture collinéenne, dans la dispersion et la mobilité, et dans un égalitarisme brouillon incluant – cela n’est pas accessoire – un statut relativement plus élevé pour les femmes que dans les vallées. »

Nous pouvons trouver des cas similaires dans d’autres parties du monde : Ernest Gellner (Saints of the Atlas, 1969) montre très clairement que la ligne de démarcation entre Arabes et Berbères n’est pas, pour l’essentiel, tribale, civilisationnelle, et encore moins religieuse. Il s’agit plutôt d’une ligne politique qui distingue les sujets d’un État de ceux qui échappent à son contrôle. Pierre Clastres (« La société contre l’État », 1974) avance de façon convaincante que les sociétés amérindiennes dites primitives d’Amérique du Sud n’étaient pas d’anciennes sociétés ayant échoué à inventer une agriculture sédentaire ou des formes étatiques. Au contraire, c’étaient des sociétés de cultivateurs anciennement sédentaires ayant abandonné l’agriculture et des villages fixes en réponse aux effets désastreux de la conquête – effondrement démographique causé par les maladies et travaux forcés imposés par les colonisateurs. Les communautés marrons11 du Brésil, appelées quilombos (Palmares, 1605-1694, la plus grande, comptait peut-être vingt mille habitants), où vivaient non seulement des Africains réduits en esclavage qui s’étaient échappés, mais aussi des peuples indigènes et des colons portugais pauvres ou marginalisés, étaient un autre cas – leur héritage a survécu jusqu’à la fin du 19e et au début du 20e siècle, sous la forme des « bandits sociaux » brésiliens, les cangaceiros.

Dans notre partie du monde, nous avions des populations tribales vivant dans les montagnes des Balkans, souvent complètement indépendantes de la domination ottomane, ou, plus à l’est, les populations vivant encore dans les montagnes kurdes. Toutes ces régions étaient également des lieux de refuge avec un trait caractéristique : « un patchwork d’identités, d’ethnicités et d’alliages culturels d’une complexité stupéfiante » (Scott, 2009). Au début du 20e siècle, l’IWW est la seule organisation transfrontalière du mouvement ouvrier qui conserve l’esprit de ce prolétariat planétaire.

4. L’anti-impérialisme n’est pas un facteur d’émancipation mais une antichambre du nationalisme

Au centre du concept léniniste d’impérialisme on retrouve des vestiges de l’idée de Marx et d’Engels selon laquelle le capitalisme, système ambigu, associe intensification de l’exploitation et possibilités d’émancipation. Mais, vers 1900, ce capitalisme ambigu se transforma en un capitalisme entièrement négatif : ce « capitalisme monopoliste » (caractérisé par le capital financier, une aristocratie ouvrière corrompue et l’impérialisme) devait être combattu et détruit par tous les moyens nécessaires. Cette conception d’un capitalisme entièrement mauvais, par opposition à un capitalisme ambigu, fut complétée par la notion d’un nationalisme mauvais et perverti (l’impérialisme) par opposition aux nationalismes bons et bénins (comme par exemple, le « patriotisme sain », etc.).

La conception léniniste du droit des nations à disposer d’elles-mêmes était historiquement ancrée dans l’idée du XIXe siècle, alors partagée par les libéraux et les démocrates, selon laquelle la construction de la nation dépasserait l’atomisation féodale tardive et créerait, grâce à une société nationale unifiée, les conditions des mouvements d’émancipation.

On décèle certainement un élément d’orientalisme dans l’affirmation léniniste selon laquelle les « peuples d’Orient » auraient besoin de construire des nations au cours d’une première étape nécessaire de l’émancipation, alors que les peuples de « l’Occident » auraient passé ce « stade » et seraient prêts pour la lutte des classes sans être gênés par les questions nationales et ethniques. (La Realpolitik du « socialisme dans un pays » remplaça rapidement cette position antinationaliste géographiquement limitée.)

[Marcel Stoetzler. “Critical Theory and the Critique of Anti-Imperialism”, The SAGE Handbook of Frankfurt School Critical Theory, V3. 2018]
[en traduction française : « Théorie critique et critique de l’anti-impérialisme », 202112]

Pendant la soi-disant guerre froide, « l’anti-impérialisme » a été utilisé pour transformer les populations colonisées du monde entier en États-nations sous le contrôle des partis communistes et des bourgeoisies locales, afin de créer un système mondial, également impérial, centré sur l’URSS (et plus tard sur la Chine également). L’attachement à la machine militaire de l’empire soviétique aurait permis de protéger les nouveaux États-nations du pillage de leurs matières premières par les « impérialistes ». Bien entendu, la « patrie du socialisme » se chargerait de cette « exploitation » des richesses naturelles, tandis que ses alliés régionaux entreprendraient une industrialisation rapide afin d’inverser le « développement inégal » « imposé par l’impérialisme » – une autre description de « l’accumulation primitive », mais pour le « bien du socialisme ».

5. Le nationalisme n’est pas l’ennemi du cosmopolitisme capitaliste, il en est l’instrument

Par leur bravoure, ils [« les citoyens d’Ukraine »] ont montré clairement que les citoyens sont prêts à mourir pour des idéaux libéraux, mais seulement lorsque ces idéaux sont ancrés dans un pays qu’ils peuvent appeler leur pays.

(Francis Fukuyama, A Country of Their Own – Liberalism Needs the Nation, avril 2022)

Bien que la croyance selon laquelle le nationalisme est l’ennemi du capitalisme mondialisé soit largement répandue, elle est loin d’être vraie. Nous pourrions dire que le nationalisme est un ennemi que le capitalisme fait semblant d’affronter, un ennemi que le capitalisme aide activement à se développer, un ennemi choisi. Cet ennemi a une fonction spécifique : En développant la « résistance » populiste de droite, le capitalisme crée un faux adversaire, un adversaire qui unit en divisant et qui encourage les idéologies les plus réactionnaires, que le capitalisme peut utiliser pour discipliner les populations et créer des tensions qui peuvent ensuite être « résolues » par davantage de production d’armes et de guerres. Pas grand-chose à ajouter ici.

6. La nouvelle guerre froide coexiste avec la mondialisation capitaliste

Selon des représentants du gouvernement allemand, la Russie a augmenté d’un tiers ses revenus provenant des exportations de gaz et de pétrole en 2022, principalement grâce aux ventes (directes) à l’Asie et à l’Arabie saoudite, où le pétrole est raffiné pour le marché mondial. Pour l’ensemble de l’année 2022, la Russie a réussi à augmenter ses recettes d’exportation de pétrole de 20%, pour atteindre 218 milliards de dollars, selon les estimations du gouvernement russe et de l’Agence internationale de l’énergie (…) La Russie a également engrangé 138 milliards de dollars grâce au gaz naturel, soit une augmentation de près de 80% par rapport à 2021, les prix record ayant compensé les réductions des flux vers l’Europe.13

Les producteurs de pétrole américains ont engrangé plus de 200 milliards de dollars de bénéfices depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, profitant d’une période de troubles géopolitiques qui a secoué le marché mondial de l’énergie et fait grimper les prix en flèche.14 Puisque nous parlons de « pertes et profits », « avec des promesses supplémentaires de près de 37 milliards d’euros en décembre, les Américains ont affecté un total d’un peu plus de 73,1 milliards d’euros à l’aide à l’Ukraine. Pour l’UE, le chiffre correspondant est de 54,9 milliards d’euros ».15

Autre comparaison, le bilan des pertes et profits des guerres d’Afghanistan et d’Irak : « Avec l’invasion de l’Afghanistan en 2001, le Moyen-Orient est entré dans une longue période de guerre, les prix du pétrole ont augmenté et la part des compagnies pétrolières dans les bénéfices mondiaux est de plus en plus élevée. Au cours de la période de cinq ans allant d’août 2001 à juillet 2006, le revenu net moyen du secteur pétrolier mondial s’est élevé à 108 milliards de dollars par an. Ce chiffre est à comparer à un bénéfice annuel de seulement 34 milliards de dollars pour la période allant d’août 1999 à juillet 2000, soit un bond de 75 milliards de dollars : la guerre coûte 100 milliards de dollars par an et génère 75 milliards de dollars supplémentaires en bénéfices pétroliers annuels. » (Jonathan Nitzan et Shimshon Bichler, Cheap Wars, août 2006)

Un autre exemple de ce à quoi ressemble un nouveau monde bipolaire/multipolaire au sein de la mondialisation capitaliste : Alors que l’État grec livre des véhicules de combat, des armes et des munitions à l’Ukraine16 et facilite le travail des troupes de l’OTAN en leur offrant des bases militaires et des ports, l’importante industrie du transport maritime grecque domine les exportations de combustibles fossiles en provenance de Russie.17

7. La fin du monde bipolaire du 20ème siècle a ouvert de nouveaux territoires au pillage capitaliste, mais a aussi libéré des forces vitales d’émancipation

Lorsque le système des « trois mondes » de l’époque de la guerre froide s’est effondré au début des années 90, le néocolonialisme par le biais de la dette (et de la guerre) s’est intensifié. Dès les années 1980, le FMI et la Banque mondiale ont promu leurs « programmes d’ajustement structurel », les économies non occidentales se sont « ouvertes » et les « investissements directs étrangers » ont décollé. D’autre part, l’effondrement du « bloc de l’Est » et de l’influence mondiale de l’Union soviétique ont conduit à la libération de forces et de mouvements qui, auparavant, n’avaient eu d’autre choix que de rejoindre l’un des deux blocs du « socialisme de caserne » (l’URSS ou la Chine). Les mouvements des « pays du Sud » ont commencé à rencontrer des résistances dans les centres du capitalisme mondialisé, donnant naissance à quelque chose de nouveau et d’essentiel. Le mouvement des agriculteurs en Inde, le mouvement des travailleurs ruraux sans terre au Brésil, le mouvement zapatiste au Mexique, le mouvement piquetero en Argentine, le mouvement des habitants des bidonvilles en Afrique du Sud, etc. ont commencé à rencontrer des squatters, des féministes, des migrants, des travailleurs précaires, etc. dans les pays capitalistes centraux, créant ainsi un réseau horizontal de communication et de lutte contre le capitalisme. Ce global justice movement [mouvement altermondialiste], à un moment donné, avant l’implication des partis sociaux-démocrates et de la gauche « radicale » au Forum social mondial de Porto Alegre, et, plus important encore, jusqu’aux attentats du 11 septembre contre le World Trade Center, ressemblait vraiment au retour du « spectre qui hante » non seulement l’Europe, mais aussi le monde entier.

8. Guerre et capitalisme

La guerre en Ukraine et les nouvelles divisions qu’elle engendre sont bonnes pour l’État et le capital et catastrophiques pour l’humanité et ses perspectives d’émancipation, comme l’ont toujours été les guerres. Dès ses débuts, le capitalisme ne s’est pas fondé uniquement sur le développement des forces productives et la création de plus-value, mais aussi sur le pillage, la destruction et la guerre. « … Selon Marx, la racine du conflit se trouve dans la sphère de la production, l’unité clé de l’économie politique devant être basée sur le travail – le « temps de travail abstrait socialement nécessaire » que les « travailleurs productifs » doivent consacrer, en moyenne, à la production d’un ensemble donné de marchandises (…) [notre approche] est radicalement différente, le capital n’est pas une entité matérielle-économique affectée par le pouvoir. Il est le pouvoir – et rien d’autre que le pouvoir ».18

Le capitalisme, en tant que système de pouvoir mondial en expansion constante, repose sur sa capacité à tout transformer en profit et à créer de la valeur par la production et la destruction (le fétichisme de la marchandise, l’aliénation, la notion situationniste de spectacle, la fabrication du consentement et la cooptation par le biais du consumérisme sont des aspects tout aussi importants de ce processus, en particulier pour les sociétés occidentales, mais ce n’est pas l’objet de cet article).

La guerre discipline les citoyens et les aligne sur les intérêts de la classe dirigeante (« la santé de l’État, c’est la guerre », déclarait Randolph Bourne, 1886-1918). Dans l’analyse géopolitique, il n’y a pas de place pour les mouvements sociaux, et s’il y en a, ce ne sont que des outils aux mains des gouvernements.

Par ailleurs, l’industrie de guerre reste une industrie qui doit vendre ses marchandises, ouvrir de nouveaux marchés, augmenter la consommation et la production, etc.

Lorsque l’on gagne plus d’argent en faisant la guerre qu’en ne la faisant pas, le choix se porte toujours sur la guerre.

En outre, la guerre apparaît comme une nécessité lorsque le capitalisme est confronté à une stagnation chronique et à la saturation des marchés mondiaux. Les cycles de destruction et de reconstruction sont la réponse au besoin de perpétuer l’accumulation face à la stagnation.

La « stagnation » décrit deux problèmes majeurs du capitalisme : l’épuisement des matières premières et l’inflation de la dette. Le capitalisme en tant que système, pour rester en équilibre, doit toujours s’étendre. Après s’être étendu sur toute la planète, il a tenté de s’étendre dans le futur (grâce à l’argent de la dette) et investit maintenant dans la destruction. La plupart des gens ne réalisent pas que les banques peuvent prêter de l’argent qu’elles ne possèdent pas, et que le seul « véritable argent » est celui qui est payé sous forme de dette. Mais cet argent est volé aux générations futures. Et « l’argent de la dette » crée une énorme bulle. Selon le FMI (12 décembre 2022), la dette mondiale, calculée à 247% du produit intérieur brut mondial, est bien supérieure aux niveaux d’avant la pandémie, malgré une forte baisse en 2021. À titre de comparaison, elle représentait environ 195% du PIB en 2007, avant la crise financière mondiale. La dette mondiale a continué d’augmenter en 2022, bien qu’à un rythme beaucoup plus lent, pour atteindre le chiffre record de 235 000 milliards de dollars. De nombreuses personnes pensent également que l’effondrement des banques mettra en péril le capitalisme mondial. Mais les pertes des banques sont toujours payées par les contribuables et de vastes privatisations sont mises en œuvre pour « nous sauver de la crise ».

Tant que les gens continueront à croire en l’économie, les crises seront utilisées au profit du capitalisme.

« La convention sociale de l’argent, telle que nous la connaissons aujourd’hui, repose sur la confiance que lui accorde le public. Et comme l’argent est la base de tout le système financier, la stabilité du système dépend également de la confiance… La monnaie fiduciaire (papier ou monnaie numérique non adossée à des métaux précieux ou à des matières premières, soit la quasi-totalité des monnaies nationales aujourd’hui) est un actif sans valeur intrinsèque… sa valeur provient clairement de la confiance. C’est pourquoi l’émetteur de monnaie est si puissant. »

(The value of trust, discours de A. Carstens, Directeur Général de la BRI, Madrid, Espagne, 6 mars 202319)

L’argent est de toute façon une construction imaginaire, une convention forcée reproduite grâce à la confiance des gens envers l’argent et l’économie en général, ou mieux, à leur incapacité forcée à trouver autre chose.

L’argent produit par la dette nous semble totalement imaginaire, une expression inconcevable de l’irrationalité du système, que nous nous efforçons de rationaliser. L’argent créé sur les lieux de production nous semble plus réel, nous sommes en colère parce que nous ne sommes pas assez payés, parce que d’autres profitent de notre travail dans des emplois désagréables, qui insultent notre dignité et nuisent à notre santé.

En parlant de l’argent « adossé à des matières premières » : Si demain l’argent imaginaire acquiert une existence « réelle » après la décision de privatiser l’air que nous respirons, nous paraîtra-t-il alors plus réel ? Cela semble incroyable, n’est-ce pas ? Mais comment la privatisation de l’eau, des forêts, des ressources naturelles en général et des services essentiels tels que les soins de santé ou l’éducation, ou encore la privatisation de la guerre, ont-elles pu apparaître comme raisonnables, si ce n’est parce que nous avons accepté de les acheter ?

8b. « credo », « crédit », « investītūra »

Le crédit, 15e siècle, (du verbe latin credo, qui signifie « je crois ») est la confiance qui permet à l’une des parties de fournir de l’argent à une autre partie (générant ainsi une dette).

L’investiture, à la fin du XIVe siècle, était l’habillement d’un nouveau titulaire d’une charge [souverains, évêques, magistrats] avec des vêtements symbolisant le pouvoir. (Dans la société féodale) l’attribution formelle du droit de possession d’un fief ou d’un autre bienfait. Emprunté au latin médiéval investītūra.

Investir, « habiller, vêtir ». Le sens « utiliser l’argent pour produire un profit » est attesté à partir des années 1610 en relation avec le commerce des Indes orientales, via la notion de donner une nouvelle forme à son capital. Le sens militaire « assiéger, entourer avec des intentions hostiles » est également attesté vers 1600.

(Dictionnaires en ligne, souligné par nous)

Et si nous nous réunissions pour donner un coup de pied à cette grosse bulle grise ?

(Eduardo Galleano, El libro de los abrazos [« Le livre des étreintes »], 1989)

9. Après l’échec de la tentative de guerre éclair, la guerre en Ukraine s’est transformée en guerre de tranchées, les fantassins étant traités comme de la chair à canon. Qui en paie le prix ?

Capitalisme de guerre utilisant les minorités, loi martiale contre les mouvements ouvriers et sociaux en Russie et en Ukraine, « restructuration » de l’économie ukrainienne. Et la résistance.

Les régions russes, souvent peuplées de musulmans, qui connaissent les taux de pauvreté les plus élevés, ont mobilisé le plus grand nombre de conscrits pour les envoyer combattre en Ukraine. En septembre 2022, la police a tiré à balles réelles et s’est heurtée à des manifestants dans la région du Daghestan, dans le sud de la Russie, lors de troubles contre la décision de Poutine d’envoyer des centaines de milliers d’hommes supplémentaires se battre en Ukraine. En octobre 2022, au centre de migration de Sakharovo, dans la banlieue de Moscou, Sobyanine (le maire de Moscou) a fait la publicité d’un « guichet unique » pour les migrants susceptibles de vouloir participer à l’effort de guerre tout en demandant leurs documents de travail ou de citoyenneté. Les forces du groupe Wagner qui combattent à Bakhmout comptent près de 50 000 mercenaires, dont 40 000 condamnés.

Au cours de l’hiver 2022-2023, des centaines de soldats et de policiers ukrainiens ont effectué une rafle dans une région de l’Ukraine où vit la minorité hongroise (dans l’ouest du pays), rassemblant et enrôlant tous ceux qu’ils pouvaient attraper, y compris des membres de la population rom. Dès les premiers jours de la guerre, Zelensky a annoncé que « les Ukrainiens ayant une réelle expérience du combat seront libérés de prison et pourront compenser leur culpabilité dans les zones les plus sensibles. »

Entre-temps, l’économie de guerre est utilisée, tant en Russie qu’en Ukraine, pour intensifier les attaques contre les mouvements ouvriers et sociaux (l’Ukraine a eu recours à la loi martiale pour ce faire). En outre, la « restructuration » de l’économie ukrainienne a été l’une des réponses directes à la guerre : « [L’Ukraine] va à l’encontre de toute théorie économique de la guerre. On suppose que l’interventionnisme et le contrôle de la production par l’État ont prévalu lors des deux guerres du XXe siècle qui ont secoué le monde. Les États en guerre ont tendance à nationaliser les secteurs clés de l’économie pour maximiser la production d’armes et stabiliser l’économie. Ils tentent de renforcer l’achat national, d’encourager le crédit, d’annuler la dette intérieure et de cesser de payer la dette extérieure (…) Il est intéressant de noter que cela ne s’est pas produit en Ukraine, où c’est plutôt le contraire qui se produit (…) En annulant tant de taxes et en parlant principalement de la reconstruction d’après-guerre en termes de zones franches pour les exportations, la guerre a paradoxalement vu une intensification de ce modèle fiscal [« de faibles taxes sur les grandes entreprises sont la clé de la croissance et de la prospérité »]. (…) Alors que les travailleurs ukrainiens ont défendu leur pays et fait tout ce qui était en leur pouvoir pour assurer le fonctionnement de l’entreprise en ces temps très difficiles, de multiples réformes ont été adoptées, qui ont encore limité les droits sur le lieu de travail. (…) Les premiers projets de lois sur le travail sont apparus au début du mois de juillet [2022], lors de la Conférence sur la reconstruction de l’Ukraine qui s’est tenue sur les rives idylliques du lac de Lugano, en Suisse. »20

Avant la guerre, il y avait eu une augmentation remarquable des manifestations ouvrières en Russie, ainsi que des révoltes en Biélorussie et au Kazakhstan : « Le conflit qui est actuellement résolu en Ukraine par les chars, l’artillerie et les roquettes est le même que celui que les matraques de la police ont réprimé en Biélorussie, [au Kazakhstan] et en Russie même. »21 Le sociologue Pyotr Bizyukov tente de dresser un tableau fidèle de la résistance des travailleurs en Russie en suivant de près les manifestations ouvrières dans tout le pays. « En 2008, l’année où notre projet a démarré, nous n’avons enregistré que 95 manifestations ouvrières (…) 2020 a été une année record, puisque nous avons compilé 437 manifestations [sur fond de pandémie mondiale] (…) 73 % des manifestations ouvrières russes en 2021 se sont déroulées sans la participation des syndicats. L’année 2022 a démarré plutôt fort – comme ces années où le nombre de manifestations ouvrières a atteint un niveau record. Mais à la fin du mois de février 2022, l’« opération militaire spéciale » a commencé, et en mars 2022, il y a eu une chute inattendue [des manifestations de travailleurs]. Les gens étaient figés, effrayés, abasourdis. »22

La résistance à la guerre se poursuit en Russie, bien que les manifestations publiques qui ont eu lieu au cours des premières semaines après le déclenchement de la guerre aient cessé depuis longtemps, en raison de l’oppression policière : « Depuis le début de l’invasion massive de l’Ukraine, selon les calculs du groupe horizontal de défense des droits de l’homme Solidarity Zone, 112 personnes ont été poursuivies en Russie pour avoir participé à des actions radicales contre la guerre ou pour les avoir préparées. Parmi elles, 51 étaient accusées d’avoir incendié des bureaux d’enrôlement ou d’autres bâtiments administratifs, 36 d’avoir saboté des voies ferrées, 17 d’avoir préparé des incendies, 7 d’avoir mis le feu à des véhicules Z. »23

À cela s’ajoutent les soldats russes qui désertent et les soldats ukrainiens, de plus en plus nombreux, qui abandonnent leurs positions ou se rebellent contre les ordres de leurs commandants (en janvier 2023, une nouvelle loi punitive a été signée en Ukraine, introduisant des sanctions plus sévères pour les déserteurs et les soldats récalcitrants, et les privant de leur droit d’appel).

10. Quelques réflexions

Tout ce qui précède peut sembler bon en théorie ou constituer des éléments d’information plus ou moins intéressants, mais comment devons-nous agir si nous voulons renverser la situation ?

a) Nous n’avons pas de réponse à toutes les questions et nous ne voulons pas prétendre en avoir. D’autre part, adopter une position générale contre la guerre, basée sur les valeurs et théories anarchistes traditionnelles, ce n’est pas vraiment une solution, si en pratique cela signifie ne rien faire.

b) La principale guerre en Occident est toujours une guerre visant à conquérir l’esprit des gens.

Si nous n’avons jamais défendu le choix politique de s’engager dans l’armée ukrainienne, nous nous sommes trouvés (surtout pendant les premiers jours de la guerre) dans l’impossibilité de juger le choix personnel de s’engager dans les unités de « défense territoriale ». Mais maintenant que le temps a passé et que certaines choses se sont éclaircies, il convient d’aborder plusieurs points.

Nous venons d’une région (les Balkans) qui a été maintes fois déchirée par le nationalisme. Nous venons d’un pays qui a été en guerre pendant plus de 50 ans,24 où la construction d’une nation signifiait ne pas laisser les gens parler la langue de leurs parents, qui est resté silencieux face à l’extermination de la population juive en Grèce, qui a traité avec racisme les réfugiés grecs arrivés en Grèce après la Convention pour l’échange des populations de 1923 et qui les a brutalement exploités en tant que main-d’œuvre bon marché (ils ont été réellement intégrés lorsqu’ils ont combattu pendant la Seconde Guerre mondiale). Nous venons d’un pays où le parti « communiste » est passé de l’internationalisme (soutien au droit à l’autodétermination du peuple macédonien slave dans les années 1930) au « patriotisme anti-impérialiste » depuis les années qui ont suivi la guerre civile jusqu’à aujourd’hui. Il convient de noter ici que pendant les guerres de Yougoslavie, le parti communiste soutenait l’« anti-impérialiste » Milošević, et ce non pas à la suite d’une discussion ou d’une demande de ses membres, mais simplement parce que les dirigeants du parti en avaient décidé ainsi. Tout cela s’est produit alors que la frénésie nationaliste générée autour du nom sacré de Macédoine était utilisée pour créer une population nationaliste unifiée qui exploitait la main-d’œuvre bon marché des migrants albanais et les tuait, et qui utilisait les femmes migrantes des anciens « pays de l’Est » comme esclaves pour le trafic sexuel, comme employées de maison et femmes de ménage, et comme épouses importées.

Nous venons d’un pays où toutes les voix antiautoritaires ont été réduites au silence pendant des décennies par le gouvernement de droite quasi-dictatorial et le parti stalinien, et où les approches antiautoritaires ne pouvaient être exprimées que par des personnes ayant quitté le pays ou déguisant leurs pensées en littérature.

Examinons certains choix politiques qui se sont présentés après le début de la guerre en Ukraine, non pas comme un choix personnel, mais « pour que nous ne soyons pas politiquement discrédités » (bien entendu, ces choix étaient accompagnés de l’argument « comment pouvez-vous parler si vous ne vivez pas sur place »). Le scénario d’une « résistance militaire indépendante » qui a circulé pendant la première période de la guerre en Ukraine s’est rapidement estompé, en particulier après la militarisation de la « défense territoriale » et la transformation du conflit en une guerre de tranchées. N’est-il pas scandaleux de parler en faveur de l’engagement dans l’armée alors que les soldats désertent et que la force brutale est utilisée pour envoyer les gens au front ? Le régime Zelensky a manifestement choisi l’escalade de la guerre. Nous ne saurons jamais ce qui se serait passé si, dans les premiers jours de la guerre, au lieu du couvre-feu imposé, des millions de personnes étaient descendues dans les rues d’Ukraine pour arrêter les troupes russes. Nous savons que cela s’est effectivement produit de manière spontanée en divers endroits au cours des premières semaines de l’invasion et que, pendant l’occupation russe de Kherson, des manifestations ont été accueillies avec moins de violence que, par exemple, les récentes manifestations en Grèce (dans d’autres cas cependant, principalement dans des villes ou des villages plus petits, les forces russes ont réagi en tirant en l’air et, dans certains cas, sur les manifestants). Au total, au cours du premier mois de la guerre, des manifestations et des blocages contre les mouvements de l’armée russe ont été enregistrés dans une vingtaine de villes et villages ukrainiens, faisant un mort et 13 blessés. À titre de comparaison, pendant les 9 jours de la révolte de janvier 2022 au Kazakhstan, qui a été réprimée avec l’aide des troupes russes, 227 personnes ont été tuées.

Un autre argument présenté pour défendre l’adhésion à la « défense territoriale » c’est que les compromis sont inévitables, et l’exemple donné c’est la collaboration des YPG/YPJ avec les troupes américaines. Quelles que soient les convictions de chacun sur le Rojava,25 nous ne pouvons pas établir un parallèle entre les anarchistes qui rejoignent l’armée ukrainienne « comme un compromis nécessaire » et le compromis du Rojava pour accepter l’aide des capitalistes occidentaux, parce que dans le cas du Rojava, les rebelles ont le contrôle d’une zone où ils peuvent essayer de créer leur idée d’une société juste, alors que ce n’est évidemment pas le cas en Ukraine (et la participation des anarchistes à la défense nationale peut juste être utilisée par le gouvernement comme preuve qu’ils défendent une société ouverte et libre contre l’État russe autoritaire et obscur).

L’argument selon lequel si le mouvement social ne participe pas à la défense nationale, il sera politiquement discrédité a également été avancé. Comment les personnes qui ont décidé de servir le gouvernement ukrainien seront-elles perçues après la guerre ? Un gouvernement qui a traité les soldats comme de la chair à canon, un gouvernement qui a utilisé la guerre pour imposer des privatisations et approfondir l’exploitation capitaliste, un gouvernement qui a utilisé la loi martiale pour interdire les grèves, liquider le fonds d’assurance sociale (une réduction effective du salaire social pour des millions de travailleurs), vendre les terres agricoles et privatiser les forêts, un gouvernement qui a donné des pouvoirs sans précédent au secteur de la construction et adopté une loi qui a un impact sur environ 70% des travailleurs du pays ! En vertu de la nouvelle loi, le principal instrument régissant les relations de travail entre l’employeur et les employés dans les petites et moyennes entreprises sera le contrat individuel.

« Une partie de la gauche qui soutient la résistance militaire affirme qu’en dehors de l’autodéfense immédiate des vies et des maisons, la guerre vise à défendre la « liberté » des travailleurs ukrainiens à l’avenir. Cet argument tombe dans le mythe d’une souveraineté nationale dans laquelle les travailleurs peuvent décider démocratiquement de leur sort. Tout d’abord, comme toute autre économie, l’économie ukrainienne n’est pas une économie « nationale », elle est profondément intégrée dans l’investissement international, la gestion de la dette et le commerce. Deuxièmement, le capital et l’État en Ukraine sont plus que désireux d’utiliser la guerre pour déréguler davantage le marché du travail et saper la mince couche de démocratie formelle qui existe. »26

Passons maintenant à l’extrémité opposée du spectre. Nous ne nous occuperons pas des personnes qui soutiennent l’invasion russe parce qu’elles pensent qu’elle constitue en quelque sorte une continuité libératrice du « bon vieil ours soviétique » (bien sûr, le militarisme, l’autoritarisme et la répression constituent bel et bien une continuité entre le régime soviétique et le régime de Poutine, tandis que les capitalistes politiques27 sont une continuité du capitalisme d’État déguisé en « socialisme »). Nous considérons évidemment qu’il est dégoûtant de glorifier la mort et l’effusion de sang au nom de « nobles causes », de « l’analyse géopolitique » ou de la « haute politique ».

Il existe également un soutien caché à l’invasion russe, intentionnel ou non. Dans la plupart des cas, parler uniquement de la responsabilité de l’OTAN dans le début de la guerre en Ukraine constitue en pratique une façon cachée de soutenir l’invasion russe. Il y a pire : dans des pays comme la Grèce ou la Serbie, dénoncer seulement l’OTAN en prétendant qu’il s’agit de l’attitude défaitiste révolutionnaire28 authentique, c’est utiliser un faux argument, car ce sont des pays où l’on trouve certains des sentiments pro-russes les plus répandus et où l’OTAN est considérée comme un corps étranger (une conclusion logique de cette ligne de pensée politique serait une alliance tactique avec le gouvernement Orbán, tout aussi anti-OTAN…).

Pour revenir à un niveau de débat plus raisonnable, nous devons souligner que contrairement à l’idée selon laquelle un monde multipolaire signifierait la fin de la mondialisation capitaliste et du règne œcuménique du capitalisme occidental (et créerait donc de meilleures conditions pour le mouvement social), en fait, comme nous l’avons mentionné précédemment, c’est la fin du monde bipolaire qui a libéré le potentiel émancipateur et donné l’occasion de créer un mouvement mondial qui pourrait réunir les mouvements à la périphérie du capitalisme et les luttes au sein des pays capitalistes centraux.

Le mouvement transnational a été plus ou moins absent après l’invasion russe en Ukraine. Nous ne connaissons que l’initiative zapatiste pour le « 13 mars [2022] contre toutes les guerres capitalistes »29 et l’Assemblée permanente contre la guerre (PAAW)30.

Outre nos responsabilités évidentes (défendre les soldats déserteurs des armées russe et ukrainienne et les personnes qui refusent d’intégrer l’armée, soutenir les prisonniers des actions anti-guerre à l’intérieur de la Russie – manifestations, sabotages, incendies –, soutenir les migrants ukrainiens en Europe, relier la résistance à la guerre à tous les mouvements sociaux qui émergent ici et là, et lutter contre les conditions préalables à la guerre – militarisme, nationalisme, racisme, patriarcat), il y a encore des choses qui doivent être faites. Nous devons prendre conscience de nos lacunes, surmonter notre confusion et notre inertie, et prendre l’initiative.

Nous le répétons : il est vital que nous définissions une position claire (et que nous la diffusions à l’échelle mondiale au-delà de toutes les frontières) contre toutes les fausses options présentées par le « nouveau monde multipolaire en formation ». Nous devons discuter de tout cela et nous organiser. Les meilleures actions sont toujours le résultat d’une intelligence collective.

Nous devons échapper à l’emprise capitaliste, former des communautés, créer un terrain hostile au capitalisme et devenir l’hydre à mille têtes,31 le prolétariat planétaire.

Vos guerres – Nos morts

Contribution de la Fédération pour l’organisation anarchiste FAO-IFA (Slovénie/Croatie)32

Plus d’un an s’est écoulé depuis que la guerre en Ukraine, déjà longue et dévastatrice, ait atteint de nouveaux sommets de massacre technologique organisé et se soit imposée de manière décisive dans la conscience du monde. En février 2022, après près de huit années de guerre civile qui ont coûté la vie à des milliers de personnes et causé d’énormes destructions, les forces militaires sous le commandement de la Fédération de Russie ont lancé une invasion à grande échelle du territoire de l’État ukrainien, à laquelle les forces militaires sous le commandement de l’Ukraine ont répondu par une riposte armée résolue. Alors que les batailles embrasaient les villes et les campagnes, le flux d’armes vers une zone de guerre nouvellement créée a augmenté de façon spectaculaire. De grandes parties du pays et de la population sont désormais sous occupation militaire effective, des villes entières et de vastes champs ont été transformés en zones de mort postapocalyptiques. À l’heure actuelle, de nombreux États, armées, services de renseignement et autres structures se sont activement engagés dans la guerre d’une manière ou d’une autre, souvent dans la continuité de leurs engagements antérieurs. La volatilité intrinsèque d’un conflit militaire entre des armées puissantes et technologiquement avancées ne cesse de faire monter les enchères au niveau géopolitique mondial, alors que, dans le même temps, les besoins et les intérêts de la population civile, tant dans la zone de guerre qu’ailleurs dans le monde, sont mis de côté par toutes les parties belligérantes. La guerre se poursuit et la logique qui l’a déclenchée se normalise.

Après presque un an et demi, la préoccupation de beaucoup n’est pas seulement la terreur quotidienne des massacres sur la ligne de front, la conscription forcée, les attaques contre la population civile et la nature totalitaire générale du régime de guerre, mais aussi ce qui va se passer ensuite. L’anxiété de nombreuses personnes à travers le monde est alimentée par les proclamations bellicistes obstinées de part et d’autre de la ligne de front. Les orateurs officiels de la classe dirigeante qui préside les deux camps de la guerre évoquent régulièrement la possibilité d’un Armageddon nucléaire et la nécessité d’un renouveau militariste nationaliste dans leurs régions respectives. Tous les belligérants s’efforcent d’imposer leurs vérités aux populations qu’ils gouvernent et au monde en général. Pourtant, comme dans la plupart des autres guerres, de nombreuses personnes choisissent de ne pas se conformer aux ordres des commandants des deux camps et elles le font souvent au risque d’être ridiculisées, stigmatisées, censurées, criminalisées, emprisonnées ou de subir d’autres préjudices.

Comme tant d’autres, nous, les groupes politiques et les individus affiliés à la Fédération pour l’organisation anarchiste (FAO), avons discuté, réagi et réfléchi à la nouvelle guerre. Nous l’avons fait à la suite de nombreuses occasions précédentes, au cours des quinze dernières années, où nous avons abordé les questions de la guerre, de l’occupation et de la résistance.

Nous avons posé de nombreuses questions et tiré quelques conclusions. Dans le cadre de nos efforts, nous avons écouté et consulté nos camarades de différentes parties du monde, y compris ceux d’Ukraine. Ce texte représente un résumé partiel des conclusions auxquelles nous sommes parvenus. Quelle que soit leur force potentielle, nous reconnaissons que les questions abordées ici sont difficiles et qu’aucun mot ne peut compenser les horreurs vécues par tant de personnes. Malgré toute la complexité de la politique internationale en général et de la guerre en tant que phénomène spécifique en particulier, et malgré les contradictions qu’implique toute activité politique, nous pensons que nos conclusions sont simples et claires. Elles sont surtout ouvertes à des développements ultérieurs. Nous espérons sincèrement que notre contribution puisse être considérée en conjonction avec nos précédentes articulations et nos engagements politiques.

Nous sommes conscients que dans ce contexte spécifique, nous sommes relativement privilégiés dans la mesure où nos vies ne sont pas menacées par les armes de guerre immédiates. Nous sommes privilégiés parce que nous avons le luxe de prendre le temps de nous réunir en tant que corps social et politique collectif et de poser des questions sans avoir à trouver immédiatement des réponses pratiques dont notre vie dépendrait. Ce privilège est refusé à de nombreuses personnes en première ligne en Palestine/Israël, en Syrie, au Yémen, en Éthiopie, en Ukraine et dans de nombreux autres endroits actuellement dévastés par la guerre. Pourtant, nous ne pensons pas que certains privilèges relatifs devraient nous obliger à rester silencieux. Nous sommes conscients du fait que cette position peut être controversée pour certains. Néanmoins, nous choisissons consciemment de l’adopter et nous le faisons ouvertement.

Nous croyons que même dans les moments les plus difficiles, il est possible de tenir bon, de ne pas se replier sur soi-même, de ne pas être paralysé et silencieux, mais au contraire de réfléchir activement et, si l’occasion se présente, d’agir. Nous pensons que c’est ce à quoi les anarchistes et le mouvement anarchiste dans son ensemble devraient aspirer. En fait, c’est exactement ce point de vue qui a amené beaucoup d’entre nous au mouvement anarchiste en premier lieu. Nous sommes conscients que le fait d’agir de cette manière peut nous mettre en conflit avec le pouvoir en place et avec les opérations par lesquelles il fabrique le consentement à ses actions. En outre, nous comprenons qu’en ces temps de confusion et d’incertitude apparentes, il y a beaucoup à tirer de l’analyse, des positions et des pratiques de beaucoup de nos prédécesseurs qui ont pris part à une activité anarchiste cohérente dans le contexte historique et politique spécifique de certaines époques antérieures. Cela ne veut pas dire que nous avons l’intention de jeter nos Malatesta, Goldman, Durutti, un marin anonyme de Kronstadt, Makhno ou n’importe qui d’autre dans le feu du débat en prétendant que les références de ce type tranchent le débat. Ce serait contraire à l’esprit de ce que nous entendons par anarchisme. Ce serait anhistorique et brutal. Nous affirmons simplement qu’il y a eu des gens avant nous qui ont traité de questions qui ne sont pas différentes de celles que nous traitons aujourd’hui et qu’ils ont fait des analyses et des propositions intéressantes que nous pouvons nous aussi utiliser à bon escient.

[…]

Capitalisme, crise, fin du néolibéralisme et guerre

Dans sa quête d’une accumulation sans fin de capital et d’une croissance économique illimitée, le capitalisme est devenu un système mondial fondé sur l’exploitation incessante des travailleurs, des autres animaux humains et non humains et de la nature. Bien qu’il s’agisse d’un système mondial, il n’est pas construit sur l’harmonie de toutes les parties, mais sur la logique de la concurrence que l’on retrouve à tous les niveaux : concurrence au sein d’une entreprise, concurrence entre les entreprises elles-mêmes, concurrence entre les centres du pouvoir capitaliste et il n’est pas du tout surprenant que l’un des fantasmes fondamentaux du capital soit d’imposer à la classe ouvrière les conditions de la concurrence la plus brutale pour les nécessités de la vie telles que la nourriture, le logement et les relations sociales.

Bien que la croyance en une croissance économique illimitée soit la prémisse idéologique centrale du système capitaliste, les limites de l’expansion existent en fait, tout comme les limites de l’expansion de ce qui relève du contrôle d’un pouvoir capitaliste spécifique. Que ce soit sous la forme d’une résistance ou d’une disponibilité limitée des travailleurs, de ressources naturelles limitées, d’écritures économiques défectueuses sur lesquelles il s’appuie pour sa reproduction ou sous la forme d’un centre concurrent du pouvoir capitaliste, les gestionnaires du système capitaliste sont toujours hantés par le double spectre des crises et de l’expansion. En effet, toute son histoire est caractérisée par un long voyage d’une crise destructrice à l’autre. Ce n’est qu’au cours de la dernière décennie et demie que la crise a reçu des noms différents, par exemple crise économique, crise migratoire, crise du Covid-19, crise climatique. Malgré les différents noms, la réaction des autorités à ces défis prétendument très différents a été remarquablement similaire : investissement énorme dans des efforts de propagande pour imposer un récit monolithique, renforcement des différentes structures étatiques et paraétatiques de répression, de surveillance et de contrôle, militarisation, numérisation et bureaucratisation, innovation et enracinement des politiques de haine, de violence et d’exclusion, persécution de l’opposition sociale et immense destruction de la vie des humains et des animaux non humains.

Avec la fin de l’ère néolibérale du système économique mondial, ses promesses idéologiques sont partout exposées comme des mots vides de sens. La classe dirigeante elle-même est bien consciente du fait que non seulement elle ne peut plus rien garantir à la grande majorité des gens sur lesquels elle veut régner, mais qu’elle est aussi de plus en plus incapable de le cacher. Dans le système actuel, même selon les proclamations officielles, il n’y a plus d’offre de soins de santé abordables, de sécurité, de logement, d’éducation, de part équitable du gâteau, et encore moins de prospérité du type de celle qui caractérisait les États-providence de l’après-guerre. Ce que la classe dirigeante propose aujourd’hui, c’est une succession d’états d’urgence, d’austérité, de privatisation accrue des services publics, de militarisation et d’augmentation considérable de l’ampleur et de la brutalité du maintien de l’ordre. N’étant plus en mesure d’assurer ne serait-ce que le niveau de prospérité antérieur, les autorités de ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident recourent de plus en plus à la violence pure et à d’autres méthodes autoritaires, simplement pour maintenir leur emprise sur le pouvoir. Le régime de Covid-19 a été l’expression la plus claire des mécanismes de la nouvelle normalité extrêmement répressive, qui ne se limite plus à ceux qui, du point de vue des structures racistes, patriarcales et autres structures autoritaires, sont considérés comme marginaux et donc comme des cibles valables de la violence d’État.

Alors que l’utopie néolibérale du libre-échange mondial s’est effondrée sous les contradictions entre l’idéologie et les considérations géopolitiques plus larges de ses principaux protagonistes (les États-Unis), le protectionnisme économique est à nouveau apparu comme un point de ralliement pour les centres d’accumulation de capitaux concurrents, tous en quête d’un avantage sur la concurrence et donc luttant pour leur survie même. Suivant la logique de fer de la concurrence capitaliste et en résonance avec les événements historiques d’il y a plus d’un siècle, les nouveaux blocs économiques, politiques et éventuellement militaires se coalisent et manœuvrent pour garantir ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts géopolitiques et économiques existentiels. Partout où il y a des revendications concurrentes, l’option de la guerre, la plus absolue de toutes les crises, est proposée à ceux qui prennent des décisions au nom de la classe dirigeante. Ainsi, après tant d’autres territoires, l’Ukraine s’est ajoutée à la longue liste des théâtres de guerre. Le fait que les considérations qui prendraient en compte le bien-être de la majorité de la population ne pèsent pas lourd dans les manœuvres géopolitiques de la classe dirigeante témoigne à lui seul de l’ampleur du fossé qui sépare aujourd’hui les dirigeants des dirigés.

La guerre en Ukraine oppose, d’une part, une alliance militaire transnationale existante au service du système mondial unipolaire dirigé par les États-Unis et, d’autre part, l’alliance économique transnationale émergente avec des aspects militaires au service du système mondial multipolaire adoptée par la Russie, la Chine et d’autres puissances capitalistes. Malgré l’importance des facteurs locaux, la guerre en Ukraine ne repose pas sur un conflit politique local. C’est plutôt l’Ukraine, sa population, son environnement, ses ressources, ses villes et ses champs qui ont été choisis comme terrain d’affrontement militaire entre deux puissants centres capitalistes. D’un point de vue géopolitique, le cœur du problème n’est donc pas la Russie contre l’Ukraine, et certainement pas les Russes contre les Ukrainiens. Il s’agit d’une bataille entre des centres de pouvoirs économiques et politiques qui s’alignent sur deux modèles concurrents du système politique mondial et qui disposent d’outils militaires et autres pour faire valoir leurs revendications respectives. Malgré les nombreuses différences entre leurs modèles économiques et politiques, les deux modèles sont ancrés dans le capitalisme, le militarisme, le nationalisme et donc la nécessité d’une exploitation et d’une destruction à grande échelle. La guerre en Ukraine n’est donc pas une guerre entre les gens, mais une guerre entre de grands systèmes de domination capitaliste. Dans cette guerre, les gens ne font que mourir.

Lorsque nous pensons à la guerre, nous ne devons pas oublier que la paix ne signifie pas nécessairement l’absence de guerre. Elle peut aussi signifier que la guerre menée par un certain centre de pouvoir se déroule au loin. Telle est la vérité de l’apparente paix et de la démocratie qui sont censées régner et qui ont régné pendant de nombreuses décennies dans ce que l’on appelle l’Occident. Ce que l’on oublie commodément, c’est que pratiquement tous les États de ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident ont bâti leur réussite économique et leur prospérité apparente sur l’exploitation et la conquête. La plupart de ces États se sont construits sur des crimes systématiques à l’encontre d’une partie de la population sur laquelle ils se sont imposés. Cela est vrai même pour une Slovénie minuscule et sans importance qui, après avoir obtenu son indépendance, a dépouillé des dizaines de milliers de ses résidents de leurs droits légaux dans le cadre d’une opération administrative clairement raciste. Il en va de même pour une Croatie minuscule et sans importance, dont la classe dirigeante actuelle s’est imposée par une guerre nationaliste qui a servi de paravent à un nettoyage ethnique à grande échelle de son territoire, au cours duquel plusieurs centaines de milliers de personnes ont été expulsées de leurs terres pour des motifs racistes et des centaines, voire des milliers, ont été tuées en dehors de toute bataille militaire. Dans le cas de nombreux autres États, cela a pris d’autres formes mortelles : colonisation, génocides, terreur organisée et mutilations, esclavage, élimination brutale de communautés linguistiques et culturelles distinctes entières et bien d’autres encore.

Par ailleurs, la guerre n’est pas la seule forme de terreur et sa brutalité évidente ne doit pas signifier que toutes les autres formes de violence structurelle organisée par l’État doivent être ignorées. Aujourd’hui encore, et probablement plus que dans un passé pas si lointain, nous pouvons constater que la majeure partie de la main-d’œuvre européenne est principalement constituée de travailleurs franchement sous-payés originaires de pays de la périphérie ou de l’extérieur – des conditions qui, dans de nombreux cas, sont légitimement décrites comme de l’esclavage moderne. Cela confirme le fait désormais pratiquement incontesté que toute puissance capitaliste a besoin d’un approvisionnement régulier en main-d’œuvre bon marché et d’un accès fiable aux ressources naturelles, non seulement au lithium et à d’autres métaux précieux aujourd’hui à la mode, mais aussi à l’eau potable et aux sols fertiles. Tant que le capitalisme en tant que système mondial ne sera pas démantelé, les États resteront le mécanisme par lequel une infime minorité impose un régime autoritaire sur le monde d’une manière qui nécessite la guerre pour se reproduire. On peut donc affirmer à nouveau que le capitalisme, c’est la guerre.

Les anarchistes et la guerre

Pour nous, l’ennemi dans cette guerre est la guerre elle-même. Pour nous, les États, qui ont besoin de la guerre pour s’imposer aux populations, sont l’ennemi. Pour nous, l’ennemi est le capitalisme qui a besoin d’États et de guerres pour perpétuer son emprise sur le monde. Pour nous, c’est le cœur de l’analyse et de la politique anarchiste. Sans elles, l’anarchisme en tant que position et pratique politique claire et spécifique n’a aucun sens pratique ou théorique.

Nous reconnaissons absolument le droit de chaque individu et de chaque communauté à se défendre contre toute forme de violation de leur liberté. L’invasion militaire et l’occupation qui s’ensuit, imposées par une entité étrangère qui n’est ni invitée ni la bienvenue, constituent sans aucun doute un exemple clair d’une telle violation qui a eu lieu en Ukraine. Si, dans ces circonstances, des personnes – quelle que soit leur prétendue affiliation politique – choisissent de rejoindre les différentes forces militaires sous le commandement de l’État ukrainien (ou de tout autre État), nous ne leur prêcherons pas de ne pas le faire. Il appartient bien sûr à chaque individu, communauté et groupe politique de faire ses propres évaluations et de prendre les décisions correspondantes en matière d’autodéfense.

Nous soutenons l’autodéfense populaire et la considérons comme un élément à part entière des luttes pour la défense des acquis sociaux, politiques et autres, ou pour la création de conditions permettant d’obtenir ces acquis. Pour nous, l’autodéfense populaire se réfère à un ensemble d’activités diverses menées de manière à permettre une pratique politique, sociale, économique et militante autonome dans le respect des principes de l’auto-organisation antiautoritaire. Même si elle peut prendre la forme d’une lutte armée organisée, elle est antimilitariste en ce sens qu’elle est basée sur un engagement volontaire, qu’elle ne revendique aucune autorité sur la population non combattante et que son but ultime est la dissolution d’un système qui a besoin de la guerre et de structures militaires pour se reproduire.

Nous reconnaissons humblement que cela a actuellement une application pratique limitée dans nos circonstances immédiates – mais aussi que cela pourrait ne pas toujours rester ainsi. En outre, en tant que membre du mouvement anarchiste, nous essayons continuellement d’apprendre de l’histoire, y compris de l’histoire des révolutions populaires, et des expériences contemporaines de nos camarades qui sont engagés dans des luttes pour la dignité et la vie. C’est sur la base de ces réflexions que nous affirmons que, non seulement par principe mais aussi par analyse, nous ne croyons pas que prendre les armes d’une main en brandissant un drapeau national de l’autre, ou accepter de recevoir des ordres de ceux qui le font, puisse apporter autre chose qu’une reproduction de la société basée sur le nationalisme, le patriarcat et l’exploitation. D’après ce que nous avons pu comprendre jusqu’à présent du conflit militaire en Ukraine, nous ne considérons pas que l’implication dans les forces armées de l’État ukrainien ou dans une coalition militaire sous son commandement soit compatible avec un quelconque modèle d’auto-organisation antiautoritaire que nous puissions envisager. Nous comprenons et respectons cependant l’élan d’autodéfense qui a conduit de nombreuses personnes à prendre la décision de se joindre à la lutte armée contre les forces d’invasion. Mais le faire en tant que membre de l’armée nationale ou en tant que proxy et sous le commandement de ses officiers n’est pas une politique anarchiste et ne peut pas être formulé comme tel.

Si la Russie est proclamée vainqueur de cette guerre, il ne fait aucun doute que cela ne créera pas de conditions favorables au développement d’un quelconque projet révolutionnaire anticapitaliste. Mais même dans le cas de la soi-disant victoire de l’Ukraine et de ses « alliés occidentaux », il est illusoire d’espérer l’émergence de quoi que ce soit de ce genre. En effet, c’est précisément dans le contexte d’une guerre entre des blocs concurrents du pouvoir capitaliste que la bannière de la classe ouvrière révolutionnaire transnationale engagée dans la lutte des classes devrait être explicitement placée au centre de toute activité militante. C’est la seule bannière sous laquelle les travailleurs, les combattants et le reste de la population des deux côtés de la ligne de front peuvent lutter ensemble pour la vie et contre leur ennemi commun : les commandants militaires et leurs patrons.

Nous nous opposons fermement à la création et à la reproduction de tout imaginaire collectif de guerre sympathique. Nous observons que, bien que cet imaginaire soit fortement basé sur des valeurs patriarcales, il s’étale également dans tous les médias prétendument progressistes. Des images d’hommes-guerriers à l’allure macho dans toutes sortes de situations romantiques – une imagerie qui contraste avec le discours sur les « déserteurs honteux » et sur ceux qui osent remettre en question leur implication dans le massacre en cours. Parallèlement, on observe un déni quasi total de l’existence de la désertion « dans son propre camp ». Le droit à une vie hors de la guerre doit être reconnu à tous, sans distinction de sexe, d’âge ou de statut social.

Nous nous opposons fermement à la distinction et à la promotion des « bons réfugiés » par rapport aux « mauvais » que nous avons constatées immédiatement après le début de l’invasion russe en Ukraine. Nous avons eu la confirmation que le système européen de migration est basé sur des préjugés raciaux et religieux et qu’il différencie les réfugiés en fonction de la couleur de leur peau et de leur appartenance religieuse supposée. La violence systématique exercée directement par les États de l’Union européenne ou en leur nom à l’encontre des réfugiés et d’autres migrants originaires de divers pays, que nous avons observée depuis au moins 20 ans, a fait de la vie de millions de personnes un véritable enfer sur terre – fuyant la guerre, ils ont été accueillis par une déshumanisation accrue et de nouveaux pièges mortels. Nous ne pouvons pas nous accommoder d’un monde où l’empathie et la solidarité sont fondées sur le passeport que l’on détient, la langue que l’on parle ou le lieu où l’on est né. Nous n’accepterons pas qu’une personne originaire de Syrie soit moins digne d’être accueillie et qu’on s’occupe d’elle qu’une personne originaire d’Ukraine ; nous n’accepterons pas qu’une personne fuyant l’Ukraine ait moins de valeur qu’une personne fuyant la Syrie. Les principes de solidarité sont appliqués de manière universelle ou ne sont pas appliqués du tout.

Nous rejetons de la manière la plus absolue tout profit tiré de la guerre. Nous ne soutenons pas la production et le commerce d’armes qui sont contrôlés par l’État et servent principalement les intérêts des actionnaires du complexe militaro-industriel. Les armes, l’industrie de la guerre et les alliances militaires sont le problème, pas la solution. C’est pourquoi nous rejetons l’acquisition et la vente d’armes ainsi que toute autre forme de renforcement de l’appareil de guerre. Nous ne sommes pas solidaires des États et de leurs armées qui mesurent aujourd’hui la puissance de leurs armes de destruction massive en Ukraine. Nos intérêts ne peuvent s’aligner sur ceux des profiteurs de guerre qui encaissent déjà des sommes considérables et se frottent les mains de la promesse d’une longue guerre aux débouchés très intéressants. Notre solidarité sans bornes va à tous ceux qui souffrent des conséquences de la guerre de part et d’autre des lignes de front. Nous sommes solidaires de tous ceux qui font entendre leur voix contre la guerre, de ceux qui ne mettent pas leur corps à la disposition de la machine de guerre et de ceux qui deviennent la cible de la répression précisément en raison de leur résistance à la guerre. Comme nous, ils n’ont pas voulu la guerre, ils ne l’ont pas recherchée, mais ils en sont devenus prisonniers et captifs.

Nous nous opposons à la normalisation du discours sur les préparatifs d’un autre grand conflit à venir, une normalisation qui crée l’illusion que la seule réponse à la guerre est plus de guerre, plus de chars, plus d’armes, plus de munitions, plus de soumission aux plans des commandants militaires. Au contraire, nous devons nous engager sérieusement sur la question de savoir comment changer radicalement la société de manière à démanteler les conditions de la guerre. Nous pensons qu’il s’agit là de l’un des principaux objectifs des groupes, organisations et réseaux politiques anarchistes que nous sommes. Pour y parvenir efficacement, nous devons comprendre ce que sont ces conditions et ce que l’on peut faire à cet égard. Au premier rang de ces conditions figurent le patriarcat, le nationalisme, l’empathie et la solidarité sélectives, la militarisation et la sécurisation. Ce sont tous des outils de la lutte des classes que la classe dirigeante utilise pour diviser la classe ouvrière et la maintenir dans la soumission aux intérêts du capital, tandis qu’elle – la classe dirigeante – en récolte les dividendes. Tous ces outils doivent être continuellement rejetés, combattus et démantelés dans toutes leurs nombreuses manifestations localisées. Nous savons que c’est plus facile à écrire qu’à faire, mais nous pensons qu’il n’y a pas d’autre outil à notre disposition pour bloquer la perpétuation de la guerre et du militarisme. Nous croyons également que des efforts significatifs de ce type peuvent être entrepris par n’importe quel groupe anarchiste, même le plus petit, et dans le contexte le moins favorable, et que c’est quelque chose qui, à long terme, peut faire une différence tangible dans son entourage immédiat et même dans une société plus large dans son ensemble. En un sens, une guerre ne peut commencer qu’à partir du moment où les conditions que nous venons d’évoquer deviennent normales et naturelles. Ce n’est que lorsque la guerre est ancrée dans l’esprit des gens comme étant nécessaire, viable, honorable et juste, voire joyeuse et aventureuse, qu’elle devient une possibilité concrète.

Dans nos rangs et dans les mouvements analogues les plus proches, nous avons des camarades qui ont vécu directement les guerres des années 1990 en Yougoslavie ainsi que le bombardement de la Yougoslavie par l’OTAN en 1999. Nous partageons nos soirées et nos espaces sociaux avec des personnes qui ont vécu les guerres en Syrie et en Palestine/Israël. Ce qu’ils nous apprennent tous, c’est que même dans les pires moments, il est possible d’adopter une position anti-nationaliste et antimilitariste forte et d’agir selon les principes éthiques les plus universels. Il est vrai que le prix à payer n’est souvent pas mince : pauvreté, exclusion sociale, isolement par la société en général, migration forcée et répression directe. Mais c’est le prix qui a été payé et qui continue d’être payé par de nombreuses personnes dans les guerres partout dans le monde. Alors que la Yougoslavie se déchirait, nous avons vu comment une solidarité transnationale et locale a aidé les gens à survivre et à garder leur dignité dans les pires situations. La désertion était relativement répandue de part et d’autre du conflit. En Serbie, des unités militaires entières comptant des centaines de soldats ont refusé de se rendre sur le champ de bataille. Alors que les autorités faisaient la chasse aux soldats dans les rues et les bars, nombre d’entre eux se sont cachés et beaucoup ont carrément fui le pays. Ils ont été soutenus par les membres de leur famille, leurs amis, leurs voisins et d’autres personnes qui, ensemble, ont tissé la trame de la résistance sociale contre la guerre que l’élite nationaliste leur avait imposée. En ces temps troublés, c’est l’auto-organisation et la solidarité au sein des communautés qui ont permis à de nombreuses personnes de rester en vie et, surtout, de retrouver leur dignité lorsque la flamme de la guerre s’est éteinte. C’est sur la base de ces expériences que nous reconnaissons que l’une des choses les plus tangibles que beaucoup d’entre nous peuvent faire, c’est d’offrir aide et soutien aux déserteurs de toutes les armées et à ceux qui fuient la conscription forcée. Et si la situation se présente, nous devons devenir nous-mêmes ces déserteurs et objecteurs militaires.

Comme d’autres guerres, la guerre en Ukraine pose également la question centrale qui bono – à qui cela profite-t-il ? S’il est impossible de prédire avec certitude comment se déroulera le grand jeu géopolitique, il est d’ores et déjà clair qu’il n’y aura pas de gagnants parmi la population. Il n’y aura ni prospérité, ni liberté, ni possibilité d’autodétermination. En l’absence d’un avenir significatif, le patriarcat, le nationalisme, le fondamentalisme religieux et d’autres systèmes d’oppression continueront à s’imposer à la population. Là où il y a eu une réalité multilingue pendant des générations, le paysage monocultural prospérera. Peut-être même, comme l’ont écrit les zapatistes, qu’après la guerre, il n’y aura plus de paysage. La guerre pourrait s’étendre à d’autres zones géographiques et de nouvelles armées pourraient se joindre ouvertement aux combats. Cela garantira encore la production sans fin de la population réfugiée, qui sera aspirée par le capital de l’UE comme main-d’œuvre bon marché qui, de leur point de vue raciste, sera cette fois-ci blanche et donc beaucoup mieux accueillie. Nous supposons que la paix ne sera acceptée que lorsque les contrats d’armement auront été signés et que le contrôle du sol fertile de l’Ukraine aura été réparti d’une manière satisfaisante pour les investisseurs, qui prient pour que les dirigeants de l’État ukrainien leur garantissent de bons rendements, et qui promettraient et soutiendraient probablement tout ce qu’ils peuvent juste pour soi-disant assurer leur propre avenir personnel et politique. Toutes ces magouilles ont bien sûr lieu sans tenir compte des conséquences pour la population ukrainienne, qui finira par devoir payer pour tout cela sous de nombreuses formes. Lorsque, dans les ruines de la guerre, la paix sera enfin conclue, les gens essaieront de reconstruire leur vie, accablés par d’énormes dettes pour payer toutes les armes « données », pleurant les membres de leur famille et leurs amis perdus. Ce qui leur sera proposé sera une reconstruction axée sur le capital, avec toute la brutalité que l’on connaît : privatisation des services et des ressources publics, démantèlement accru des droits des travailleurs, dont beaucoup ont déjà été suspendus sous la bannière des « nécessités de l’économie de guerre », individualisation, austérité, repatriarcalisation, renouveau religieux, etc. Le fait que cet horizon ne soit pas un fantasme pessimiste est confirmé par – entre autres – l’État ukrainien lui-même. En effet, peu après le début de l’invasion, il a lancé une campagne publicitaire destinée aux capitaux d’investissement de ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident, dont l’argument principal était que l’Ukraine offrait une glorieuse opportunité d’investissement pour ceux qui étaient prêts à prendre le risque. Cela montre que l’avenir pour lequel on se bat en Ukraine n’est pas quelque chose que la majorité de la population peut espérer. Il se résume à la promesse d’une zone économique spéciale, répondant aux intérêts du capital, où, une fois de plus, les gens sont réduits à une main-d’œuvre bon marché et hautement exploitable.

Nous exprimons à nouveau notre soutien à toute pratique d’autodéfense antiautoritaire et d’organisation communautaire dans les zones géographiques directement touchées par la guerre, pour autant qu’elles soient basées sur des principes antinationalistes clairs. Nous exprimons également notre volonté de construire une solidarité concrète avec les camarades impliqués dans de tels projets. Nous souhaitons également souligner explicitement que tout nouveau mode d’intégration de l’Ukraine dans le système capitaliste mondial impliquera la nécessité d’une auto-organisation des travailleurs à grande échelle, car ce sera le seul levier dont les travailleurs disposeront pour s’opposer aux schémas prédateurs bien connus de l’économie de guerre et d’après-guerre. Nous sommes tout à fait conscients que la machine de propagande de chaque État impliqué nous empêchera de connaître l’existence d’un tel projet sur le territoire de l’Ukraine (ou ailleurs également). C’est pourquoi nous insistons pour que le mouvement anarchiste, où qu’il se trouve, investisse continuellement dans la construction de réseaux stables de partage d’informations, de discussion et de coordination. Ce sont eux qui peuvent offrir la possibilité d’une analyse et d’une action indépendantes lorsque les choses tournent mal. Lorsque les hostilités commencent, il est peut-être déjà trop tard. C’est pourquoi il faut agir pendant qu’il en est encore temps, mais il est toujours préférable de commencer tard que de ne pas commencer du tout.

La guerre n’est pas menée uniquement avec des bombes et des chars, et pas seulement sur le territoire ukrainien. Une partie importante de la guerre se déroule dans des sociétés apparemment éloignées des théâtres de violence directe. Elle y prend la forme de la production et du trafic d’armes, de la promotion du nationalisme, de la propagande, de la répression, du racisme, du traitement sélectif des victimes de la guerre, de l’interdiction de la liberté d’expression, du financement de campagnes d’armement et de bien d’autres choses encore. Rejeter la guerre, c’est rejeter toutes les formes sous lesquelles elle se manifeste et partout où elle se manifeste.

Il convient également de dire qu’il ne s’agit pas pour nous, après tout, d’une discussion abstraite que nous pouvons conclure par quelques déclarations et passer ensuite à autre chose. C’est exactement le contraire. Nous vivons dans une partie du monde où la guerre n’est pas seulement une expérience vécue par beaucoup, mais aussi un avenir très réaliste. Dès qu’il y a une mobilisation sociale massive contre la classe politique et son capitalisme, le spectre de la guerre est rapidement évoqué par cette même classe politique, comme c’est si souvent le cas en Bosnie-Herzégovine. Il est utilisé comme un avertissement de ce qui peut arriver si les travailleurs sont trop exigeants. La Serbie est un autre exemple clair de l’utilisation régulière de la menace de guerre comme outil politique. Chaque fois qu’il y a un risque plus sérieux que le gouvernement perde le contrôle pratiquement total du discours dominant sur une question sociale majeure, il détourne l’attention vers les nombreuses questions non résolues concernant le Kosovo. Souvent, l’armée est envoyée à la frontière, des exercices militaires sont organisés, les préparatifs militaires sont renforcés, des proclamations de combat sont faites. Tout cela est souvent reflété par la partie kosovare et c’est souvent cette dernière qui semble mettre de l’huile sur le feu. Après quelques jours ou semaines, la situation se calme à nouveau. Jusqu’à ce que, pour des raisons de politique intérieure, ça reprend de plus belle. Mais le caractère rituel presque grotesque de cette dynamique qui se poursuit depuis des années ne signifie pas que des coups bas dans les relations publiques ne peuvent pas devenir incontrôlables. C’est pourquoi la façon dont la guerre est régulièrement présentée devant le public dans plusieurs régions des Balkans ne doit pas être considérée comme une simple astuce de propagande bon marché. La menace est réelle et elle émane précisément de ceux qui sont en mesure de la concrétiser. Elle émane d’élites nationalistes solidement établies qui se sont révélées incapables d’offrir autre chose à la population que la haine, les drapeaux nationaux et le nationalisme. Lorsqu’elles perdront leur légitimité, elles se tourneront probablement vers les outils qui les ont amenées au pouvoir à l’origine. L’un de ces outils, c’est la guerre. La même chose peut se produire s’ils acceptent volontairement ou sont contraints de jouer un rôle mineur dans les grandes luttes géopolitiques par l’un ou l’autre de leurs bienfaiteurs superpuissants mondiaux.

Dans un contexte géopolitique instable, toutes sortes de tensions politiques peuvent déboucher sur une guerre. Malgré les calculs des dirigeants pour que cela se produise, la population qui a déjà tant souffert doit être convaincue que le nouveau conflit contre « l’autre » a un sens ou doit être forcée à l’accepter. En tout état de cause, l’objectif des anarchistes et autres anti-nationalistes dans les Balkans devrait être de ne pas permettre à cette ruse de prévaloir à nouveau. C’est pourquoi nous plaidons en faveur de la construction de réseaux transnationaux et nous y participons. C’est pourquoi nous nous rencontrons, communiquons, apprenons, construisons des ponts de soutien et de lutte et travaillons sur des projets communs. C’est pourquoi nous encourageons même les plus petits gestes de déloyauté à l’égard des récits officiels. C’est pourquoi, chaque fois que nous nous trouvons au milieu d’un authentique bouleversement social, nous nous opposons systématiquement à l’utilisation de drapeaux nationaux dans les rues, à l’utilisation de toute désignation ethnique et à l’utilisation d’autres symboles et d’autres expressions de l’idéologie nationaliste. Pour nous, les drapeaux nationaux, y compris ceux de la Slovénie et de la Croatie, représentent les crimes sur lesquels ces pays ont été et continuent d’être construits. Nous ne ressentons aucune allégeance à la nation slovène ou croate et, pour nous, la seule communauté à laquelle nous revendiquons notre allégeance est celle qui se constitue à travers la lutte mondiale contre l’oppression. Nous sommes convaincus que l’on ne peut pas faire grand-chose lorsqu’on est isolé dans sa propre zone géographique. Nous sommes également convaincus que l’on ne peut pas faire grand-chose si l’on est séparé de la société et des luttes sociales.

Dans un climat de guerre, il est important de créer des espaces de résistance anti-autoritaire contre tout ce qui permet et alimente la guerre. Lutter contre les États qui revendiquent les territoires dans lesquels nous vivons, contre les armées qui tentent de nous mobiliser, contre l’industrie militaire qui se nourrit des richesses que nous produisons, contre les dirigeants qui prétendent gouverner en notre nom et contre tout ce qui permet à la guerre de prospérer. Parmi les espaces dans lesquels il est nécessaire d’être présent et actif, il y a aussi l’espace du débat public d’une part et l’espace du mouvement anarchiste et antiautoritaire en particulier. Nous pensons qu’il est important de s’engager dans un échange d’informations, de points de vue et d’auto-organisation afin d’offrir une solidarité pratique à tous ceux qui en ont le plus besoin dans cette situation difficile. Nous n’avons pas peur d’un débat ouvert, en fait nous chérissons toute occasion où nos propres points de vue et positions sont remis en question dans un cadre respectueux et camarade. Cependant, nous n’acceptons pas et n’accepterons pas, au cours d’un processus commun de débat, une attitude condescendante ou un chantage émotionnel. Nous savons que les enjeux sont trop importants pour laisser nos émotions aveugler notre vision et nous paralyser dans des moments historiquement critiques et autrement importants.

Nous ne nous faisons pas d’illusions : cette guerre en Ukraine se poursuivra pendant longtemps. D’autres guerres viendront s’ajouter à la liste déjà longue tant que le capitalisme prospérera. Depuis le début du processus de rédaction de ce texte jusqu’à la version actuelle, une nouvelle guerre a éclaté au Soudan. Pour continuer à lutter contre cette réalité monstrueuse, nous aurons besoin de toute notre imagination et de toute notre audace, de toute notre analyse des événements historiques et actuels, de nos corps, de nos cœurs et nous aurons besoin de camarades. Nous espérons sincèrement que nous continuerons à les trouver partout dans le monde et qu’ils nous trouveront dans les combats présents et futurs pour abolir les conditions de la guerre partout.

Combattre le nationalisme, le patriarcat, l’impérialisme et la guerre !

Solidarité avec la classe ouvrière opprimée en Ukraine et en Russie !

Démanteler les frontières !

Pour la solidarité internationale des travailleurs !

Abolir les conditions de la guerre !

Détruire le capitalisme !

Postface : Défaitisme révolutionnaire

Guerre de Classe

Le défaitisme révolutionnaire tourne le dos à tout pacifisme même déguisé et radicalisé, c’est-à-dire qui ne donne aucune consigne concrète et précise en vue d’encourager et d’agir violemment pour la défaite de « son » camp, « sa » nation, « son » armée, « sa » bourgeoisie.

Tant que la dénonciation de la guerre capitaliste ne se limite qu’à revendiquer un retour à la période antérieure, à la paix (qui ne peut être que la paix sociale tant nécessaire au processus d’extraction de plus-value provenant de la mise au travail forcé des esclaves modernes que nous sommes), tant que les liens dialectiques entre la guerre et la paix capitalistes ne sont pas dévoilés dans toute leur évidence, tous ces manifestants pacifistes ne sont condamnés qu’à assister passivement à l’imposition d’une paix sociale encore plus terroriste, la paix des cimetières…

Au contraire de toutes ces pleurnicheries pacifistes, le défaitisme révolutionnaire signifie avant tout qu’aucun sacrifice n’est accepté au nom de l’intérêt de la nation, ce qui signifie l’organisation de luttes sociales par rapport aux conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, même lorsqu’une guerre est déclenchée et que « notre » bourgeoisie appelle à l’unité nationale. A un niveau plus avancé, cela signifie l’organisation du sabotage de l’économie, de la production, des convois d’armements… de tout le consensus nationaliste, parallèlement à l’organisation de l’évidente propagande défaitiste qui doit ébranler toute la société jusqu’aux fondements mêmes des certitudes ancrées chez les « idiots utiles » qui marchent encore au pas…

  • Le défaitisme révolutionnaire signifie l’organisation de toute action visant à saper le moral des troupes ainsi que d’empêcher l’envoi de prolétaires à la boucherie…
  • Le défaitisme révolutionnaire signifie l’organisation de la désertion la plus massive possible et la cessation des hostilités entre les prolétaires sous l’uniforme des deux côtés du front de guerre, ce qui signifie la transformation de la guerre entre prolétaires en une guerre entre les classes, c’est-à-dire la guerre de classe, la guerre dans les centres des superpuissances guerrières…
  • Le défaitisme révolutionnaire signifie l’encouragement à la fraternisation, à la mutinerie, au retournement des fusils contre les organisateurs de la guerre carnassière, c’est-à-dire « notre » bourgeoisie et ses laquais…
  • Le défaitisme révolutionnaire signifie l’action la plus décidée et la plus offensive en vue de transformer la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire pour l’abolition de cette société de classe, de misère et de guerre, pour le communisme.

Evidemment, le défaitisme révolutionnaire ne peut se concevoir dans un seul camp. Les directives de sabotage sont fonction de la nature internationale du prolétariat et s’adressent donc à notre classe dans le monde entier. Le défaitisme révolutionnaire signifie la lutte à outrance contre « sa » bourgeoisie dans tous les camps, dans tous les pays.

Si le prolétariat désire se débarrasser définitivement de la boucherie qui l’extermine, la seule et unique solution est la généralisation en actes du défaitisme révolutionnaire. Le développement de la lutte a ses exigences : elle doit briser la cohésion sociale non seulement des unités de l’armée, mais aussi de l’ensemble de la société. Pour cela, il faut en finir une bonne fois pour toute avec le nationalisme en réaffirmant haut et fort que les prolétaires n’ont aucun intérêt dans cette guerre, ni dans ce monde agonisant. Nous ne revendiquons qu’une seule guerre, celle qui nous oppose à nos exploiteurs, qu’ils soient ukrainiens, russes, américains, allemands, anglais, français, tchèques, israéliens, palestiniens ou autres.

  • Plus que jamais, nous réaffirmons notre soutien aux prolétaires en lutte partout dans le monde…
  • Nous appelons les prolétaires à dénoncer toute intervention militaire et à s’y opposer fermement par l’action directe, par le sabotage, par la grève généralisée et insurrectionnelle…
  • D’où que proviennent les avions et les navires de guerre, les missiles et les gaz toxiques, il y a toujours derrière des hommes et des femmes – des esclaves salariés – qui doivent les acheminer vers leur destination, remplir les réservoirs de kérosène… Seuls les prolétaires en lutte peuvent et doivent empêcher la machine guerrière de tuer, la machine de production de fonctionner…
  • Développons de nouveaux foyers de lutte, renforçons ceux déjà existant, appliquons la grève aux armées, aux usines, aux mines, aux bureaux, aux écoles… partout où nous subissons l’exploitation de ce monde de mort et de misère…
  • Contre notre propre bourgeoisie exploiteuse, contre notre propre État belliciste, aux USA, en Russie, en Ukraine, en France, en Grande Bretagne, dans les autres pays de l’Union Européenne, en Chine, en Iran, en Turquie, en Syrie, en Israël, en Palestine, etc., organisons et développons le défaitisme révolutionnaire.
  • Être patriote, c’est être assassin ! A bas tous les États !
  • Solidarité de classe avec les défaitistes révolutionnaires de tous les camps !
  • Retournons nos armes contre « nos » généraux, contre « notre propre » bourgeoisie !
  • Reprenons le drapeau de la révolution communiste mondiale !

1 « Pourquoi nous n’irons pas au festival ABC cette année », disponible en allemand https://barrikade.info/article/5900/. Également disponible en version anglaise sous le titre Why we won’t go to the ABC festival this year https://anarchistnews.org/content/why-we-wont-go-abc-festival-year/

2 « Invariance de la position des révolutionnaires face à la guerre – La signification du défaitisme révolutionnaire » https://www.autistici.org/tridnivalka/gci-icg-invariance-de-la-position-des-revolutionnaire-face-a-la-guerre-la-signification-du-defaitisme-revolutionnaire/

3 Source en anglais : https://bab2023.espivblogs.net/program/balkan-anarchists-against-war/theses-on-the-war-in-ukraine/

4 Ce texte a été écrit en mars 2023, comme contribution à une discussion transfrontalière entre camarades des Balkans intéressés par la préparation d’une publication commune sur la guerre, le capitalisme et les réponses anarchistes.

5 Source en anglais : https://bab2023.espivblogs.net/program/balkan-anarchists-against-war/capitals-war-in-ukraine/

6 El País international edition, “Ethiopia’s forgotten war is the deadliest of the 21st century” https://english.elpais.com/international/2023-01-27/ethiopias-forgotten-war-is-the-deadliest-of-the-21st-century-with-around-600000-civilian-deaths.html.

7 La couleur de la peau a été transformée depuis longtemps en un signe reconnaissable du droit incontestable de la civilisation occidentale à opprimer les autres. Mais la « blancheur » devient indifférente lorsque le profit est en jeu. La guerre en Ukraine a été décrite comme « la première guerre sur le sol européen après la Seconde Guerre mondiale », omettant commodément les guerres de Yougoslavie, une effusion de sang nationaliste utilisée pour la transformation des structures de pouvoir et la « restructuration » (= pillage) néolibérale ; les Ukrainiens sont devenus « Européens » lorsqu’ils ont commencé à être bombardés (les « vrais » réfugiés à la peau blanche comparés aux « faux » réfugiés à la peau foncée), avant ils n’étaient qu’une main-d’œuvre bon marché.

8 Il semble que les citoyens occidentaux pensent que mourir à la périphérie du capitalisme n’est pas quelque chose dont ils devraient se préoccuper, comme s’il s’agissait d’une sorte de tradition locale étrange, d’une habitude étrange qui perdure depuis des centaines d’années. En fait, on nous dit que nous ne devrions nous occuper d’eux que lorsqu’ils arrivent au seuil de la forteresse Europe et que nous devons alors les noyer dans la Méditerranée et dans la mer Égée et les humilier, les battre, les violer aux frontières terrestres des Balkans. Mais la périphérie se rapproche de plus en plus des pays capitalistes centraux et les méthodes qui y sont appliquées sont importées dans les pays centraux.

9 https://dndf.org/wp-content/uploads/2020/05/Lappel-constantdu-nationalisme_F_Perlman-2011.pdf

10 The Art of Not Being Governed – An Anarchist History of Upland Southeast Asia, 2009 [en traduction française : « Zomia ou l’art de ne pas être gouverné », 2013 https://ec56229aec51f1baff1d-185c3068e22352c56024573e929788ff.ssl.cf1.rackcdn.com/attachments/original/8/5/3/002598853.pdf

11 Esclaves échappés des Amériques et des îles de l’océan Indien qui ont formé leurs propres colonies entre le 16e et le 19e siècle).

12 https://npnf.eu/IMG/pdf/the_orie_critique_et_impe_rialisme.pdf

13 “How Russia Is Surviving the Tightening Grip on Its Oil Revenue”, The New York Times, 7 février 2023.

14 “US oil producers reap $200bn windfall from Ukraine war price surge”, Financial Times, 5 novembre 2022.

15 Ukraine Support Tracker, 21.02.2023

16 Jusqu’au début de 2023 : 142 véhicules de combat d’infanterie BMP-1 avec toutes les munitions de leurs mitrailleuses, 15 000 missiles de 73 mm, 2 100 roquettes de 122 mm, 20 000 fusils d’assaut AK-47 Kalachnikov, 3 200 000 cartouches de 7,62 mm, 60 MANPAD FIM-92 Stinger, 17 000 missiles d’artillerie de 155 mm et 1 100 roquettes antichars RPG-18.

17 Jusqu’au 5 décembre 2022, date à laquelle l’interdiction du brut russe par l’UE est entrée en vigueur, les compagnies maritimes grecques « fournissaient presque la plus grande flotte de pétroliers pour le transport du pétrole russe. » (“How Greek Companies and Ghost Ships Are Helping Russia”, Foreign Policy, 23 novembre 2022). Entre le 24 février 2022 et le 5 janvier 2023, des pétroliers grecs d’une capacité totale de 135,8 millions de tonnes ont quitté la Russie, transportant du pétrole, du charbon et du gaz – « Les compagnies maritimes grecques dominent les exportations de combustibles fossiles en provenance de Russie » (“Europe continues to finance Russia’s war in Ukraine with lucrative fossil fuel trades”, Investigate Europe, 27 janvier 2023). Entre-temps, ils ont préparé le terrain pour que les profits continuent de s’accumuler après l’entrée en vigueur des sanctions annoncées au printemps 2022 (5 décembre 2022, interdiction par l’UE du pétrole brut russe, 5 février 2023, interdiction par l’UE des produits pétroliers russes raffinés) : « Des dizaines de millions de barils de pétrole russe transbordés au large de la Grèce – Les opérations de transbordement se déroulent dans les eaux internationales » (“A Bay Off Southern Greece Becomes a Cog in Russia’s Oil Supply Chain”, Bloomberg, 23 février 2023].

18 Shimshon Bichler et Jonathan Nitzan, “Growing Through Sabotage. Energizing Hierarchical Power”, Review of Capital as Power, Volume 1, issue 5, 2020.

19 BRI : Banque des règlements internationaux. Créée après la Première Guerre mondiale pour « régler » la dette des gagnants et des perdants, elle était contrôlée par un conseil d’administration représentant les principales banques nationales européennes et les banques privées américaines. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la banque a continué à fonctionner et à faire de l’argent peu importe ceux qui semblaient être les vainqueurs. Elle a suscité la « controverse » parce qu’elle a accepté l’or confisqué aux pays occupés par les nazis, ou transformé en lingots les bagues et les dents en or des victimes de l’holocauste, pour transférer le tout dans les sous-sols de la BRI en Suisse. C’est la principale raison pour laquelle de nombreuses personnes ont demandé son abolition après la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’économiste anglais John Keynes a insisté sur l’importance de conserver les principales fonctions de la BRI sous un nouveau nom (FMI et Banque mondiale), tandis que la BRI elle-même est restée active à un très faible niveau, se contentant de réguler les monnaies européennes, jusqu’à l’introduction de l’euro. Dans les années 1990-2000, la BRI s’est mondialisée avec succès et son rôle est devenu plus important après la crise financière de 2007-2008.

20 Alejandro Marcó del Pont, “Un experimento neoliberal llamado Ucrania https://eltabanoeconomista.wordpress.com/2023/03/12/un-experimento-neoliberal-llamado-ucrania/.

21 Volodymyr Ishchenko, “Behind Russia’s War Is Thirty Years of Post-Soviet Class Conflict”, Jacobin magazine, 10 mars 2022. [en traduction française : « La guerre en Ukraine et le conflit de classe dans l’espace post-soviétique » https://www.contretemps.eu/la-guerre-en-ukraine-et-le-conflit-de-classe-dans-lespace-post-sovietique/]

22 http://www.trudprotest.org/2022/03/трудовые-протесты-в-россии-в-2021-г-часть-3/

23 “Fiery Anniversary. The special review of subversive news from Russia”, 27 février 2023, https://libcom.org/article/fiery-anniversary-special-review-subversive-news-russia/

24 Guerre gréco-turque de 1897, conflit armé pour la Macédoine 1904-1908, première guerre balkanique 1912, deuxième guerre balkanique 1913, Première Guerre mondiale 1914-1918, participation à l’« intervention en Russie méridionale » contre le régime bolchevique 1919, guerre gréco-turque de 1919-1922, dictature militaire de 1936, la Grèce dans la Deuxième Guerre mondiale 1940-1944, guerre civile 1946-1949.

25 Bien que nous ne soyons pas sûrs que le passage du stalinisme patriotique au confédéralisme démocratique se soit fait par choix ou par nécessité et que nous ne puissions que trouver un peu étrange que l’organisation horizontale ait été décidée par la direction d’une organisation hiérarchique, il n’est que souhaitable que les nouvelles générations de rebelles kurdes ou d’autres origines s’éloignent du nationalisme, du culte de la personnalité, du martyre, etc. – il va sans dire qu’il ne semble pas y avoir de meilleur choix dans la région et que l’expérience du Rojava doit être défendue contre ses ennemis.

26 Angry Workers, “Thoughts on the Ukraine war: Initial positions revisited after one year of bloodshed”, 11 février 2023 https://www.angryworkers.org/2023/02/11/thoughts-on-the-ukraine-war-initial-positions-revisited-after-one-year-of-bloodshed/

27 Pour en savoir plus sur le « capitalisme politique », voir : Volodymyr Ishchenko, “Behind Russia’s War Is Thirty Years of Post-Soviet Class Conflict”, Jacobin magazine, 10 mars 2022. [voir note 14]

28 Combattre non pas contre « l’ennemi », mais contre les choix des classes dirigeantes qui ont envoyé leurs classes inférieures au combat.

29 Voir https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2022/03/10/dimanche-13/

30 Voir https://www.transnational-strike.info/2022/03/22/a-permanent-assembly-against-the-war/ [voir aussi en français : https://www.transnational-strike.info/2022/07/18/manifeste-pour-une-politique-de-paix-transnationale/]

31 Peter Linebaugh et Marcus Rediker, “The Many-Headed Hydra. The Hidden History of the Revolutionary Atlantic”, 2000. [en traduction française : « L’hydre aux mille têtes. L’histoire cachée de l’Atlantique révolutionnaire », 2008]

32 Source en anglais : https://bab2023.espivblogs.net/program/balkan-anarchists-against-war/your-wars-our-dead/

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