Souvenirs du Futur

Considérations programmatiques sur les « images du futur » qui émergèrent durant le soulèvement de décembre en Grèce, et autres perspectives du mouvement prolétarie

« Les révolutions prolétariennes (…) se critiquent elles-mêmes constamment, interrompent à chaque instant leur propre cours, reviennent sur ce qui semble déjà être accompli pour le recommencer à nouveau, raillent impitoyablement les hésitations, les faiblesses et les misères de leurs premières tentatives, paraissent n’abattre leur adversaire que pour lui permettre de puiser de nouvelles forces de la terre et de se redresser à nouveau formidable en face d’elles, reculent constamment à nouveau devant l’immensité infinie de leurs propres buts, jusqu’à ce que soit créée enfin la situation qui rende impossible tout retour en arrière, et que les circonstances elles-mêmes crient : Hic Rhodus, hic salta ! C’est ici qu’est la rose, c’est ici qu’il faut danser ! »
Karl Marx (Le dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte)

« Plus rien ne sera jamais comme avant », insista avec émotion la classe dirigeante après le 11 septembre 2001, afin d’obtenir le consentement des citoyens envers la « guerre contre le terrorisme ». En fait, elle n’a fait que largement intensifier l’attaque sur nos vies, à nous travailleurs de toutes sortes, mais il n’y eut aucun changement qualitatif. Tout autour du monde, nous avons continué à être exploités, étrangers à nous-mêmes, objectivés et dépossédés de notre humanité (physiquement, socialement et mentalement), dans un monde brillant de marchandises. Nous avons été un peu plus surveillés et contrôlés afin de ne pas être privés de notre liberté par de « méchants terroristes », liberté qui n’est pour nous que la liberté de vendre notre force de travail jour après jour et de perdre notre vie année après année, comme nous insufflons continuellement la vie au capital. Comme des batteries humaines à la Matrix ! Comme une proie à un vampire ! C’est alors que, dans le cadre de la guerre de l’Etat bourgeois contre le « terrorisme », un flic sans importance à Athènes a exécuté de sang-froid un adolescent qui avec ses copains jeta une bouteille d’eau en plastique contre une voiture de patrouille. C’était le 6 décembre 2008. Soudain, il y eut un réel changement qualitatif pour nos frères et sœurs de classe…

En effet, comme si toutes les « issues de secours » avaient été coupées, les médiations et les promesses démocratiques du Premier ministre Karamanlis, selon lesquelles il y aurait une enquête approfondie et les coupables seraient punis légalement, cessèrent d’être efficaces. Notre classe commença à danser frénétiquement, parce que se mit à fleurir la rose d’un ardent désir de détruire le vieux monde du capital, afin de venger Alexandros et nos propres vies perdues. Au milieu de cette magnifique destruction, le prolétariat commença à créer un nouveau monde de personnes avec une exquise légèreté. À la fin de 2008, la vague de violence des insurgés s’est atténuée, mais le mouvement prolétarien, de toute évidence, n’a pas disparu. Il ne s’est pas dissipé une fois de plus dans la société démocratique des citoyens obéissants, des consommateurs passifs et des ressources humaines, comme si rien ne s’était passé. Le soulèvement de classe a produit un changement dans le cadre du rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie – c’est toujours la bourgeoisie qui dirige en Grèce (et pas seulement en Grèce), mais durant une période de quatre mois, elle est restée choquée par le développement soudain de la force du prolétariat et fut incapable de réagir de manière appropriée. Comme la fumée provenant de l’incendie du monde de la propriété privée et de la marchandise absorba les nuages de gaz lacrymogène, créant ainsi un espace où il fut possible de respirer, de lutter et de vivre, la conflagration du soulèvement donna naissance à l’autonomie prolétarienne. Jusqu’à présent, il s’agit d’un nouveau-né et le temps nous dira si les révolutionnaires1 qui prétendent qu’à la suite de décembre 2008, « plus rien ne sera jamais comme avant » pour le prolétariat en Grèce, ont raison ou non.

Ce qui est sûr, c’est le fait que « après plusieurs décennies réapparu en Europe le spectre d’une révolte prolétarienne et de la lutte de classe ouverte contre le capitalisme », comme nous l’écrivions dans notre Déclaration de Solidarité avec les Prolétaires en Lutte et Inculpés en Grèce. La bourgeoisie européenne et ses représentants politiques semblent être confiants en eux-mêmes. Si, en fonction de leurs proclamations publiques, la crise économique ne les inquiète que modérément, alors le soulèvement en Grèce et les émeutes en Islande, Bulgarie, Lettonie ou en Martinique et en Guadeloupe « existent à peine » pour eux. Néanmoins, ils prirent peur. Cela est visible, par exemple, au regard de la précipitation avec laquelle une réforme de l’enseignement secondaire en France fut suspendue, ce qui fut motivé par la crainte que les élèves français du secondaire pourraient suivre l’exemple de leurs homologues grecs2. En outre, nous ne devons pas oublier que les grands médias bourgeois (en particulier ceux de la République tchèque) ont plus ou moins gommé la Grèce de la carte du monde – sans doute parce que le terrain était encore chaud là-bas.

C’est pourquoi nous revenons une fois de plus sur ce mouvement. Nous le considérons comme un moment extrêmement important dans la lutte mondiale de la classe ouvrière de l’époque actuelle. Nous ne voulons ni reconstituer une nouvelle chronologie de la révolte de décembre, ni recycler l’analyse des camarades grecs de groupes communistes comme Ta Paidia Tis Galarias (TPTG) et Blaumachen3. Nous préférerions plutôt faire ce qui nous a manqué dans tout cela et ce que nous pensons urgent de faire. Nous voulons faire un résumé de ce que les prolétaires insurgés en Grèce montrèrent et donnèrent au reste de la classe ouvrière aux quatre coins du monde, y compris le petit étang putréfié de la paix sociale en République tchèque. Nous tenons également à envisager de parler d’une éventuelle poursuite du développement des luttes prolétariennes, pas seulement en Grèce, même avec le risque que nous allons avancer sur le terrain glissant des suppositions. Mais, comme le dit un communiste du groupe français appelé Troploin : « L’exercice est périlleux, mais mieux vaut se tromper qu’écrire des textes sans enjeu. »4

Considérations Programmatiques Générales sur le Soulèvement

Au cours de la longue période du triomphe quasi complet de la contre-révolution capitaliste, tant à l’Ouest qu’à l’Est de l’Europe, le prolétariat dans cette zone géographique fut plutôt une « non-classe » de citoyens qu’une catégorie de travailleurs qui luttent pour leurs intérêts, s’organisant en classe et ayant conscience de cela. Mais précisément, cette « non-classe » ne peut jamais être qu’une classe exploitée, la classe du capital. Il y a toujours un certain degré de résistance, même le plus petit, qui reflète l’antagonisme de classe, qui est la base durable du capitalisme. Nous sommes aussi toujours la classe contre le capital, la classe révolutionnaire. Le lien entre ces deux pôles de l’existence du prolétariat est le processus de la lutte de classe, dans lequel nous essayons de parvenir à la satisfaction de nos besoins humains par rapport aux besoins du capital.

Au moins depuis la mi-2008, les syndicats en Grèce ont donné libre cours à la colère montante des prolétaires grâce aux manifestations contre la réforme des retraites. En octobre, elles se transformèrent en une grève générale syndicale, et au cours d’une manifestation à Athènes, les ouvriers les plus radicaux attaquèrent des banques, des magasins et affrontèrent la police. À l’automne, la lutte fut généralement plus intense, une période agitée commença. En octobre les lycéens occupèrent leurs établissements afin de protester contre une réforme de l’école. Une grève sauvage et une manifestation des travailleurs du textile, dont les salaires n’avaient pas été payés pendant quatre mois, s’acheva aussi en un conflit violent avec la répression d’État. Au début du mois de novembre, il y eut des manifestations d’immigrés pour protester contre le meurtre d’un demandeur d’asile pakistanais par la police, qui s’achevèrent en affrontements de rue contre les flics anti-émeute. Dans la ville de Volos, les habitants manifestèrent contre l’agressivité croissante de la police, et finalement, ils attaquèrent le siège de la police. Il y eut aussi de rituelles manifestations d’extrême-gauche et des affrontements avec la police autour de l’anniversaire du soulèvement de l’Université Polytechnique d’Athènes en 1973. Dans les 21 prisons grecques, il y eut une grève de la faim largement soutenue par les familles et les amis des détenus, par des anarchistes et d’autres militants de classe de l’extérieur. À Corfou, il y eut des émeutes de la population locale contre l’ouverture de nouvelles décharges publiques : la police causa la mort d’un des rebelles, qui leur rendirent la monnaie de leur pièce en lynchant deux de ces porcs. Au début du mois de décembre, il y eut une grève de deux jours des infirmières, qui occupèrent le Ministère de la Santé. Il devint clair que l’État utilisera les lois antiterroristes nouvellement adoptées, non pas tant contre la chimérique bande de Ben Laden qu’à l’encontre de tous les trop réels prolétaires en rébellion. Et par-dessus le marché, l’annonce de la crise mondiale débutante fit irruption…

Par conséquent, le soulèvement de décembre n’émergea pas dans un ciel azur. Il fut précédé par une série de luttes qui s’étendirent bien avant l’automne 2008 mentionné ci-dessus. Dans ces luttes, des sections minoritaires et souvent isolées de notre classe se sont affrontées, à un niveau ou l’autre, au Capital et à l’Etat. Les prolétaires accumulèrent de l’expérience, de la réflexion, discutant avec d’autres, rencontrant de nouvelles personnes. De la même façon, le terreau de la subjectivité de classe fut cultivé avant même le coup de feu fatal. Néanmoins, il est un fait indiscutable que la révolte éclata « spontanément », en ce sens qu’elle a grandi « sur le sol de la société moderne »5, sur la contradiction entre travail salarié et Capital (qui passe par l’ensemble du réseau des rapports sociaux), sur la lutte de classe elle-même et non grâce au travail d’agitation antérieur, inlassable et des tonnes de pavés lancés, comme le pensent certains anarchistes6, qui ne se sont pas encore complètement débarrassés de la politique bourgeoise et croient qu’il est possible de préparer de manière volontaire l’émergence du sujet révolutionnaire, et donc de la révolution, par le biais d’un certain type d’activisme.

En fait, la force des émeutes – bien qu’elles aient été « allumées » par des anarchistes (qui furent les premiers dans la rue, comme toujours en Grèce), leurs flammes s’étendirent dans toutes les directions principalement grâce à l’action de milliers d’étudiants de l’enseignement secondaire7 et universitaire « politiquement inorganisés » et de jeunes travailleurs – surprit tout le monde, y compris les « spécialistes du changement social » de l’extrême gauche. Un des insurgés écrivit à propos de cette question :

« Permettez-moi de dire que ce n’est pas – et ce ne pouvait être, compte tenu de l’ampleur des ‘méfaits’ – l’action des ‘anarchistes’. Bien entendu, les anarchistes et les autonomes sont partout en première ligne, mais ces actes sont d’ordre social. Il ne s’agit pas seulement de l’assassinat ou de la répression étatique : il y a un sentiment croissant de révolte, contre l’économie, contre la pauvreté, contre la perte d’emplois etc. Cela devait éclater d’une façon ou d’une autre. »

« Cela échappe à tout contrôle, au point que les insurrectionistes ne peuvent pas empêcher des milliers d’adolescents masqués de 15 ans – inorganisés et avec insuffisamment de ‘munitions’ – d’attaquer les flics. Bientôt, les gamins apprennent à s’organiser avec les autres. »

« Nous savons que des rapports continuent d’arriver sur telle petite ville où il n’y a pas de radicaux organisés, quoique ‘20 jeunes masqués ont attaqué le commissariat de police avec 10 bombes incendiaires’. Cela se passe tous les soirs. Des manifestations ont lieu dans presque toutes les villes. Par exemple, à Athènes, lors des manifestations elles-mêmes, il y eut des attaques autonomes contre des banques dans différentes zones de la ville. » [notre traduction, NdT]8

Dans le même temps, il est impossible d’établir une relation linéaire entre ces luttes isolées et limitées, et le soulèvement de décembre. Jusque là, à l’exception de quelques révolutionnaires et du milieu d’ultragauche, le reste de la classe n’avait pas prévu un tel soulèvement massif et subversif, et absolument personne ne l’avait envisagé. Toutefois, la soudaine et violente explosion de colère et de frustration accumulée à Athènes, a immédiatement conduit à la multiplication d’actes collectifs de même nature dans toute la Grèce. Sous certaines conditions, la quantité se transforme en qualité : éclosion de l’autonomie prolétarienne, lutte sans revendications et sans médiateurs, transformation de la lutte, qui ne concerne plus seulement un aspect de la vie, mais qui prend pour cible toute la toile des rapports sociaux et des structures capitalistes9.

Un des symptômes de la croissance de l’autonomie fut l’influence négligeable sur les rebelles de tous les médiateurs traditionnels – les formes établies de la social-démocratie, comme les syndicats officiels et les partis de gauche de toutes sortes. Au cours de la lutte, la vieille social-démocratie s’est elle-même discréditée encore plus aux yeux des autres prolétaires, alors qu’elle se situait activement du côté de l’ordre capitaliste contre le soulèvement violent, et qu’elle appelait au calme et à la non-violence et qu’elle dénonçait les rebelles comme étant des « encapuchonnés », des « provocateurs » et des « agents de l’État ». À cet égard, le rôle dirigeant fut joué par le soi-disant Parti Communiste Grec (KKE) et le PASOK « socialiste », appuyée avec succès par la nouvelle coalition de gauche SYRIZA et quelques trotskistes (par exemple, le Comité pour une Internationale des travailleurs) et des « anarchistes », qui présentèrent leurs excuses pour leurs homonymes plus révolutionnaires qui utilisaient des cocktails Molotov.

Et ce ne fut pas une « multitude » qui s’insurgea dans cette lutte autonome, une « multitude » de différents groupes sociaux qui n’auraient en commun que quelques faits généraux d’oppression ou d’exploitation, ce qui signifierait quelque chose de différent pour chacun d’eux.10 Les catégories par lesquelles le capital nous sépare dans la vie normale (étudiants de l’enseignement secondaire ou universitaires, jeunes travailleurs précaires, travailleurs âgés avec plus ou moins d’emplois stables, immigrants d’une énième génération et de tel ou tel pays, femmes, chômeurs, junkies…) ne se sont pas transformées en diverses luttes fondamentalement indépendantes qui continueraient leur chemin séparément l’une de l’autre et s’entremêleraient peu à peu. Au contraire, toutes les divisions se sont rapidement effondrées, puisqu’il n’y avait qu’une seule lutte durant le soulèvement et qu’elle fut menée de la même manière. Il est évident qu’il y avait quelque chose de plus profond qui unit les rebelles : des conditions d’existence essentiellement identiques qui les placèrent dans la position de la classe exploitée, celle du prolétariat. Grâce à leur révolte, leur unité d’action, ils se sont affirmés en tant que classe.

Il est inévitable et sans doute important de noter la « composition de classe » des participants à la révolte. Afin surtout de comprendre les limites du soulèvement, mais pas son contenu. Cela peut nous aider à saisir plus clairement le fait que ce n’était pas le prolétariat dans son ensemble qui s’insurgea, mais seulement sa plus petite partie, alors que la plus grande partie s’est limitée à un soutien passif. Ce fut peut-être un soutien de la majorité (toutefois, seulement en Grèce !), mais après tout ce fut un soutien passif de « téléspectateurs ». Ce qui fut une faiblesse d’autant plus essentielle, c’est que cette partie passive était une partie du prolétariat qui a un boulot, qui ne diffusa pas la révolte sur leurs lieux de travail. Elle ne réussit pas à se reconnaître pleinement dans la critique sociale des rebelles, à l’accomplir pratiquement et à l’appliquer à sa vie et au travail salarié. En d’autres termes, « il n’y eut pas de paralysie de l’économie capitaliste, ce qui signifie qu’il n’y eut pas non plus d’attaque contre le travail salarié et la production pour le profit. »11 Ainsi, dans la banlieue d’Athènes Agios Dimitrios, des travailleurs locaux occupèrent l’hôtel de ville, mais à l’exception d’employés municipaux, qui ont pris part à l’occupation, ils ne réussirent pas à activer leurs collègues de travail.

Toutefois, la « composition de classe » ne nous révèlera rien sur la nature sociale des actes de rébellion, parce que dès leur déclenchement cette nature émergea des contradictions entre le travail salarié et le Capital, de l’essence de la situation de la vie du prolétariat en général, et non pas d’une situation momentanée d’une certaine partie des esclaves salariés. Par conséquent, dans le soulèvement, le prolétariat commença d’abord à agir conformément à ses intérêts historiques qui sont invariables et non pas connectés à la « composition de classe ». Les mots de Marx et Engels des profondeurs du 19ème siècle sont toujours valables :

« Dans le prolétariat pleinement développé se trouve pratiquement achevée l’abstraction de toute humanité, même de l’apparence d’humanité ; dans les conditions de vie du prolétariat se trouvent condensées toutes les conditions de vie de la société actuelle dans ce qu’elles peuvent avoir de plus inhumain. Dans le prolétariat, l’homme s’est en effet perdu lui-même, mais il a acquis en même temps la conscience théorique de cette perte ; de plus, la misère qu’il ne peut plus éviter ni retarder, la misère qui s’impose à lui inéluctablement – expression pratique de la nécessité –, le contraint directement à se révolter contre pareille inhumanité ; c’est pourquoi le prolétariat peut, et doit nécessairement, se libérer lui-même. Or il ne peut se libérer lui-même sans abolir ses propres conditions de vie. Il ne peut abolir ses propres conditions de vie sans abolir toutes les conditions de vie inhumaines de la société actuelle, que résume sa propre situation. (…) Il ne s’agit pas de savoir quel but tel ou tel prolétaire, ou même le prolétariat tout entier, se représente momentanément. Il s’agit de savoir ce que le prolétariat est et ce qu’il sera obligé historiquement de faire, conformément à cet être. Son but et son action historique lui sont tracés, de manière tangible et irrévocable dans sa propre situation, comme dans toute l’organisation de la société bourgeoise actuelle. »12

Ce « but » et cette « action historique » du prolétariat, c’est le communisme, et c’est ainsi depuis le tout début de notre classe dans l’histoire. Depuis les premières révoltes et grèves jusqu’à aujourd’hui, chaque fois que nous, les prolétaires, nous luttons en tant que classe pour nos intérêts, et donc forcément contre les intérêts du Capital et de ses gestionnaires bourgeois (qu’ils portent des hauts-de-forme ou fument des cigares, ou qu’ils nous agitent des drapeaux rouges avec des marteaux et des faucilles13, ou qu’ils soient en forme et mince, en costume et avec de coûteuses voitures), notre mouvement est inséparable du communisme. Par son essence, il engendre et exprime programmatiquement la tendance communiste : un mouvement, une force historique agissant pour le renversement de la contradiction agonisante de notre position sociale – d’une part, nous reproduisons et multiplions le Capital grâce à notre travail salarié et d’autre part, nous reproduisons et multiplions notre propre dépossession et aliénation. Ce qui signifie que nous reproduisons historiquement la misère croissante de notre « vie », c’est-à-dire la classe prolétarienne, et en même temps la richesse et le pouvoir de la classe bourgeoise. A travers le communisme comme mouvement de lutte révolutionnaire prolétarienne, nous nous efforçons de surmonter cette contradiction qui nous emprisonne : en refusant le travail salarié et par son abolition complète, nous avons trouvé le talon d’Achille du capitalisme. De cette façon, nous liquidons le rapport social le plus fondamental, sur lequel repose ce système ; nous nous abolissons en tant que classe ouvrière pour le Capital et, par conséquent, nous supprimons aussi la bourgeoisie et tous les rapports et structures de la société de classes. En même temps, nous la surpassons aussi positivement, par le biais de la communisation de nos rapports mutuels et de l’imposition d’une nouvelle communauté mondiale d’êtres humains libres.

Même le soulèvement de décembre en Grèce ne fit pas exception et comme un puissant mouvement de classe, il montra une évidente tendance communiste. La pratique de la lutte ouvrière, par conséquent, révéla à tous les efforts visant à séparer théoriquement les luttes « immédiates » et « historiques » ou les luttes « économiques » et « politique »14 en tant que constructions idéologiques qui sont plus un lourd héritage des influences de la social-démocratie qu’une analyse de classe utile. De même qu’il y a une tendance à la suppression complète et définitive de l’exploitation actuelle (au moins de manière embryonnaire) dans toute véritable lutte de classe pour une réduction du niveau de l’exploitation, il y a aussi la tendance communiste présente pratiquement dans toute révolte du prolétariat, même si ce n’est pas une révolution généralisée.

Les violents affrontements des rebelles avec la police dans les rues de nombreuses villes grecques ne sont pas seulement une réaction émotionnelle « immédiate » à la mort d’Alexandros (ou, éventuellement, à d’autres victimes du terrorisme d’Etat). Le soulèvement était déjà partiellement en train de développer des éléments d’une insurrection armée contre l’Etat bourgeois et le pouvoir en général, et pas uniquement lorsque 600 Roms à Zefyri attaquèrent un poste de police, et que certains d’entre eux tirèrent même avec leurs fusils de chasse et blessèrent deux porcs. Tout d’abord, les révoltés attaquèrent les forces répressives de l’État de diverses manières, notamment par des attaques ciblées contre la police. Mais ils attaquèrent aussi l’État bien plus largement : certaines de ses tentacules furent visées, comme des syndicats, des écoles, des médias ou des troupes d’assaut fascistes. Deuxièmement, elle eut ses éléments d’organisation sous la forme de petits groupes de combat de militants (soit des amis jusque là « apolitiques », soit par exemple des anarchistes, qui ont été sans aucun doute à cet égard un important élément de l’organisation15), qui se connaissent bien et se font mutuellement confiance, et de coordination par le biais de téléphones mobiles, d’emails et de blogs16. Les cocktails Molotov, pavés, bâtons, pots de fleurs des balcons, le plomb… simplement tout ce qui en décembre déferla sur les commandos de la police du parti capitaliste de l’ordre, furent par conséquent les munitions de la révolte de classe, qui déjà contenait nécessairement certains aspects de l’insurrection qui devrait détruire les structures de l’État et leurs forces armées à travers la centralisation des assauts révolutionnaires.

Les rebelles attaquèrent également sans scrupules la propriété privée. Ils démolirent et brûlèrent des banques, des concessionnaires automobiles, de petits et grands magasins. Ils pillèrent des supermarchés. Dans tout cela, il n’y a pas seulement la joie extatique et éphémère de détruire le monde du capital et des marchandises qui nous aliène. Il y a également les premiers gestes, par lesquels les prolétaires exprimèrent la tendance à imposer leur propre dictature sociale des besoins humains sur le capital – la dictature du prolétariat communisant immédiatement les rapports sociaux. C’est visible non seulement dans l’appropriation directe des marchandises par le pillage et leur redistribution sans aucune médiation, ni par l’argent ni par aucune autre expression de la valeur d’échange. C’est aussi visible dans l’appropriation de l’espace et du temps, structurés et utilisés par le Capital, et dans la formation de nouvelles relations parmi les rebelles, dans leur auto-organisation. Par exemple, les mêmes radicaux qui occupèrent les universités d’Athènes et combattirent la police, organisèrent également des expéditions de pillage des centres commerciaux, afin de saisir de la nourriture, qui fut ensuite utilisée pour la cuisine collective, et distribuée à d’autres. Les violentes émeutes transformèrent aussi l’espace urbain et le temps passé dans les rues : ils transformèrent l’espace de la circulation rapide et efficace des marchandises en un lieu de rencontre et de lutte collective des gens. Le mouvement fit donc en pratique la critique unitaire des rapports sociaux.

Les occupations d’écoles secondaires, de départements universitaires, de mairies, de sièges syndicaux et autres bâtiments leur ôtèrent la fonction qu’ils ont pour le Capital et leur en donnèrent une nouvelle, une prolétarienne : un espace pour l’auto-organisation du mouvement militant sous la forme de petits groupes de combat de rue, d’assemblées « populaires » ou « générales ». Et, comme les camarades de TPTG et de Blaumachen17 le montrent très bien, ces assemblées ne sont pas nées comme une reproduction de la médiation démocratique entre des individus atomisés, comme une version plus participative à la société civile. Au contraire, elles furent déjà le reflet de rapports non-aliénés et de la centralisation organique de la lutte, ce qui conduit naturellement à l’émergence du parti mondial de la révolution prolétarienne, le parti de l’Anarchie, le parti communiste qui est aussi une préfiguration d’une communauté humaine communiste mondiale18. Tant qu’elle est l’expression d’une dynamique de lutte prolétarienne, l’auto-organisation n’a rien de commun avec la démocratie. C’est même exemplifié par une note d’un révolutionnaire de Grèce, « … je ne dirais pas que ceux qui votent contre l’occupation sont tolérés – nous ne faisons plus de démocratie. » [notre traduction, NdT]19 Mais l’expérience historique nous apprend que, dès que la dynamique diminue et que le rapport de forces est à nouveau fortement en faveur de la bourgeoisie, toutes ces assemblées dégénèrent, se démocratisent et se retournent contre notre classe, qui leur insufflaient la vie.20

Le communisme est vraiment « un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux »21. C’est la raison pour laquelle la dictature du prolétariat n’est pas seulement une phase finale de la lutte révolutionnaire et la communisation n’est pas une sorte de cerise sur le gâteau qui viendra comme une fin heureuse. Dictature du prolétariat et communisation sont un seul et même processus qui commence dès le premier moment de la révolution et qui existe également en tendance dans les luttes pré-révolutionnaires. La Grèce est pleine d’exemples pratiques…

Toutefois, la grande part des rebelles à l’origine, qui ne proviennent pas du milieu de l’ultra-gauche grecque, s’est retirée de ces émeutes le jour de Noël. Il est impossible de continuer indéfiniment des émeutes. En dépit du fait qu’elles contenaient déjà des caractéristiques d’une insurrection armée et du pouvoir prolétarien de communisation, notre classe n’a pas eu suffisamment de force et de détermination pour passer à l’insurrection et détruire l’État. Ainsi, à la fin de la journée, les émeutes restaient au niveau de rebelles se mesurant à la police, ce qui expose ses participants à bien des dangers, sans mener plus loin, et c’est ce qui commença à épuiser les gens. Le soulèvement déclina.

Une Perspective Révolutionnaire ?

Ceux qui parlèrent d’insurrection en décembre ou attendirent une révolution immédiatement, se laissèrent quelque peu prendre à un optimisme naïf, et pourtant compréhensible. C’est une conséquence inévitable de plusieurs décennies d’existence misérable au bord du désespoir causée par la domination totale de la contre-révolution. Précisément, grâce à cette domination et à la non-existence, depuis quelques temps, d’une autonomie prolétarienne continuelle, dans laquelle pourrait prendre place un développement rapide d’une perspective révolutionnaire, il n’était pas réaliste d’attendre une matérialisation immédiate et complète de la tendance communiste dans une insurrection organisée et coordonnée. Mais le soulèvement de décembre fut peut-être le commencement d’un voyage. Peut-être prouvera-il qu’il est le début d’un processus qui mène à la révolution. N’oubliez pas que la révolution prolétarienne n’est pas limitée à une seule action qui emportera tout le capitalisme d’un coup, mais c’est l’ensemble des actions collectives qui mènent à sa subversion violente et son élimination. Aucune des révolutions prolétariennes, que ce soit celle de Russie en 1917, d’Allemagne en 1918 ou d’Espagne en 1936, ne furent une offensive magnifique, prenant d’assaut le Palais d’Hiver, mais un processus contradictoire s’étalant sur plusieurs années qui seulement commença dans ces années respectives. Et elles furent aussi précédées par une série de luttes ou de soulèvements comme celui de l’année dernière en Grèce.

Au contraire, les situationnistes en France, par exemple, ont immédiatement proclamé Mai 1968 comme étant une révolution, bien que ce ne fût pas une révolution, puisque ces événements n’ont pas transformé le rapport de forces en faveur du prolétariat, dans la mesure où la question de détruire le pouvoir politique et économique de la bourgeoisie et d’imposer le pouvoir social du prolétariat n’a pas été immédiatement posée. Mai 1968 ne fut qu’un soulèvement de classe. Décembre 2008 fut identique, mais si nous avons déjà prononcé ce « peut-être », nous aimerions nous poser ouvertement la question : « Quoi d’autre ? »

Premièrement, nous devons dire que nous n’avons pas de réponse définitive. Il nous manque beaucoup d’éléments importants qui ne peuvent être fournis que par la pratique du mouvement en Grèce lui-même. Assurément, nous pouvons dire qu’il n’y a aucune perspective directe de révolution sociale en Grèce, comme le mouvement y est absolument isolé. Au moins, il n’y a rien de semblable dans les pays européens ni – on peut le dire – à l’échelle mondiale. Il n’est pas question pour nous de se laisser duper sur le fait que des grèves sauvages sporadiques et de courte durée en Grande-Bretagne, des émeutes éphémères dans les Pays baltes, une vague de grèves isolée en Egypte ou une mutinerie militaire au Bangladesh facilement défaite – parce que s’isolant du reste de la classe –, peuvent fortifier le mouvement « grec » par une dimension de classe internationale qui ne fut en aucun cas fournie par les manifestations de solidarité des ultra-gauchistes, bien qu’elles furent indubitablement très importantes pour les rebelles d’un point de vue émotionnel. Le mouvement en Grèce lui-même a agi d’une façon parfaitement internationaliste : primo, par rapport à la guerre à Gaza, lorsqu’il fit en sorte qu’un transport d’armes américaines à destination d’Israël et transitant par les ports grecs soit annulé ; secundo, quand les minorités les plus radicales des rebelles s’adressèrent au monde entier ; mais la révolution mondiale exigerait beaucoup plus d’activités semblables et même plus fortes des deux côtés de la frontière grecque.

La non-existence momentanée d’une perspective révolutionnaire paraît témoigner aussi d’un manque d’ambitions communistes de la part des insurgés. En dépit du fait qu’ils exprimaient – et comme nous allons l’expliquer, ils expriment encore à ce jour – la tendance communiste dans une mesure tout à fait importante d’un point de vue pratique, quoique pourtant limitée, ils ne savent pas exactement où ils vont et quelles dispositions sont exigées de leur part dans un effort révolutionnaire. C’est leur plus grande faiblesse qui découle principalement de l’insuffisante force et véhémence du mouvement de classe, et deuxièmement d’influences sociale-démocrates radicales reproduites par une partie importante des rebelles. Il ne s’agit pas du fait qu’à part quelques exceptions, ils ne s’appellent pas communistes, mais anarchistes. « Les gens peuvent évidemment parler de communisme sans utiliser le mot ou même en refusant le mot. Ainsi, ne considérons pas le vocabulaire, mais le contenu de ce qui fait bouger les minorités radicales présentes… » [notre traduction, NdT]22

La révolution sociale est-elle ce contenu ? Sûrement pas maintenant. Même ces anarchistes23 qui croient qu’en Grèce le point de non-retour a été atteint, parlent de la constitution d’une première ligne où une longue guerre sociale sera déjà menée entre la vraie vie et la survie sous le capital24. D’autres anarchistes ont avancé comme perspective « un combat sans fin pour l’égalité politique, sociale et économique » et « toujours plus de liberté »25. Il est évident qu’ils ne se trouvent même pas aux côtés de la révolution, puisque leur perspective n’est qu’une simple démocratisation de la société existante, séparée en champs aliénés de vie. De plus, de manière générale, les courants anarchistes tant révolutionnaire que contre-révolutionnaire sont accompagnés par une illusion sociale-démocrate de « changer le monde sans prendre le pouvoir » [d’après le titre du livre de John Holloway, NdT] – d’attendre que l’État s’écroule de lui-même et qu’il disparaisse. C’est en vain qu’ils attendirent en Russie et en Espagne, mais et si cela se passait en Grèce cette fois-ci ? Et les communistes de TPTG et de Blaumachen ? Autant que nous le savons, ils ne s’ennuient pas du tout à formuler une perspective et se sont limités à une analyse principalement descriptive.

Jusqu’à présent, la perspective révolutionnaire n’a pas non plus émergé dans le reste du mouvement. La soi-disant « nouvelle guérilla urbaine » a initié une vague spectaculaire de terreur prolétarienne contre le Capital et le groupe « Lutte Révolutionnaire » a lancé un appel à l’insurrection armée, mais sans aucune réponse jusqu’ici. En dépit de l’aspect éventuellement social-démocrate du cadre dans lequel ces groupes armés opèrent (à l’exception peut-être de groupes comme la Fraction Révolutionnaire, Bande de la Conscience – Extrémistes de Perama, Cellule Subversive, Conspiration des Cellules du Feu et beaucoup d’autres groupes sans nom), les cibles qu’ils choisissent sont sans aucun doute des cibles du prolétariat. Mais quand même ils ne témoignent pas d’une avancée du mouvement pour se rapprocher de l’insurrection – ils ne dépassent pas le cadre des actions du soulèvement de décembre : ils mettent le feu aux banques, magasins et voitures, ils attaquent les médias et les représentants du terrorisme d’État, mais ils ne paraissent pas préparer délibérément une insurrection. Les partisans modernes peuvent croire qu’une telle préparation est nécessaire, mais d’où tirerait-elle sa justification matérielle et la possibilité de sa réalisation, quand notre classe n’est pas aussi avancée ?

Jusqu’ici, notre classe est toujours en lutte contre diverses formes des effets de la domination du Capital dans la vie quotidienne, mais les minorités radicales de la classe appellent au mieux à l’élimination des patrons, des relations « dirigeants-dirigés ». C’est un des aspects de la critique communiste, mais comme l’expérience historique de toutes les révolutions prolétariennes précédentes nous le révèle, c’est seulement un aspect secondaire. Son élimination sous la forme de l’autogestion ou de la démocratie ouvrière ou directe n’abolit pas l’essence du Capital – la propriété, le travail salarié et la valeur d’échange – cela ne fait que réformer radicalement la gestion de l’exploitation capitaliste. C’est une impasse qui va très bien de pair avec la perplexité d’une fausse perspective branchée ultragauchiste de l’inutilité de l’action violente du prolétariat s’auto-centralisant qui détruirait toutes les formes de domination bourgeoise et d’existence du Capital comme rapport social, pendant qu’on communise le monde. En effet, toutes ces fausses perspectives représentent un cadre idéal pour toutes les formes possibles du syndicalisme, de la démocratie directe radicale et du réformisme de base, féministe ou par exemple écologiste, afin d’absorber progressivement une plus grande partie du mouvement et de le neutraliser.

Le Mouvement de Classe Vit Encore

Malgré cela, nous pensons que ce n’est pas encore le moment d’écrire la nécrologie du mouvement prolétarien en Grèce. Les apparences sont parfois trompeuses, mais vu d’ici, le mouvement de classe nous paraît loin d’être mort là-bas ; après de longues années, la révolte de décembre a finalement surpassé un modèle caractéristique de la plupart des luttes de classe, qui s’arrêtent aussi soudainement qu’elles éclatent, sans ébranler de manière perceptible le rapport de forces entre les deux classes antagonistes du système capitaliste. Nous pensons que le point de rupture, où le mouvement perdra définitivement son dynamisme subversif, n’a pas encore été atteint. Au moment où nous écrivons ces lignes, trois mois ont passé depuis le début de la révolte, et les formes de lutte qui ont marqué le soulèvement se poursuivent et certainement pas de manière isolée.

Prenons par exemple les occupations de bâtiments publics. En janvier et février, nous pouvons mentionner au hasard l’occupation du bâtiment de l’Union des Rédacteurs des Journaux Quotidiens d’Athènes (ESIEA) faite par des radicaux, l’occupation de l’Opéra National d’Athènes, qui n’impliqua pas seulement ses danseurs, l’occupation d’un Centre Culturel Municipal chic récemment ouvert à Touba, Thessaloniki. Bien qu’elles soient symboliques, faisant figure de protestation ou qu’elles créent d’une manière ostensible un espace pour l’auto-organisation et la discussion sans médiation, toutes ces occupations paraissent être des expressions des besoins, de la force (pourtant limitée) et des possibilités (compte tenu le niveau de force) du mouvement. Les groupes de radicaux et de révolutionnaires s’ouvrent par ces actions au reste du mouvement et lui parlent, à la société grecque et aussi au monde entier, afin de leur exposer leur critique sociale et d’offrir aux autres prolétaires de partager et d’approfondir cette critique dans les espaces occupés. Par exemple, ceux qui occupèrent l’Opéra National mirent en avant la critique du Spectacle et de l’art comme étant une catégorie aliénée et un domaine séparé d’autres niveaux de la vie humaine. Les journalistes exposèrent et dénoncèrent la guerre de l’information menée par leurs patrons médiatiques contre la révolte de classe et y ajoutèrent la critique de leur propre rôle social et de l’exploitation. De plus, dans leur mot d’ordre, « Le dernier mot appartiendra aux ouvriers, pas aux patrons », ils dirigèrent l’aiguillon de leur radicalisme contre la classe bourgeoise tout entière et se rapprochèrent de tous les autres prolétaires.

Pendant que le soulèvement de décembre n’arriva à interrompre la production de la valeur qu’en dehors des lieux de travail, il créa une nouvelle atmosphère qui paraît contribuer à la radicalisation du contenu de quelques luttes d’employés. Après la fin du soulèvement, les grèves et les protestations ouvrières reviennent à nouveau et lentement à l’ordre du jour.

A la suite d’une attaque contre la dirigeante de l’Union des Nettoyeurs (PEKOP) qui fut ordonnée par les patrons de la société de nettoyage OIKOMET, qui mit cette personne soit dans un état critique, brûlée avec de l’acide sulfurique qui lui fut jeté au visage par des laquais des bourgeois, la lutte des nettoyeurs – principalement des immigrés – se déclencha contre un taux extrême d’exploitation et d’horribles conditions de travail, et elle devint un centre d’attention. Sérieusement blessée, Konstantina Kouneva – travailleuse immigrée de Bulgarie – devint un symbole des horreurs de l’esclavage salarié. À travers le pays, il y eut des manifestations de solidarité, des attaques contre les bureaux d’OIKOMET (par exemple au Pirée ou à Thessaloniki) ou contre des bâtiments et des gares de la compagnie étatique des transports publics ISAP qui gère le métro à Athènes et au Pirée. Ce sont là parmi les principales sociétés qui employaient les nettoyeurs d’OIKOMET. Des manifestations de solidarité se transformèrent souvent en bagarres avec les Robocops et en érection de barricades. A part cela, il y eut aussi beaucoup d’autres dépassements classistes : des banques furent vandalisées, celles qui en fait possèdent tout ce que nous leur avons emprunté ; des bornes de compostage de tickets furent détruites dans des stations de métro, ce qui permis à tous les passagers de voyager sans payer. Le 25 février, pendant la grève générale des employés du secteur public que leur confédération syndicale (ADEDY) a dû appeler, des militants de 90 unions autonomes, avec le PEKOP en tête, occupèrent le siège de la société des transports publics, après quoi l’ISAP arrêta son contrat avec OIKOMET et embaucha ses nettoyeurs directement. Donc, une des revendications de nos sœurs en lutte fut rencontrée. Cependant, rien n’est terminé. Les bornes de compostage continuent d’être liquidées et la solidarité avec Konstantina à s’exprimer : par exemple le 3 mars, le groupe de combat Bande de la Conscience – Extrémistes de Perama mit le feu à deux rames de métro et endommagea gravement la gare entière dans le faubourg riche de Kifisia dans le nord d’Athènes.

Il est vrai que le dynamisme et la force de tout le mouvement de classe permettent à la lutte des nettoyeurs de sortir de ses limites trade-unionistes. Bien qu’à l’origine elle commença en étant ancrée dans ces limites et y resta dans une mesure considérable, le changement à l’intérieur du rapport de forces entre les classes jusqu’à maintenant encourage les prolétaires à ne pas s’enfermer dans la coquille syndicaliste d’une lutte limitée à un secteur qui serait condamnée au réformisme selon un fonctionnement normal du capitalisme, indépendamment de l’inexistence d’une bureaucratie dans le PEKOP. Mais aujourd’hui, d’une façon ou d’une autre, la lutte des nettoyeurs devient un conflit de toute la classe en lutte. C’est aussi pourquoi le PEKOP a jusqu’ici refusé de désavouer la forme violente de beaucoup d’actions de solidarité et Kouneva elle-même repoussa les sociaux-démocrates du PASOK et de SYRIZA (une coalition d’extrême-gauche) qui la courtisaient pour la gagner en tant que symbole de classe afin qu’elle s’inscrive sur les listes des candidats aux élections pour le parlement européen. Si le mouvement avait continué à grandir en force, il aurait atteint un refus plus clair et massif du syndicalisme, y compris sa variante syndicaliste de base, parce que le contenu révolutionnaire de la lutte prolétarienne et de nouvelles formes d’organisation qui lui correspondent se seraient fait connaître de plus en plus. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, nous sommes vraiment désolés, mais ce n’est pas un scénario vraisemblable…

Mais il y a jusqu’ici d’autres luttes qui témoignent du dynamisme aussi bien que des limites du mouvement. À la mi-février, il y eut une grève de 48 heures des docteurs dans les hôpitaux qui amena le service public des soins de santé au bord de la faillite. Ils revendiquèrent le maintien de la norme légale des heures de travail, ils refusèrent de faire la moindre heure supplémentaire et ils voulaient que le service des soins de santé emploie plus de docteurs au lieu d’une exploitation accrue de ceux qui travaillent actuellement. Dans l’hôpital principal AHEPA à Thessaloniki, un groupe de docteurs radicaux occupèrent un bureau de caisse dans l’hôpital, ce qui permis à tous les malades de recevoir gratuitement des soins. L’initiative des docteurs, appelés les Ouvriers de l’Industrie des Soins de Santé, dénonça l’intervention de la police dans le traitement des rebelles blessés, ils poussèrent les hôpitaux à accepter gratuitement des immigrés et des malades sans assurance, et ils exigèrent aussi la fin de la « marchandisation des soins médicaux ». Cette action fut précédée par une action semblable dans un hôpital central d’Athènes. L’appel de la minorité des docteurs radicaux pour « la société sans patrons ni esclaves » fut une expression de la nouvelle situation induite par le soulèvement de décembre.

Le 19 février, quand le carnaval commença en Grèce, les conducteurs de bus et de trolleybus à Athènes cessèrent le travail de 9h du matin à 17h, ce qui fut un coup perceptible à économie de la ville du point de vue de la circulation de la main-d’œuvre et des consommateurs. Le même jour, des chauffeurs routiers circulant dans le trafic intérieur convoquèrent une grève illimitée et bloquèrent tous les bureaux de douane grecs dans les ports et aux passages frontaliers. En février, des ouvriers de l’usine de papier Faros à Alimos, un faubourg du sud d’Athènes, occupèrent l’usine avec un large soutien des habitants (malheureusement, nous n’avons pas de détails supplémentaires). Dans un effort pour conserver sa crédibilité, qui fut assez endommagée pendant le « décembre chaud » quand elle essaya d’empêcher les ouvriers de se joindre à la « jeunesse » dans les rues, la confédération syndicale GSEE appela à la fin de février à une grève générale d’un jour contre les licenciements (plus de 4.000 personnes perdirent leur boulot en février). Entre novembre et janvier, presque 8.000 autres boulots furent perdus. Le 4 mars, des employés d’hôpitaux psychiatriques de toute la Grèce se rassemblèrent à Athènes et construisirent des tentes devant le Ministère du Travail où ils demandent leurs arriérés de salaire qu’ils n’ont pas reçu depuis août dernier. Pour la même raison, les excavations archéologiques à l’Acropole furent paralysées par une grève illimitée des ouvriers à qui le Ministère de la Culture doit 4 mois de salaire.

L’atmosphère de tension sociale fut en outre fortifiée en janvier par des protestations de fermiers (qui apparaissent habituellement comme une coalition de petits bourgeois et de prolétaires de facto, de la même façon qu’ici, en République tchèque), qui bloquèrent des autoroutes à travers le pays, jusqu’à ce que le gouvernement leur promette un programme d’aide sous la forme de 500 millions d’euros. Mais les fermiers de Crète protestèrent qu’ils étaient exclus de ce plan et, les 2 et 3 février, ils envahirent avec des tracteurs les villes crétoises afin d’occuper des bâtiments gouvernementaux. Une partie d’eux montèrent à bord de ferry pour protester à Athènes. Dans le port du Pirée, une partie des quelque plus de 1.000 fermiers se heurtèrent à la police. Dans le nord de la Grèce, des fermiers bloquèrent des passages frontaliers avec la Bulgarie pendant deux semaines.

Et le tout mélangé avec des expressions de terreur prolétarienne contre le Capital et ses fonctionnaires, que nous avons déjà mentionnées. Maintenant, nous allons essayer de faire une courte énumération d’exemples qui fourniraient au lecteur une image de la force du phénomène. Ce n’est pas seulement l’organisation traditionnelle Lutte Révolutionnaire qui tira sur un autobus de la police avec une Kalachnikov pendant le soulèvement et le 5 janvier blessa sérieusement par balle un flic à Athènes, comme pour venger Alexandros. En plus de cela, un groupe appelé Fraction Révolutionnaire émergea et attaqua un poste de police à Koridallos, un faubourg d’Athènes, en tirant dessus à la mitrailette et en jetant une grenade. Il laissa son communiqué sur un Cd-rom sur la tombe d’Alexandros et proclama la guerre à la police. Le 14 février, il y eut une série d’attaques à la bombe contre les principaux représentants de la magistrature, revendiquée par un groupe appelé la Conspiration des Cellules de Feu. À ce moment, des assaillants inconnus tirèrent aussi contre les voitures des producteurs de Alter TV. À part cela, il y a des incendies criminels nocturnes chaque semaine, des destructions par bombes incendiaires de banques, de concessionnaires automobiles, de voitures dans des quartiers riches, ainsi que le bureau d’un ancien ministre de l’agriculture ou le bureau de rédaction d’un quotidien de droite proche des fascistes.

La fréquence de telles attaques, le fait que l’État ne soit pas capable d’y résister efficacement et que le gouvernement les appelle « la guerre civile de basse intensité », en dit long. Ces faits ne paraissent donner aucun élément solide quant à un effort désespéré d’une poignée d’individus de ressusciter un mouvement de classe en voie de disparition. Au contraire, ils paraissent recevoir un soutien probablement pas complètement négligeable, bien qu’hésitant, d’une partie des prolétaires et ils augmentent simplement des formes plus massives de confrontation de classe violente. Laissez-nous citer quelques exemples. Le 24 janvier, une lutte éclata pour un parc à Athènes, au coin des rues Patision et Kyprou, que le maire Kaklamanis (surnommé le « Dracula d’Athènes ») a ordonné de raser afin que la municipalité puisse y construire des garages souterrains. Des habitants du quartier empêchèrent l’anéantissement complet par la violence et bloquèrent le parc. Par la suite, des Robocops arrivèrent et attaquèrent des gens avec des matraques et du gaz lacrymogène. Une bataille de plusieurs heures enflamma le quartier et des barricades furent érigées, deux postes de police furent détruits et beaucoup de voitures de police incendiées. Les rebelles occupèrent à nouveau le parc, formèrent une assemblée pour auto-organiser la défense de celui-ci et l’utiliser comme un « espace populaire » d’une façon créatrice et militante. Cette situation dure jusqu’à ce jour. Le 24 février, les fascistes utilisèrent une grenade pour attaquer un bâtiment abritant plusieurs organisations gauchistes, y compris un réseau d’aide aux immigrés. Le 4 mars, pendant une énorme manifestation contre les fascistes qui ne sont pas dépeints comme un plus grand mal que la démocratie, mais comme une structure para-étatique, des anarchistes – au lieu de vaines escarmouches contre des extrémistes de droite et des coalitions antifascistes avec quelque force bourgeoise que ce soit (comme les anarchistes le font en République tchèque) – mirent le feu aux bureaux de l’organisation néonazie L’Aube d’Or. Et le troisième événement intéressant, le 7 mars une manifestation d’ouvriers vivant dans la pauvreté frappa les docks de Perama (Athènes) se transforma en diverses attaques contre la police du port et ils saccagèrent l’entrée de l’hôtel de ville afin de protester contre l’inculpation d’un des 8 dockers qui sont morts en juillet dernier dans un accident sur le bateau Friendshipgas, accusé d’avoir causé la mort de ses collègues.

Il est donc visible que le mouvement continue de s’étendre jusqu’à des actions directes violentes et les groupes de combat organisés sont encore une des expressions de cette tendance. Ils ne sont pas séparés du mouvement, mais en même temps ils ne paraissent pas refléter un saut qualitatif du mouvement. Mais nous avons déjà parlé de cela.

De manière générale, trois mois après la révolte de décembre – au moins pour nous ici – une contradiction entre des formes persistantes de lutte et leur contenu commence à sortir plus clairement. Nous pouvons le voir clairement dans la proclamation des gens qui se sont rebellés le 21 mars dans une prison judiciaire de Chania en Crète26 contre les conditions insupportables dans lesquelles ils sont enfermés. Pendant qu’ils dénoncent le terrorisme de l’État, ils ne questionnent pas le moins du monde leur place de prisonniers et n’établissent aucun rapport avec les problèmes « à l’extérieur ». Ils ne demandent qu’à être transférés dans d’autres prisons et que le nombre de détenus par cellule soit réduit. La même contradiction entre forme et contenu est attesté par l’occupation des bureaux du doyen de l’université de Thessaloniki qui eut lieu à partir du 16 mars 2009. Les radicaux qui l’ont fait veulent obtenir des contrats de travail directs pour les employés de l’université, sans passer par la médiation d’agences de travail, telle Adecco. Mais ils ne disent pas un mot au sujet du fait que ce ne sont pas seulement les ouvriers qui sont employés de cette façon, qui sont exploités, ils ne critiquent ni le travail salarié comme l’essence du problème ni leur propre situation dans la vie. Ils luttent pour les autres, pour les misérables « esclaves à louer ». Comme si les occupants eux-mêmes n’étaient pas une partie du même système. Comme s’ils étaient une « élite » politique en dehors de la classe et lui offrant le salut… Où est la critique de classe profonde du capitalisme et de la Démocratie qui résonna des bâtiments occupés pendant le soulèvement ?

Le prolétariat n’a pas transformé la tendance communiste présente dans sa révolte de décembre 2008 en une perspective communiste claire et, donc, il revient nécessairement dans le cadre capitaliste… et cela transforme inévitablement et progressivement la critique sociale insuffisante en réformisme social-démocratique…

Quoi d’autre ?

Le mouvement prolétarien est mouvement, processus et dynamisme. Dès que ce dynamisme disparaît, le mouvement est définitivement battu. En Grèce, il ne s’est pas affaibli jusqu’ici, mais il n’a pas davantage évolué qualitativement, il n’a pas tendu vers des objectifs plus importants, vers une matérialisation plus claire de la tendance communiste et l’imposition d’une perspective révolutionnaire. Cela n’a rien d’étonnant, puisque le mouvement en Grèce est isolé. En 1968, le prolétariat fut déjà battu en juin, quand il retourna au travail. Mais durant plusieurs autres mois, il ne fut pas conscient du fait qu’il avait perdu et il continua sporadiquement les mêmes occupations d’usines et les émeutes comme au commencement du mouvement. Avons-nous maintenant la même situation en Grèce ?

Le poète dit que « Celui qui arrête pendant un moment, a déjà reculé », et cela s’applique à la lutte de classe sans aucune exception. Si le mouvement de notre classe ne se développe pas plus avant, s’il ne devient pas de plus en plus ouvertement et consciemment un mouvement révolutionnaire et, par conséquent, un mouvement communiste, en dépit de son incessante activité, il donne une chance, de l’espace et du temps au Capital pour contre-attaquer. Notre classe en Grèce n’est pas passée à la destruction de l’État bourgeois. Au début de mars, l’État parut encore être impuissant ; la police constitua une liste de 80 cibles potentielles de la terreur prolétarienne et admit simultanément qu’elle n’est pas capable d’empêcher des attaques contre eux. Et à la mi-mars, l’État, aidé par les experts britanniques de Scotland Yard et les conseillers américains de la sécurité, prépare déjà l’intensification draconienne de la répression contre notre mouvement. Ô combien les activités des gauchistes grecs sont sans vergogne démobilisatrices, eux qui persuadent les gens de demander à l’État de désarmer la police, d’abolir les « fascistes para-étatiques » et de libérer les rebelles de décembre, confrontés à la réorganisation et au terrorisme croissant de ce même État ! Du point de vue du mouvement communiste, il y avait un morceau de vérité dans ce que le groupe Lutte Révolutionnaire a écrit dans son communiqué :

« Nous répondons aux balles par des balles… à partir de maintenant, nous ne pouvons défendre qu’avec des armes la valeur de la vie humaine des pauvres, des exclus, des damnés. » [notre traduction, NdT]

Mais la cohésion et la fonctionnalité de la société capitaliste ne sont pas exclusivement protégées – même pas de manière prédominante – par la répression d’État. Pour fonctionner, elle n’a pas seulement besoin de profits pour la classe dirigeante dirigeante, mais aussi de miettes pour les exploités. Et les miettes doivent être suffisamment grandes pour intégrer socialement les prolétaires. Mais quelle est la situation présente du côté du Capital ? Le plus probablement, il peut être attendu que dans la crise mondiale qui continue et s’approfondit, il n’y aura rien à offrir aux prolétaires en Grèce. Et comme cela fut démontré, la simple répression n’a jusqu’ici pas été suffisante, même pour les pacifier, et encore moins pour les récupérer avec succès. Au contraire, la situation matérielle de notre classe continuera à s’aggraver et la contradiction entre notre misérable condition de vie et le paradis du consommateur jusqu’ici promis peut être d’autant plus évident. Quel sera le résultat lorsque cela sera combiné avec la terreur aiguisée de la bourgeoisie ? Nous ne le savons pas, nous n’avons pas de boule magique…

Le capitalisme peut aussi être sauvé par sa domination idéologique. Les idéologies essentiellement bourgeoises avec un vernis radical ou directement révolutionnaire (les divers marxismes et anarchismes, le bolchevisme, le stalinisme…) qui naquirent des faiblesses de la lutte prolétarienne et se construisirent en prenant appui sur celles-ci, ont déjà prouvé qu’elles sont souvent dans histoire un des facteurs décisifs dans la défaite des insurrections et des révolutions. Cependant, il semble que la capacité des formes parlementaires traditionnelles et syndicales de la social-démocratie en Grèce de manipuler et de récupérer les prolétaires en lutte, qui vont se multiplier, a considérablement diminué.

Plus que probablement, ce sera le tour d’une nouvelle social-démocratie, peut-être extraparlementaire et radicalement syndicaliste, et indubitablement il anesthésiera le mouvement ininterrompu sous la forme d’un encadrement idéologique d’un capitalisme autogéré par les ouvriers, radicalement démocratique, socialement juste, équilibré au niveau des sexes et écologiquement amical. Toutes les faiblesses du mouvement, toutes les influences réformistes reproduites par les militants de classe eux-mêmes, tout cela prononcera la condamnation à mort du mouvement, dès qu’une majorité de la classe est fatiguée du manque de perspective de la situation et que le dynamisme en premier devient inerte, et devient alors totalement plus faible, et peut-être que tout le mouvement s’arrête. Jusqu’à maintenant, le mouvement continue, mais seulement vers sa propre défaite. La nouvelle social-démocratie qui a émergé d’en bas peut être plus efficace que les matraques de la police, les gaz lacrymogènes (4.600 grenades de gaz lacrymogène ne furent pas suffisantes pour réprimer décembre 2008), les chiens ou les balles en caoutchouc et réelles. Etant donné le fait que l’isolement international du mouvement en Grèce continuera plus que probablement pour une plus longue période de temps, l’encadrement réformiste prédominera comme une expression d’une défaite temporaire du mouvement et un jour il sera nécessaire de le vaincre et de le détruire de la même façon que les syndicats, les staliniens du KKE et l’ensemble de la social-démocratie.

Cependant, même dans une telle situation, la crise économique peut mener à une certaine continuité de la lutte de classe qui ne sera pas complètement coupée de l’expérience et de la mémoire de classe de l’autonomie prolétarienne qui fut imposée dans une large échelle par le soulèvement de décembre. Hors de ces conditions, un mouvement de classe subversif peut grandir lentement et devenir plus fort et il embrassera de plus en plus clairement le programme historique d’action communiste sur base de sa propre pratique. Il portera la perspective de révolution sociale jusqu’à ce qu’il entre dans une situation où il est possible de la réaliser. Et autant que la crise globale privera les prolétaires dans d’autres pays du monde de leurs « réserves » et leur révélera la nature contradictoire de leur situation sociale, de l’antagonisme de classe, une situation internationale plus favorable pour la révolution sociale en Grèce et ailleurs pourrait apparaître.

Par exemple, la révolution de 1905 en Russie a produit un mouvement autonome semblable du prolétariat qui continua durant plusieurs années après la défaite, pas totalement apparente, de la révolution. Ce mouvement a duré approximativement jusqu’en 1910-1911 quand il fut en partie et temporairement noyé dans la conjoncture économe de préparation pour la guerre mondiale, afin de revenir en 1916 avec même une plus grande puissance et d’imposer la perspective de la révolution prolétarienne mondiale. De la même façon que l’année 1905 fut une image du futur, les rebelles à Athènes pourraient avoir raison, quand ils revendiquèrent : « Nous sommes une image du futur »… Nous examinons le futur avec un espoir délicat et peut-être même un peu naïf et avec Marx nous répétons dans nos pensées :

« … et, quand elle [la révolution] aura accompli la seconde moitié de son travail de préparation, l’Europe sautera de sa place et jubilera : ‘Bien creusé, vieille taupe !’ »
(Le dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte)

Groupe Guerre de Classe
Mars 2009

1 Mouvements pour la Généralisation de la Révolte, Plus rien ne sera jamais comme avant, 2008.
2 Toutefois, en dépit de cela, Sarkozy n’a pas pu complètement empêcher la révolte dans l’enseignement secondaire. Par conséquent, il y a encore au mois de mars des occupations d’écoles en France, qui doivent être expulsées par des unités de flics anti-émeutes, de sorte que la partie docile des étudiants peut continuer dans la dure préparation de leur carrière d’esclaves salariés.
3 TPTG et Blaumachen, Comme un Hiver d’un Millier de Décembre, 2009.
4 Troploin, La Ligne Générale – Questions & Réponses, 2007.
5 Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti Communiste, 1848.
6 Voir, par exemple, CrimethInc Ex-Workers Collective, How to Organize an Insurrection – Comment s’est Organisée l’Insurrection Grecque : « Pour la société grecque, cela a représenté une surprise que la majorité des jeunes adoptent des tactiques ‘de violence anarchiste, de destruction, d’incendie’, mais cela est une conséquence de l’influence généralisée des actions et des idées anarchistes dans la société grecque des quatre dernières années. »
7 Jusque là, les élèves du secondaire apparaissaient aux yeux de certains anarchistes grecs comme une jeunesse totalement pacifiée par le Spectacle et intoxiqués par le consumérisme.
8 Une discussion sur www.libcom.org, décembre 2008.
9 Du point de vue communiste, ne pas voir cette différence qualitative conduirait aux mêmes conclusions contre-productives que, par exemple, l’affirmation que les émeutes dans les banlieues françaises en 2005 n’étaient rien d’autres que la suite de l’habituel « hooliganisme », qui est un divertissement pour les jeunes (et cela n’a pas de sens de comparer ces événements avec les émeutes en Grèce).
10 Ici, l’aiguillon de notre critique n’est pas dirigé seulement contre ces messieurs Hardt et Negri, mais contre l’idéologie et la pratique du mouvement altermondialiste, qu’ils essaient de promouvoir dans leur théorie. De cette façon, ils rejoignent toutes les versions à la mode de la social-démocratie qui, au milieu de la paix sociale en Europe et aux États-Unis, ont donné la preuve définitive de la non-existence du prolétariat comme sujet révolutionnaire ; ainsi, ils ont contribué à répudier toute perspective communiste et se sont positionnés en faveur d’un capitalisme social, plus démocratique et écologiste.
11 Groupe Guerre de Classe, Déclaration de Solidarité avec les Prolétaires en Lutte et Inculpés en Grèce, janvier 2009.
12 Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte Famille, 1844.
13 Il n’est pas possible de comprendre la bourgeoisie seulement comme une classe de propriétaires des moyens de production au sens juridique du terme, mais comme une classe vivant dans l’exubérance avec la possibilité d’en disposer. Par conséquent, le Parti-État dirigeant dans les pays capitalistes du soi-disant bloc soviétique ne fut rien d’autre qu’une forme spécifique de l’organisation de la bourgeoisie, déterminée par les conditions historiques et locales, bien que la propagande capitaliste tente d’embrumer ce fait grâce aux légendes du socialisme.
14 Voir les luttes ouvrières à travers le prisme de la division entre luttes « économiques » et « politiques » signifie d’être totalement pris dans l’idéologie bourgeoise, puisque la lutte prolétarienne est essentiellement le dépassement de cette dichotomie. Par conséquent, elle n’est ni « économique », ni « politique ». De même, si le prolétariat agit en tant que classe, c’est-à-dire s’il lutte, dès lors son action n’est pas seulement « immédiate », orientée vers le moment présent, mais est activement historique.
15 Voir par exemple le CrimethInc Ex-Workers Collectif, How to Organize an Insurrection – Comment s’est Organisée l’Insurrection Grecque : « L’assassinat d’un jeune garçon dans la zone principale d’activité anarchiste a provoqué une réaction instantanée ; dans les cinq minutes qui ont suivi sa mort, des cellules anarchistes avaient été activées dans tout le pays. Dans certains cas, la police a été informée bien après les anarchistes de la raison des attaques populaires. »
16 Un contrôle efficace de la police sur ces moyens techniques qui sont très précaires dans les circonstances normales pour capital, c’est-à-dire pendant la paix sociale, fut rendu impossible par un usage de masse de ceux-ci pour l’activité subversive. Néanmoins, dans les moments les plus critiques, il n’y aura rien de plus simple pour l’État que d’« éteindre » les réseaux de téléphonie mobile et l’Internet. Par conséquent, on ne peut pas imaginer que ces moyens techniques puissent être d’une importance clé pour une activité révolutionnaire future de notre classe.
17 TPTG et Blaumachen, Comme un Hiver d’un Millier de Décembre, 2009.
18 En disant parti communiste, nous ne nous référons à aucune organisation établie de manière formelle et construite d’un point de vue activiste. Pour nous, ce parti est un produit historique du mouvement révolutionnaire et de la lutte prolétarienne. C’est un processus dans lequel des myriades de groupes prolétariens qui agissent dans le sens communiste et, par conséquent, se positionnent du côté (en tchèque, le même mot « strana » désigne parti et côté) du communisme, s’unifient progressivement pendant la révolution et se centralisent organiquement sur la base du contenu subversif de leur lutte, afin de fortifier l’efficacité de leurs efforts et de diriger, par leur propre action, la classe vers l’auto-abolition réussie. Peu importe le nom particulier et la forme qu’il se donnera.
19 Une discussion sur www.libcom.org, décembre 2008.
20 Par exemple, en novembre 1918 les communistes en Allemagne apprennent que les conseils ouvriers ont été soumis par les sociaux-démocrates radicaux (SPD et USPD), qui les transforment en parlements à petite échelle. C’est pourquoi ils ont quitté, par exemple, le conseil de Dresde (avec Otto Rühle à leur tête) avec la claire perspicacité que « les courants révolutionnaires et contre-révolutionnaires ne peuvent pas s’unir », et que « le compromis est intenable ». Voir, Groupe Communiste Internationaliste, Le Mouvement Révolutionnaire en Allemagne (1917-1923).
21 Karl Marx et Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti Communiste, 1848.
22 Troploin, In for a Storm: a Crisis on the Way, 2007.
23 Bien que nous devions admettre que le milieu anarchiste grec, c’est du chinois pour nous, au moins nous considérons les textes de certains d’entre eux comme des œuvres de révolutionnaires prolétariens qui ont avancé une critique sociale vraiment anticapitaliste. Dans leur critique, la notion de « lutte de classe » est restreinte aux lieux de travail, mais à travers leur notion de « lutte sociale », ils expriment principalement ce que les communistes comprennent comme étant la lutte de classe. Leur plus grand problème est une philosophie volontariste dans laquelle le sujet révolutionnaire est à chaque fois constitué par lui-même, d’une façon ou d’une autre, indépendamment des conditions matérielles de notre classe. De plus, nous ne consentons pas à ce que l’insurrection ne soit qu’une accumulation d’émeutes qui occasionneront un changement qualitatif. Oui, c’est certainement sa naissance, mais sans la centralisation de l’activité militante, il n’y aura pas de destruction victorieuse de l’État. Et sans l’application conséquente de la dictature sociale du prolétariat contre la bourgeoisie qui se défend et contre l’inertie des rapports sociaux capitalistes, et avant tout contre leur essence, il ne sera jamais possible d’achever positivement la communisation de la société humaine. On ne peut pas avoir de communisation sans dictature du prolétariat et de dictature prolétarienne sans communisation. Il ne peut y avoir ni discussion ou négociation au sujet de quelle que forme de survie que ce soit de la propriété, du travail salarié et de la valeur d’échange, parce que sans leur destruction nous n’écraserons pas le Capital. Si nous n’abolissons que la relation entre celui qui donne les ordres et celui qui les reçoit et que nous la remplacions par l’autogestion, comme souvent les anarchistes l’écrivent, alors nous n’atteindrons qu’une forme différente de gestion du Capital. Et ce sera nécessairement temporaire, parce que la logique intérieure du Capital finira par mener à son remplacement par la relation « dirigeant-exécutant » et la « propriété autogérée » redeviendra la propriété privée. Mais nous admettons que même cette critique, nous la basons sur une poignée de textes grecs qui nous sont disponibles en anglais. [et parfois aussi en français, NdT]
24 Another Cocktail, Gentlemen?, janvier 2009.
25 CrimethInc Ex-Workers Collectif, How to Organize an Insurrection – Comment s’est Organisée l’Insurrection Grecque, 2008.
26 De plus, un soulèvement éclata le 22 mars dans une prison pour femmes à Thèbes, à cause de la mort violente soudaine d’une militante anti-prison Katerina Goulioni. Une partie de la prison fut mise à feu et démolie. Devant la prison, il y eut des affrontements entre la police et les participants à une marche de solidarité. Dans la prison de Koridallos à Athènes, environ 200 détenus commencèrent une protestation de solidarité avec les prisonnières à Thèbes.

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