Guerre de Classe 12/2021 : Au-delà du noir et blanc – Révolte de classe contre la violence de l’État aux USA

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Au-delà du noir et blanc : révolte de classe contre la violence de l’État aux USA

C’était le 25 mai 2020, George Floyd est assassiné par la police de Minneapolis, dans le Minnesota, et ce fut l’étincelle qui déclencha le plus important mouvement prolétarien aux États-Unis depuis la fin des années 60 du siècle dernier. Un mouvement qui s’est rapidement étendu des rues en flammes de Minneapolis à plus de 2 000 villes et localités des États-Unis, avec pas moins de 26 millions de participants et des répercussions dans de nombreux pays du monde, où les expressions de solidarité prolétarienne avec le mouvement aux États-Unis ont fusionné de façon organique avec la rage contre les formes locales de misère occasionnées par la vie dans la société capitaliste.

Et donc, il convient de souligner d’emblée la nature prolétarienne de ce mouvement contre toute tentative de le falsifier en le qualifiant d’« émeutes raciales » ou de mouvement réformiste de partisans du Parti démocrate ou contrôlé par George Soros.

Ce mouvement n’est pas la première explosion massive de rage contre la violence meurtrière que les forces de répression de l’État capitaliste mondial sur le territoire des États-Unis commettent contre « leurs » prolétaires ; répression qui cible de façon disproportionnée les prolétaires qui sont racialement « noirs » ou « basanés ». En fait, les meurtres de jeunes prolétaires « noirs » par des porcs en uniforme ont récemment provoqué au moins deux grandes vagues d’agitation (des semaines d’émeutes et de pillages dans la région de Ferguson et de Saint-Louis en 2014 ainsi que dans la région de Baltimore en 2015, ainsi que des actions de solidarité dans d’autres villes).

Ce mouvement est cependant sans précédent à bien des égards devant la réalité crue : des sacs mortuaires noirs empilés des victimes du Covid-19 (et de plein d’autres problèmes sanitaires que les hôpitaux débordés n’ont pas pu gérer), l’aliénation débilitante de la quarantaine, la montée en flèche du chômage, le nouveau « plan de relance » cynique de plusieurs milliards de dollars apportant des fonds à la bourgeoisie et des miettes aux prolétaires. Tout cela, ajouté à des années de brutalité policière, a créé un mélange explosif qui a pris feu lorsque les images du meurtre de George Floyd sont devenues virales sur Internet. Et quand ça a finalement explosé, tout le monde s’est senti concerné. Toutes les séparations fondées sur la race, imposées à notre classe par la société bourgeoise, ont été sérieusement ébranlées pour la première fois depuis longtemps sur le sol américain.

A Minneapolis, des prolétaires « blancs » ont rejoint leurs frères et sœurs de classe « noirs » dans de violents affrontements avec la police. Ensemble, ils ont mis le feu au commissariat de police du 3ème district de Minneapolis, ensemble ils ont tabassé des flics et, ensemble, ils ont exproprié des marchandises et détruit le « saint business ». Les chauffeurs de bus de Minneapolis ont également fait un énorme bras d’honneur aux porcs, lorsqu’ils ont refusé de transporter les manifestants arrêtés. Mais écoutons le récit de nos ennemis de classe – les médias bourgeois – et savourons leur panique ! Voici ce qu’en dit un journal de Minneapolis, le Star Tribune :

« Dans les premiers jours qui ont suivi la mort de George Floyd par la police de Minneapolis, des émeutiers ont ravagé en guise de représailles des zones densément peuplées de Minneapolis, de Saint-Paul et d’autres quartiers métropolitains, causant des millions de dollars de dommages matériels dans plus de 1 500 endroits.

Dans leur sillage, les vandales ont laissé une traînée de portes et de fenêtres brisées, ils ont recouvert de graffitis des centaines de commerces aux accès condamnés et ont mis le feu à près de 150 bâtiments, dont des dizaines ont été réduits en cendres. Des pharmacies, des épiceries, des magasins de spiritueux, des bureaux de tabac et des boutiques de téléphonie mobile ont été saccagés, perdant des milliers de dollars en marchandises volées. Nombre d’entre eux ont été pillés à plusieurs reprises pendant plusieurs nuits consécutives.

D’autres biens – comme des stations d’essence, des restaurants et même des voitures garées – ont été incendiés, et la plupart ont été complètement détruits. »

Les médias bourgeois aux États-Unis et dans le monde entier répéteront plus tard une version similaire de ce discours effrayant – et pour cause !

Alors que le mouvement s’est rapidement étendu à d’autres villes et régions, son orientation militante a persisté. Les bâtiments attaqués comprenaient le siège de CNN à Atlanta, qui abrite également un commissariat de la police d’Atlanta, de nombreuses agences bancaires, des rues commerçantes du centre-ville, des restaurants, des hôtels de ville et même des hôtels particuliers de maires et de gouverneurs. Des voitures de police ont été systématiquement démolies et incendiées. Le choix des cibles confirme une fois de plus la nature de classe de ce soulèvement : on se concentre sur les infrastructures de l’État, sur les symboles de l’accumulation capitaliste, les sources de marchandises à piller et à redistribuer entre camarades, en plus de porter la lutte dans la « sphère privée » des représentants de l’État bourgeois. Le choix des cibles établit également un parallèle avec les mouvements de classe actuels ou antérieurs dans d’autres parties du monde : en Irak, au Liban, en Égypte, en Grèce, au Chili, en France, etc. Et une vague d’agitation a surgi dans le monde entier en solidarité avec le mouvement aux États-Unis, tout en s’attaquant aux séparations bourgeoises racistes chez soi : en France, au Royaume-Uni, au Brésil, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Mexique…

Alors que le mouvement s’étendait à d’autres villes, il a soulevé le problème d’autres meurtres racistes commis par la police, ainsi que d’autres questions comme la résistance aux saisies et aux expulsions, la gentrification des villes, la lutte du personnel médical et autres « travailleurs essentiels » pendant la pandémie de Covid-19, etc.

Il faut aussi ajouter que bien que le mouvement ait atteint une qualité insurrectionnelle limitée dans ses expressions les plus militantes – en attaquant directement l’infrastructure du pouvoir d’État, en expropriant des marchandises et en les redistribuant de manière organique, en appréhendant la question des armes, etc. – il est néanmoins resté dans son ensemble enfermé dans son principe initial de manifestations de rue contre les brutalités policières envers les prolétaires « noirs » en particulier (les victimes « non-noires » des violences policières sont rarement mentionnées) et de confrontation avec une police bien préparée. Nous avons vu et critiqué maintes fois des limites similaires lors d’autres expressions récentes du mouvement de classe comme les manifestations des « Gilets jaunes », le mouvement à Hong-Kong, etc. Ce que nous considérons comme l’un des aspects communs de ces mouvements est l’apparente contradiction entre leur continuité militante conflictuelle (que nous considérons en fait comme l’une de leurs forces) et l’absence de toute avancée programmatique et stratégique ou d’un saut qualitatif.

Comme dans d’autres mouvements de classe d’une telle intensité, nous voyons l’émergence de groupes affinitaires qui sont capables de proposer l’organisation de tâches pratiques importantes comme la logistique des manifestations, la distribution de nourriture, la planification des attaques contre les forces de répression, l’organisation de la défense armée, etc. Ce qui est également visible, c’est une vague d’énergie nouvelle apportée par ce mouvement aux structures révolutionnaires préexistantes qui tentent de saisir la dynamique du mouvement, d’y participer et de lui donner une orientation programmatique.

Reste à savoir quelles leçons programmatiques, tactiques et organisationnelles seront tirées de cette interaction. Rappelons que nous ne croyons pas que des structures communistes révolutionnaires « achevées » puissent apparaitre comme par magie au sein d’un quelconque mouvement de protestation prolétarien, des structures qui seraient prêtes à mener l’assaut contre la totalité de la société capitaliste mondiale dans une unité dialectique des moyens tactiques et programmatiques. Historiquement, ces structures ont toujours été plutôt le produit du processus de partage des expériences de lutte, des discussions et des ruptures organisationnelles se déroulant à l’intérieur et à l’extérieur des structures militantes préexistantes comme des structures ponctuelles.

L’antiracisme – le pire produit du racisme

Bien sûr, comme toujours, les forces de la social-démocratie – l’organisation bourgeoise à destination des prolétaires – ont appelé à livrer bataille. Une armée de pacifistes libéraux et de gauche – y compris l’organisation officielle Black Lives Matter – est venue pour calmer et apaiser les manifestants et transformer le mouvement en une nouvelle mascarade impuissante. Ils se sont immédiatement mis au travail afin de masquer la nature de classe du mouvement, de mettre l’accent sur la « solidarité noire » interclassiste, de réduire au silence les militants de classe et de les dénoncer à la police. En même temps, les « nationalistes noirs » comme la Nation of Islam, le New Black Panther Party et surtout la milice NFAC (Not Fucking Around Coalition – La Coalition Qui Ne Plaisante Pas) tentent de dominer le mouvement, de le présenter comme une question de « noir contre blanc », et de coopter et militariser sous leur propre direction ses expressions armées qui se sont développées organiquement.

Afin d’usurper une certaine crédibilité, ils ont enrôlé une pléthore de vétérans issus de ce qu’on appelle le « Mouvement des droits civiques » et du mouvement Ferguson – en utilisant la vieille tactique de la social-démocratie historique consistant à parader derrière des militants du passé, récupérés et édentés.

Il en a résulté que, jusqu’à la résurgence de la tactique de confrontation après que des porcs aient mutilé Jacob Blake à Kenosha, dans le Wisconsin, le visage militant du mouvement s’était à peu près limité à plusieurs localités comme Seattle, Portland et Chicago, tandis que la majorité du mouvement était canalisée dans des marches fatigantes vers nulle part, des discours interminables de militants d’ONG et des expressions artistiques d’identités positives. Ces sociaux-démocrates ont également réussi à exploiter les faiblesses présentes dans le mouvement et à s’en servir comme d’une arme : l’identité raciale et l’idéologie intériorisée de la « culpabilité blanche ». Selon les nombreux témoignages de camarades engagés dans le mouvement, il est fréquent, dans les assemblées publiques du mouvement, que les intervenants les plus crétins et réformistes, s’ils se trouvent être « noirs », soient capables de faire taire la critique radicale, s’il se trouve que ça vient d’une personne « blanche ».

Selon ces camarades, il existe également un niveau de méfiance à l’égard des « personnes extérieures » (les « outsiders »). Dans le contexte de ce mouvement, l’aspect racial joue bien sûr un rôle dans le fait de savoir qui est considéré comme un « outsider ». C’est en partie à cause des récits propagandistes – inventés par les médias bourgeois et répétés par les gauchistes – selon lesquels la destruction de la propriété privée et le pillage des marchandises (qui sont des expressions pratiques de la subjectivité de classe ainsi qu’une nécessité dans toute lutte prolétarienne) relèveraient en fait de la responsabilité des groupes « suprématistes blancs ».

Il est vrai que certains groupes d’extrême droite « accélérationnistes » ont essayé d’utiliser les manifestations pour exacerber la confrontation armée, soit en attaquant les manifestants, soit en se mêlant à eux et en tirant sur les flics. Selon l’idéologie de ces rêveurs réactionnaires, cela provoquera une riposte encore plus violente de la part du gouvernement et discréditera également le mouvement aux yeux de la soi-disant « majorité silencieuse » (majoritairement « blanche »), qu’ils supposent être intrinsèquement raciste et conservatrice. Cela devrait servir d’étincelle pour déclencher une nouvelle guerre civile.

Cet aventurisme d’extrême droite relativement marginal a été monté en épingle par la gauche et, dans « la meilleure tradition » du front uni antifasciste, utilisé pour dénoncer toute expression d’une critique de classe pratique de la réalité sociale capitaliste comme étant une provocation fasciste. La même stratégie est utilisée par exemple par la « Bolibourgeoisie » au Venezuela (et par ses alliés dans le monde entier) qui accuse les prolétaires participant à des grèves, à des affrontements avec les flics et des unités de l’armée, et aux pillages, etc. d’appartenir à la clique « néolibérale » des partisans de Juan Guaido.

Nous avons pu constater l’impact pratique de ce modelage idéologique sur le terrain, lorsque des militants qui avaient outrepassé les limites démocratiques établies par les groupes d’autodéfense contre-insurrectionnels « noirs » ont été dénoncés ou même remis à la police par ceux-ci et que personne ne s’est proposé de les protéger. Si en plus il se trouve qu’ils étaient « blancs », cela était justifié par le fait qu’il s’agissait de dénoncer des « infiltrés suprématistes blancs ».

Il existe également une théorie, implicitement acceptée par une grande partie de ce mouvement, selon laquelle le sujet révolutionnaire est ici « le peuple noir » ou « le prolétariat noir » dont le programme révolutionnaire est l’abolition du « capitalisme racial », et le rôle des « blancs » est réduit à celui d’« alliés » – pour « soutenir la lutte des Noirs ». Mais en réalité, il n’existe qu’un seul capitalisme mondial, indépendamment de toute caractéristique formelle superficielle qu’il pourrait prendre aux États-Unis ou dans une autre région, et la seule façon de l’abolir passe par l’action révolutionnaire du prolétariat mondial unifié. Toute fragmentation basée sur des caractéristiques sociologiques comme « la race », « l’appartenance ethnique », « le genre », « la nationalité », « la sexualité », etc. ne conduit qu’à la division de nos forces de classe et cela permet à la social-démocratie de coopter et de canaliser le mouvement vers le réformisme et la collaboration interclassiste. Les militants prolétariens « blancs » doivent se révolter avant tout (et essentiellement) contre leur propre existence misérable dans la réalité capitaliste, contre l’exploitation et l’aliénation, contre la violence de l’État qui les tue, tout en pratiquant – organiquement et indissociablement – la véritable solidarité militante internationaliste avec les prolétaires d’autres « races » (par opposition au simple spectacle de la solidarité demandé par les réformistes).

A un autre niveau, « l’agitateur extérieur » est une vieille construction idéologique qui tire sa force d’un manque de conscience de classe (le prolétariat en tant que classe unie par les mêmes intérêts, indépendamment du lieu et de la manière dont les prolétaires individuels vivent ou travaillent) et d’un manque d’internationalisme dans le prolétariat. Les forces contre-révolutionnaires l’utilisent et en profitent pour briser l’émergence de l’associationnisme prolétarien, pour cibler les minorités militantes qui essayent de donner une direction à la lutte, de clarifier les cibles et d’organiser les tâches insurrectionnelles. Soulignons ici que les communistes refusent totalement toute construction bourgeoise qui proclamerait l’existence de minorités militantes en tant qu’entités séparées de la classe, tant dans le sens négatif de l’« agitateur » mentionné ci-dessus que dans le sens positif léniniste d’un cadre d’« experts révolutionnaires », apportant « la conscience politique aux masses prolétariennes ». Les communistes n’ont pas d’objectifs différents des objectifs historiques du reste de la classe : l’abolition de la société de classe reposant sur l’exploitation du travail humain et la création d’une communauté humaine mondiale sans classe !

Si nous voulons comprendre pleinement l’aspect racial spécifiquement américain de la stratégie bourgeoise globale de division et de conquête, nous devons jeter un rapide coup d’œil sur ses racines historiques. Comme on le sait, la colonisation européenne des Amériques repose en gros sur trois déplacements massifs de population. Tout d’abord, un nombre relativement restreint de conquistadors et de colons européens bien armés ont dépeuplé la terre des indigènes par les maladies et la violence. Dans le même temps, des Africains ont été capturés, vendus et transportés vers les Amériques pour servir de main-d’œuvre esclave dans les plantations de cultures de rente comme le coton, le tabac et le sucre. Une terreur aussi brutale n’a bien sûr pas été sans résistance et sans violentes rébellions d’esclaves. Parmi celles-ci, la plus connue est bien sûr « la révolution haïtienne », mais il y a eu d’autres soulèvements importants : dans le nord-est du Brésil, dans le sud des États-Unis, à Trinidad…

Avec le développement du capitalisme et la propagation des rapports sociaux capitalistes par le biais de ladite « révolution industrielle » sur le territoire des États-Unis d’aujourd’hui (et des Amériques en général), le travail salarié – de celui qui pouvait être licencié et embauché librement par le capitaliste – est devenu la forme de plus en plus dominante d’extraction de la valeur. Ceci était étroitement lié aux derniers grands changements démographiques en Amérique – une vague d’immigration massive en provenance d’Europe : les paysans dépossédés de leur terre par l’accumulation primitive du Capital (par exemple les enclosures en Irlande et en Ecosse ou la réforme agraire en Galice autrichienne) ou les travailleurs représentant soudainement une main-d’œuvre excédentaire en raison de la crise dans un pôle d’accumulation du Capital (par exemple l’exode de Naples après l’unification italienne). Ce n’est que dans les régions tropicales, comme le Sud des États-Unis, avec plusieurs récoltes par an, qu’un système économique basé sur la propriété d’esclaves pouvait rester compétitif. Dans le Nord des États-Unis, ce fait a servi de base matérielle à l’abolition en droit complète de l’esclavage.

La fraction nordiste du Capital, victorieuse de la guerre de Sécession et poussée par le militantisme abolitionniste, s’est débarrassée de l’anachronisme de l’esclavagisme sudiste et, ce faisant, a prolétarisé les anciens esclaves « noirs » et libéré leur force de travail pour les besoins de l’industrie nordiste en plein essor.

L’économie du Sud est restée tributaire de la production de coton qui, de son côté, l’était tout autant du travail des anciens esclaves, qui ont été libérés sans argent ni terre et n’ont donc eu d’autre choix que de continuer à travailler pour leurs anciens maîtres ou d’émigrer. Il était également crucial pour la classe dirigeante sudiste d’empêcher la solidarité de classe entre les prolétaires « noirs » et « blancs » – l’exploitation et la consolidation des divisions existantes dans notre classe ont toujours été l’une des principales armes de la bourgeoisie contre nous. Le système de servitude pour dettes et les lois sur le « vagabondage » ont été créés pour maintenir les anciens esclaves « noirs » liés à la plantation. Dans le même temps, un système de séparation et de hiérarchie basé sur la race a été créé au sein de notre classe, qui est encore reproduit socialement de nos jours.

Par la suite, le fait que son camarade « noir » se soit davantage fait niqué, vivant dans des conditions pires et subissant une plus grande répression de l’État, est devenu une partie importante du mécanisme d’intégration du prolétaire « blanc » dans le projet démocratique bourgeois, dans la participation à la gestion de sa propre misère et de son exploitation. Cela a permis à la partie « blanche » racialisée de la force de travail d’intérioriser l’idéologie de la suprématie blanche et de privilégier les considérations raciales au détriment du potentiel de solidarité de classe.

Avec la « conjoncture économique » de l’après Seconde Guerre Mondiale, le « rêve américain » est devenu la version la plus réussie et la plus prolifique de l’idéologie qui fabrique l’existence (et se revendique) de la « classe moyenne ». Une idéologie qui a depuis été reproduite dans le monde entier, afin de falsifier et de cacher le rapport antagoniste essentiel de la société capitaliste, c’est-à-dire la lutte des classes entre le prolétariat et la bourgeoisie. L’idéologie de la classe moyenne mélange pêle-mêle les couches inférieures de la bourgeoisie (les petits propriétaires) avec les couches de travailleurs hautement qualifiés et « créatifs » et les niveaux inférieurs de la gestion et de la bureaucratie d’État. En échange de leur pacifisme et de leur fidélité envers l’ordre bourgeois, ils sont récompensés par un « statut social ». Dans la réalité des États-Unis, cette construction idéologique bénéficiait d’une qualité supplémentaire primordiale : la peau blanche. Tout « travailleur valeureux (grâce à l’adoption généralisée du travail à la pièce et à beaucoup de propagande patriotique, les États-Unis ont réussi à créer leur propre équivalent du mouvement stakhanoviste), obéissant et BLANC » pouvait rêver d’atteindre ce statut et les signes extérieurs de richesse qui en résultent comme une maison en banlieue, une voiture personnelle, etc. Il va sans dire que cela a également été possible grâce à l’apparition, après la Seconde Guerre Mondiale, du crédit bon marché et largement accessible, car les salaires seuls ne suffisaient généralement pas pour permettre cela.

Cette configuration a été remise en question par ce qu’on appelle le « Mouvement des droits civiques », qui a débuté en réponse à l’oppression quotidienne, aux terribles conditions de vie des prolétaires « noirs » et à la violence de l’État – et qui en soi faisait partie d’une vague plus large de lutte des classes aux États-Unis et dans le monde entier. Pour canaliser une fois de plus l’activité subversive du prolétariat en lutte et pacifier sa rage, la social-démocratie aux Etats-Unis a dû redistribuer les cartes et essayer d’intégrer les « noirs » dans le contrat social bourgeois. Cela engendra l’apparition de toutes sortes de militants professionnels noirs : les « dirigeants du mouvement des droits civiques », les groupes trotskystes et maoïstes « dirigés par des Noirs », les groupements religieux « noirs » politiquement engagés, la Nation of Islam, etc. Ceux-ci sont devenus à leur tour une base pour les ONG « noires », les « universitaires radicaux noirs » et les « artistes radicaux » d’aujourd’hui, chargés par l’État de gérer la distribution des miettes de pain de la table bourgeoise aux prolétaires « noirs » et de les empoisonner avec une identité raciale positive afin de diviser notre classe selon des critères raciaux (allant ainsi de pair avec les groupes racistes « blancs »).

En substance, la séparation raciale aux États-Unis sert le même objectif de mobilisation des prolétaires pour défendre les intérêts de leur « propre » fraction de la bourgeoisie que le nationalisme à l’échelle mondiale. L’avantage spécifique (pour notre ennemi de classe bien sûr) du système américain de division raciale, c’est le maintien d’une hiérarchie claire entre les prolétaires « noirs » et « blancs ». Il n’est pas étonnant que cela se soit traduit historiquement par un alignement politique international naturel des « suprématistes blancs » avec les mouvements réactionnaires nostalgiques de la « grandeur impériale » de leur nation, et des « nationalistes noirs » avec le front « anti-impérialiste » et de « libération nationale ».

En 2020 donc, nous pouvons voir ce duo – qui s’oppose formellement sur le plan idéologique – une fois de plus à l’œuvre, occupé à essayer de canaliser et d’aider à la répression étatique du plus grand mouvement prolétarien militant sur le territoire des États-Unis au cours des cinquante dernières années et à essayer d’empêcher ou de tuer toute convergence possible avec d’autres luttes. Ce faux choix idéologique a bien sûr été pleinement exploité par les machines de propagande adverses des partis républicain et démocrate et par leurs médias, qui valent des milliards de dollars. Malheureusement, cela a été plutôt efficace et en novembre 2020, presque tout le mouvement a été coopté dans l’anti-Trumpisme et l’antifascisme.

Au-delà du noir et blanc : La flamme rouge de l’insurrection prolétarienne mondiale

Mais tout n’est pas perdu pour autant. Malgré la répression brutale de l’État et la canalisation partisane de l’énergie du mouvement pour soutenir les Démocrates dans le processus électoral, son courant prolétarien militant a réussi à se regrouper et à trouver de nouvelles expressions. Cela se manifeste par exemple par la poursuite des manifestations de rue dénonçant à la fois les deux partis politiques et leurs dirigeants, ainsi que le concept de politique bourgeoise en tant que tel, et culminant souvent par des attaques contre des biens des deux partis.

La réalité de la crise économique, dévoilée et aggravée par les effets de la pandémie, a conduit à un grand nombre d’expulsions et de saisies de biens immobiliers par les banques partout aux États-Unis. Cela a créé un mouvement de résistance prolétarienne : squats et occupations de maisons, de bâtiments publics, de terrains ; confrontation avec la police et avec les compagnies de fourniture d’énergie qui viennent couper les services ; occupations ou saccages de mairies et de bâtiments de sociétés de logements ; création de réseaux d’entraide pour distribuer la nourriture, le carburant et les fournitures médicales. Des grèves sauvages ont balayé Amazon et des entreprises de livraison jugées « essentielles », qui ont imposé à leurs travailleurs des niveaux d’exploitation extrêmes afin de livrer les marchandises, et les ont ainsi exposés au Covid-19 sans protection. Des mutineries et des grèves ont également frappé le complexe industriel pénitentiaire. La résistance aux déportations de familles d’immigrants et à l’ICE (U.S. Immigration and Customs Enforcement – agence chargée de gérer les centres de détention d’immigrants) se poursuit également. Toutes ces luttes contre les autres visages de la dictature du Capital sur le sol américain ont toujours existé au second plan, partiellement éclipsées par la lumière vive du mouvement contre les aspects les plus directs de la brutalité de l’Etat. Aujourd’hui, ces mouvements se manifestent davantage sur le champ de bataille de classe aux États-Unis et des liens militants rassemblent les éléments les plus radicaux de toutes ces luttes, donnant naissance à une véritable communauté de lutte !

Les contradictions sociales qui ont donné naissance à cette vague de lutte ne vont pas disparaître – en fait, elles sont inhérentes au capitalisme. Comme nous l’avons souligné dans notre texte « Les luttes de classe en temps de pandémie », la profonde crise structurelle de valorisation du Capital révélée par la pandémie de Covid-19 ne peut pas être facilement résolue par les mesures adoptées par la bourgeoisie dans le passé. Elle tentera de la résoudre, mais de la seule manière qu’elle connaisse – en répétant à nouveau le cycle de l’exploitation. Cela entraînera inévitablement plus de misère et d’aliénation pour le prolétariat, plus de tentatives de l’État de nous dresser les uns contre les autres, plus de surveillance de l’État et de violence policière – plus de prolétaires « noirs », « basanés » et « blancs » assassinés, plus de maladies et une catastrophe climatique à venir.

En tant que communistes, nous voulons souligner ce que nous considérons comme essentiel à la généralisation de la prochaine vague de la lutte de classe prolétarienne sur le territoire des États-Unis et dans le monde, pour approfondir ses ruptures avec la société capitaliste et pour clarifier sa direction vers la communauté humaine mondiale. Ce ne sont pas là des idéaux imaginés par des « experts en théorie révolutionnaire », mais les éléments les plus avancés de la négation du Capital et de son État, aussi mineurs soient-ils, que nous pouvons reconnaître dans le mouvement prolétarien aux États-Unis d’aujourd’hui. Nous reconnaissons également qu’il est de notre devoir de renforcer et de clarifier ces expressions du mouvement communiste historique contre les tentatives de la social-démocratie historique de les canaliser dans l’antiracisme bourgeois, le soutien du processus électoral, les réformes de la police, etc.

Nous soutenons et revendiquons en tant que partie du projet révolutionnaire de notre classe :

  • Les attaques coordonnées et systématiques contre les commissariats de police, les mairies, les QG des médias, les maisons des politiciens…
  • L’abolition pratique, consciente et directe des séparations sociales selon des critères raciaux – les prolétaires « noirs » et « basanés » et « blancs » se battent et risquent leur vie ensemble, ils discutent et partagent leurs expériences…
  • Le rejet de la politique bourgeoise avec ses élections, ses partis, ses syndicats, ses ONG…
  • Le fait d’assumer la question de la violence armée pour défendre le mouvement contre la violence de l’État (violence gouvernementale aussi bien que paramilitaire) et pour s’attaquer aux représentants de l’ordre bourgeois…
  • L’internationalisation directe de la lutte – partage d’expériences, coordination, solidarité avec les luttes au Mexique, en Europe, au Nigeria, à Hong Kong…

Organisons-nous en classe pour venir à bout de toutes les falsifications et séparations bourgeoises qui nous sont imposées, pour nous opposer à la violence d’État et pour détruire la société capitaliste fondée sur l’exploitation du travail humain !

# Guerre de Classe – Hiver 2020/21 #

Annexe

Enfin, nous aimerions ici attirer l’attention sur le texte « La montée de la contre-insurrection noire » écrit par « Ill Will Editions », que nous publions en annexe de ce texte.

Comme le suggère le titre, il propose une analyse approfondie d’une variante spécifique de la social-démocratie historique fondée sur l’identité noire qui s’est développée sur le territoire des États-Unis, en tant que réponse de l’État aux mouvements prolétariens du passé, mouvements qui se sont caractérisés par l’abolition des catégories raciales et de leur hiérarchisation, qui sont un élément clé du système afin de maintenir le prolétariat local divisé selon des logiques raciales.

Toutefois, nous voudrions ajouter quelques remarques critiques à ce texte, par ailleurs très fort.

En tant que communistes, nous sommes totalement opposés à l’utilisation du dangereux concept bourgeois de « classe moyenne ».

Cette idéologie bourgeoise sert une fois de plus à occulter la nature de l’antagonisme de classe entre les deux classes aux intérêts historiques opposés, découlant de l’essence même du mode de production capitaliste : l’exploitation de la classe ouvrière (le prolétariat) par la classe des propriétaires des moyens de production (la bourgeoisie). Décrivons brièvement les racines matérielles de l’idéologie de la « classe moyenne » et son rôle dans la société capitaliste.

Comme le développement du Capital entraîne également le développement des moyens de production, les outils et les machines utilisés par les travailleurs sont de plus en plus faciles à utiliser, mais au prix de devenir intrinsèquement des systèmes de plus en plus complexes et fragiles. Dans le même temps, les fractions capitalistes individuelles ainsi que le Capital dans son ensemble doivent lutter contre la baisse tendancielle et générale du taux de profit, et conquérir de nouveaux marchés ; ils doivent donc absorber et transformer en marchandise une part toujours croissante de la vie sociale du prolétariat (relations interpersonnelles, « loisirs », « culture », etc.) puisque l’expansion territoriale n’est plus possible dans la société capitaliste mondiale.

Tout cela crée un besoin pour le Capital de disposer de prolétaires hautement qualifiés et instruits pour concevoir, développer, entretenir et réparer les moyens de production (techniciens, ingénieurs), pour développer des compétences, mais aussi pour garantir la soumission d’autres prolétaires à l’idéologie de la classe dominante (professeurs d’université, formateurs en entreprise), pour aider à faire avaler les marchandises aux acheteurs potentiels (spécialistes du marketing et de la finance), pour aider à l’organisation et à la marchandisation de la reproduction de la force de travail, dans le domaine des lois et de la propriété (psychologues, avocats, architectes, artistes, etc.).

Ces professions, et bien d’autres, sont généralement mieux rémunérées et exigent du travailleur non seulement un certain niveau de compétences et de connaissances, mais aussi un certain degré de créativité et de responsabilité. Pour être efficacement accompli, le travail d’un créateur de mode ou d’un psychologue, par exemple, doit certainement être plus intériorisé que celui d’un ouvrier à la chaîne, d’un métallo ou d’un barman. Cette illusion de l’activité humaine – où les prolétaires sont contraints de sacrifier leur pouvoir créatif humain pour discuter, planifier, prendre des décisions, tout cela dans le cadre du processus de production capitaliste – amène ces travailleurs à s’identifier à la fois au processus de production et au produit lui-même, ce qui contribue à dissimuler la réalité de leur dépossession (=aliénation) des moyens de production. Ces conditions (un niveau de vie généralement plus élevé que celui du reste du prolétariat et l’illusion de contrôler leur propre vie en participant à la prise de décision dans le processus de production) les conduisent à une fausse conscience de leur exclusivité et constituent la base de l’idéologie bourgeoise de la classe moyenne.

Nous voudrions donc appeler ici les camarades à ne pas utiliser cette catégorie bourgeoise créée par nos ennemis uniquement pour désorienter notre classe et diviser notre lutte.

Notre seconde objection concerne l’utilisation du concept de « capitalisme racial » tout au long du texte. Nous comprenons ce à quoi les camarades font référence – un système de division raciale structurellement profonde, et donc de hiérarchie, ayant ses racines dans l’histoire du génocide des populations indigènes et de l’esclavage des Africains qui imprègne toute la réalité économique, sociale et politique de la vie aux États-Unis (et dans les Amériques). Nous comprenons également que les camarades de « Ill Will Editions » utilisent ce concept pour critiquer la social-démocratie « noire » qui tente de corriger simplement ces aspects raciaux en faveur de ce que les camarades appellent le « simple capitalisme ».

Pour nous, cependant, ce concept n’est pas du tout utile et au contraire, il contribue à la confusion des termes. Il n’existe qu’un seul capitalisme mondial, quels que soient les aspects spécifiques de la forme dans laquelle il organise son fonctionnement. Par conséquent, nous n’appelons pas le « Bloc soviétique » du « Capitalisme d’État », même si une fraction de la bourgeoisie était organisée en parti politique (se faisant faussement passer pour le Parti communiste) ou même si la propriété privée était déguisée en « propriété du peuple » ; nous n’appelons pas le régime du YPG au Rojava ou le régime de la CNT en Espagne en 1936 du « Capitalisme autogestionnaire », même si tous deux se cachent derrière un drapeau anarchiste et organisent leurs structures étatiques de manière coopérative et « directement démocratique ». Ils ne représentent que différentes formes d’organisation de l’État servant à mettre en œuvre le même processus fondamental d’exploitation capitaliste.

Une réalité sociale similaire, faite d’inégalités raciales profondément ancrées, particulièrement enracinées dans l’histoire de l’asservissement d’un « groupe ethnique » spécifique, n’est pas propre aux États-Unis (ou aux Amériques). Nous pouvons prendre comme exemple le groupe ethnique des « Roms » d’Europe de l’Est qui a également été historiquement asservi (et soumis à une séparation physique et sociale du reste de la société, soumis à des restrictions sur certains emplois et sur la propriété foncière, soumis à des pogroms et enfin à un génocide) et qui se trouve toujours au bas de la hiérarchie sociale définie par la race. Un autre exemple du même genre, c’est la hiérarchie sociale entre les populations mixtes plus « arabisées » des pays du Sahel – comme le Mali, la Mauritanie, le Soudan – et leurs anciens esclaves « noirs ». La séparation et la hiérarchie fondées sur des catégories raciales ou nationales sont une réalité mondiale sous diverses formes.

Comme l’ont écrit les camarades du Groupe Communiste Internationaliste (GCI) dans leurs « Thèses d’Orientation Programmatique », Thèse 39a :

« … Le fait que le Capital achète moins chère la force de travail d’une race relativement à une autre, le fait que les conditions d’exploitation et de vie d’une partie du prolétariat soient pires que pour d’autres, reflète la réalité du capital pour laquelle la production d’un être humain en tant qu’esclave salarié n’a absolument aucun intérêt en tant qu’être humain. L’intérêt du Capital pour l’homme est uniquement déterminé (comme pour toute autre marchandise) par le travail social qui a été incorporé en lui. Cette réalité raciste du Capital détermine que (de la même manière que la valeur de la force de travail d’un ouvrier qualifié est supérieure à celle d’un simple ouvrier) la valeur de la force de travail d’un ouvrier « national », par exemple, est supérieure à celle d’un ouvrier « immigré » (on présuppose en effet que le premier contient plus de travail d’intégration, de socialisation, de nationalisation, de syndicalisation que l’autre)… »

Malgré ces réserves critiques de notre part, nous considérons ce texte comme une partie importante de l’effort militant mondial pour comprendre les forces et les faiblesses du mouvement prolétarien aux USA, pour clarifier son caractère de classe contre les falsifications bourgeoises, et pour dénoncer les activités et l’idéologie de ses ennemis les plus dangereux – ses faux « amis noirs » !

La Montée de la Contre-Insurrection Noire

Shemon, 30 juillet 2020

Introduction

Du 26 mai au 1er juin 2020, une révolte prolétarienne multiraciale menée par des Noirs a réduit en cendres des postes de police, détruit des voitures de flics, attaqué la police, redistribué des marchandises et pris sa revanche sur le meurtre d’innombrables Noirs et non-Noirs par la police. Dès la première semaine de juin, il semble que tout ait changé, tout le monde semblait avoir oublié que tout cela s’était produit, et au lieu de cela, nous sommes devenus de bons manifestants, nous sommes devenus non-violents et nous sommes devenus réformistes. Au lieu d’attaquer la police, nous avons enduré d’innombrables marches qui n’avaient d’autre but que de continuer à marcher. D’abolitionnistes révolutionnaires, nous sommes devenus des abolitionnistes réformistes. Que s’est-il passé ?

Il existe de nombreuses réponses faciles, et elles sont toutes mauvaises. Une réponse possible serait la répression policière du mouvement, qui a entraîné l’arrestation de plus de 14 000 personnes. Une autre pointe du doigt les Blancs qui ont rejoint le mouvement et qui ont apporté avec eux toutes leurs politiques et stratégies libérales. Enfin, la réponse la plus absurde de toutes prétend que la phase militante de la révolte n’a jamais été un véritable mouvement de prolétaires noirs et non-noirs, mais qu’elle était en fait l’œuvre d’agitateurs extérieurs.

En réalité, quelque chose de bien plus dangereux et sinistre s’est produit, quelque chose d’inhérent au capitalisme racial, et dont les racines remontent à la traite des esclaves africains et à la révolution haïtienne. Une campagne contre-insurrectionnelle a fondamentalement modifié le cours du mouvement. Si le recul du mouvement et la défaite qu’il a entraînée peuvent s’avérer temporaires, de telles campagnes constituent des obstacles importants à la poursuite de la radicalisation et doivent donc être abordées. Cette campagne contre-insurrectionnelle s’est développée sur le terrain sous la direction de la classe moyenne noire, des politiciens noirs, des universitaires radicaux noirs et des ONG noires. Cela peut choquer les personnes qui pensent que les Noirs constituent un groupe politique monolithique. Cette conception est fausse.

Il ne s’agissait pas d’un phénomène local dans une ou deux villes, mais d’une dynamique observée à travers tous les États-Unis. Une rébellion à grande échelle exigeait une contre-insurrection à grande échelle. Et s’il ne fait aucun doute que des philanthropes milliardaires, des universités, l’État et la classe moyenne blanche étaient derrière la contre-insurrection menée par des Noirs, la vérité gênante c’est que seul un programme de contre-insurrection mené par des Noirs pouvait écraser un soulèvement dirigée par des Noirs. Rien de tout cela n’aurait pu se produire s’il n’y avait pas eu une couche importante de contre-insurgés noirs partout aux États-Unis.

La montée de la classe moyenne noire est un développement organique de la stratification sociale au sein du capitalisme racial. C’est le point de départ pour comprendre la contre-insurrection qui étrangle actuellement la Rébellion George Floyd. Cette dernière a sa base sociale dans la classe moyenne noire, qui ne cherche tout au plus qu’une petite réforme du système, à savoir la transformation du capitalisme racial en un simple capitalisme.

A long terme, la classe moyenne noire est l’ennemi du prolétariat noir : chômeurs, travailleurs salariés, travailleurs du sexe, etc. Les véritables partenaires ou complices du prolétariat noir sont les prolétaires latinos et blancs, les peuples indigènes et le prolétariat international. Jusqu’à présent, peu de gens dans ce pays semblent avoir compris cela, et encore moins les implications politiques et stratégiques qui en découlent. Bien qu’aucune de ces questions ne soit nouvelle, elles méritent qu’on les réexamine.

La classe moyenne noire

Il y a toujours eu une certaine tension dans la lutte pour la libération des Noirs sur la question de la classe moyenne noire : médecins, avocats, professeurs, gestionnaires et propriétaires d’entreprises. Non pas en termes d’existence, mais sur son rôle politique et son comportement dans la lutte contre la suprématie blanche.

À bien des égards, la classe moyenne noire n’est pas différente des autres classes moyennes. Au fond, toutes les politiques de la classe moyenne sont électorales, législatives et réformistes. Leurs stratégies s’articulent autour de la respectabilité, la protection de la propriété privée et, en fin de compte, du respect de la loi. Les classes moyennes se sont toujours senties en droit de parler au nom de leurs prolétariats respectifs et de les représenter. Elles prônent l’unité multiraciale parmi leurs semblables de classe, tout en utilisant la loyauté raciale pour favoriser leur propre ascension au sein du capitalisme racial. Toute analyse de la classe moyenne considère le prolétariat soit comme une menace, soit comme une victime ; aucune ne considère le prolétariat comme une classe révolutionnaire. Les quelques personnes de la classe moyenne qui considèrent le prolétariat comme révolutionnaire travaillent à le réprimer, ou finissent par le rejoindre dans la lutte.

En 1931, W.E.B. Du Bois soutenait que tant que les lois Jim Crow limitait les opportunités de la classe moyenne noire, le prolétariat noir et la classe moyenne noire devaient lutter ensemble contre la suprématie blanche. Dans les années 1960, cependant, le Black Panther Party et la Ligue des Travailleurs Noirs Révolutionnaires étaient déjà convaincus que la classe moyenne noire et le prolétariat noir s’étaient séparés. Avec la défaite des lois Jim Crow dans les années 1960, les Noirs de la classe moyenne ont trouvé le chemin du succès, ce qui a entraîné de grandes disparités entre eux et leurs voisins démunis.

Le mouvement qui a vaincu les lois Jim Crow n’a pas détruit le capitalisme racial ou anti-Noir ; au contraire, il n’a offert de nouvelles opportunités qu’à une petite poignée de Noirs. Mais leur victoire a également été une défaite dévastatrice pour les masses de prolétaires noirs qui restent bloqués dans leurs misérables conditions, à la seule différence que leurs lieux de travail et leurs quartiers sont désormais gérés et contrôlés par la classe moyenne noire « victorieuse ». À cet égard, la classe moyenne noire ne ment pas entièrement lorsqu’elle se présente comme l’aboutissement du mouvement des droits civiques et du Black Power. Ces contradictions existaient avant les mouvements des années 1960, et elles n’ont jamais été vraiment clarifiées depuis lors. La classe moyenne noire a été, et reste à ce jour, la contradiction du Mouvement de libération des Noirs.

La différence fondamentale entre la classe moyenne noire et la classe moyenne blanche est stratégique : la classe moyenne noire utilise les luttes prolétariennes des Noirs pour faire avancer sa propre cause. Comme elle n’est pas assez forte pour faire avancer sa cause par elle-même, elle exploite la peur des émeutes et des manifestations de rue pour imposer ses propres objectifs. La classe moyenne noire ne peut pas se dissocier complètement de la phase militante de la rébellion car elle a besoin de brandir les émeutes et la violence comme une menace potentielle pour le reste de la société. Dans le même temps, la classe moyenne noire ne peut pas s’identifier à l’émeute, car cela contredirait son propre désir d’intégration dans l’État capitaliste, dont les lois et l’ordre garantissent l’existence de la propriété privée.

Il en résulte une relation confuse et contradictoire caractérisée par une triple dynamique : (i) la classe moyenne noire s’efforce d’atteindre la richesse et le pouvoir de la classe moyenne blanche, (ii) mais cela exige qu’elle soit disposée à discipliner le prolétariat noir, (iii) avec lequel elle se sent également liée par le destin en raison de l’incapacité de la police et des autres blancs à distinguer les Noirs pauvres du quartier de leurs homologues aisés des banlieues. Cette triple dynamique trouve son expression dans l’orientation générale des grandes manifestations « Black Lives Matter », dont les militants de la classe moyenne préconisent simultanément (i) que la police cesse de confondre la classe moyenne noire avec les Noirs des quartiers pauvres, (ii) que l’État consacre davantage d’argent à la reproduction sociale dans l’espoir de catapulter davantage de Noirs dans la classe moyenne noire, et (iii) de créer davantage d’emplois pour la classe moyenne noire dans les universités, les conseils d’administration des entreprises, etc.

Toute la société de la classe moyenne noire est prête à tirer profit des efforts des prolétaires noirs. Dans les mois à venir, les victoires remportées par la rébellion prendront la forme de nouveaux et misérable emplois « favorisant la diversité », de conférences et d’articles universitaires sans intérêt, et de dérisoires augmentations de salaire. Pour l’instant, les protestations actuelles doivent maintenir leur relation parasitaire avec le soulèvement initial George Floyd. Après la phase militante du soulèvement, les protestations sont entrées dans une phase zombie de marches sans fin, dans des rues et sur des autoroutes souvent vides. C’est comme si les postes de police n’avaient jamais été assiégés, démolis et incendiés. Les protestations se succèdent, sans réfléchir sérieusement à ce qui s’est passé la première semaine. Alors qu’en 2014, on avait introduit des barrages routiers dans le répertoire tactique de la lutte contre la police, nous aurions pu supposer que « l’incendie des commissariats de quartiers » resterait dans les mémoires comme la contribution de Minneapolis. Au lieu de cela, les avancées réalisées à Minneapolis sont enterrées sous les cortèges et processions à travers le pays, alors que les dirigeants noirs renforcent les divisions réactionnaires entre les bons manifestants pacifiques et les mauvais émeutiers.

Abolition révolutionnaire contre abolition réformiste

Il existe deux types d’abolition : l’abolition révolutionnaire et l’abolition réformiste. L’abolition révolutionnaire, c’est l’auto-activité du prolétariat dans la lutte contre toute la logique carcérale de l’État et du capitalisme racial. Cela inclut l’incendie des postes de police, la destruction des voitures de flics, l’attaque des policiers et la redistribution des marchandises provenant de Target et Versace. L’abolitionnisme révolutionnaire va de pair avec l’anticapitalisme révolutionnaire, car il comprend que l’abolition n’est possible que lorsqu’elle est liée à l’anticapitalisme, à l’antiétatisme, à l’antiimpérialisme, et à la lutte contre l’homophobie et le patriarcat. Les prisons doivent être abolies, mais les écoles, les travailleurs sociaux et l’armée des institutions et des bienfaiteurs de la classe moyenne doivent l’être aussi. La dynamique expansive ainsi dénommée ne peut donc pas s’arrêter à la police, mais doit étendre son attaque au mur qui sépare les soi-disant États-Unis et le Mexique, aux centres de détention, aux tribunaux et aux vastes infrastructures de l’État carcéral et du capitalisme.

L’abolitionnisme révolutionnaire a rapidement atteint son point d’ébullition durant la première semaine de la rébellion, avec une résurgence la semaine dernière, le 25 juillet. Dans l’intervalle, l’abolition révolutionnaire a été largement supplantée par l’abolition réformiste, un courant largement défini par l’activité et la politique de militants professionnels, d’ONG, d’avocats et de politiciens, et qui se préoccupe principalement de la réduction des fonds alloués à la police, et des changements politiques et législatifs. Cette perspective continue de considérer les politiciens comme les principaux acteurs historiques, par rapport auxquels elle se positionne comme un groupe de pression. De cette manière, l’abolitionnisme réformiste éloigne les prolétaires du terrain de la lutte.

S’il est exact de constater une injustice flagrante lorsqu’on compare les budgets de la police aux dépenses pour la santé, les infrastructures, l’école et d’autres services… les propositions visant à « définancer la police » [Defund the Police] ne représentent guère plus qu’un transfert d’argent d’une partie de l’État à une autre. De plus, même lorsque l’abolitionnisme réformiste commence à imaginer l’abolition de la police, comme c’est le cas actuellement à Minneapolis, il ne semble pas comprendre que la police ne peut pas être abolie par le biais de la législation. Ce que l’abolitionnisme réformiste ne parvient pas à voir, c’est que ce sont toujours et uniquement les véritables luttes révolutionnaires ou la crainte de celles-ci qui ont aboli l’esclavage. Le chemin le plus court pour démanteler la police et les prisons est et a toujours été la révolte, comme nous l’avons vu l’année dernière lorsque le soulèvement en Haïti a conduit à vider des prisons entières. L’insurrection est au cœur de l’abolition révolutionnaire.

À la lumière de l’abolitionnisme révolutionnaire qui s’est manifesté dans le pays lors des attaques contre les bureaux du DHS à Atlanta [Département de la Sécurité intérieure, créé en réponse aux attentats du 11 septembre 2001] et l’incendie de tribunaux, l’abolitionnisme réformiste est une attaque directe contre ces méthodes d’abolition plus militantes. Nulle part ailleurs qu’à Minneapolis, cette tension et ce rapport entre l’abolition réformiste et l’abolition révolutionnaire n’ont été plus intenses. Les réformistes se préparaient depuis des années à Minneapolis et la rébellion leur a fourni la possibilité de tirer parti de la situation et d’agir. Ce qui a commencé comme une attaque en règle contre les forces de l’ordre à Minneapolis s’est transformé depuis en une pléthore de projets politiques insipides. Alors que le prolétariat noir recule, le militant professionnel noir revient sur le devant de la scène, jusqu’à ce que tout redevienne « vertu et pureté ».

ONG et académisme

Les organisations non-gouvernementales (ONG) noires, y compris les groupes du Movement for Black Lives, ont joué un rôle clé dans cette campagne contre-insurrectionnelle. Leur base sociale n’est pas le prolétariat noir, mais la classe moyenne noire et surtout la bourgeoisie blanche, grâce aux bons offices de philanthropes. Afin de coopter le mouvement, la bourgeoisie dépense de l’argent pour régler des problèmes générés par le capitalisme racial. Ils ont trouvé dans les ONG un groupe de personnes disposées à accepter volontiers leurs dollars. L’argent tombe du ciel : si vous êtes Noir, de la classe moyenne, et que vous pouvez dire « Black Lives Matter » trois fois de suite, l’argent tombera à vos pieds comme par magie. Aussi distinctes politiquement que soient ces ONG les unes des autres, elles n’ont généralement que peu ou pas d’expérience de la lutte, aucun intérêt particulier pour le mouvement et, en fin de compte, elles n’ont aucun intérêt à renverser le capitalisme racial. Elles ne sont que le reflet des divers parasites qui sucent le sang de la lutte historique des prolétaires noirs. Elles ne résolvent rien à long terme, et il est peu probable qu’aucune d’entre elles ne dirige réellement le mouvement, puisqu’elles n’y ont aucune base. Cependant, comme le mouvement de rébellion généré par la mort de George Floyd est nouveau, beaucoup de ses participants sont encore facilement confus, et continuent donc à afficher une volonté servile de suivre toute personne noire qui débarque avec un mégaphone. Même si certains militants des ONG rompent inévitablement avec ces groupes et rejoignent les éléments les plus radicaux du mouvement, toute orientation stratégique qui se concentrerait sur leur énergie potentielle est erronée. Attendre que les ONG se radicalisent, c’est comme attendre la radicalisation des syndicats. Les ONG doivent finir par être expulsées du mouvement d’une manière ou d’une autre.

Et que dire des soi-disant « intellectuels noirs révolutionnaires ». Puisque le mot « révolutionnaire » n’a aucun sens en période non-révolutionnaire, et que la pratique limitée de l’« intellectuel » est inopérante en périodes révolutionnaires, nous avons affaire à une contradiction dans les termes. Alors qu’en période non-révolutionnaire, les activités des intellectuels académiques reflètent la norme capitaliste de la division du travail entre les penseurs et les travailleurs manuels, dans les moments d’insurrection, la division du travail tend à s’effondrer et à être réorganisée, de telle sorte que de nombreux prolétaires commencent soudainement à participer à des activités de lecture, d’écriture et de théorisation qui étaient auparavant la tâche exclusive des intellectuels.

Que ce soit bien clair : la Rébellion George Floyd est la nouvelle référence que toutes les théories et politiques doivent prendre en compte. Et non pas diverses revendications, non pas des revues académiques, non pas la communauté de soi-disant experts, mais le feu et la chaleur de la lutte prolétarienne. Ils doivent répondre aux exigences des émeutes, des grèves, des occupations, des blocages, des insurrections, de la guerre et de la révolution. Et à cet égard, il faut admettre que les résultats ont été jusqu’à présent désastreux. Le marxisme noir, l’afro-pessimisme, l’anarchisme noir et le féminisme noir ont tous été mis à rude épreuve dans ce soulèvement, et tous ont échoué. Ces théories n’ont eu que peu ou pas d’impact significatif sur le prolétariat noir. Dans certains cas, elles ont même obtenu une promotion en prêtant leur voix à des ONG contre-insurrectionnelles qui ne sont que trop heureuses de payer une rétribution.

Qu’est-il arrivé à la théorie de la Révolution noire ? Pendant plus de cinquante ans, les théories se sont cachées dans le monde académique. L’université a complètement réifié la pensée radicale noire, ce qui l’a séparée des prolétaires noirs en déterminant qui y a accès et qui est capable de donner un sens à la densité de son langage abscons. Les problèmes et les questions qui sont importants pour le prolétaire noir ne sont jamais abordés sur la base des termes, concepts et traditions du prolétariat noir, mais sont plutôt discutés dans les termes beaucoup plus étroits et réformistes de l’académisme. Aucune idée académique ne rend compte au prolétariat noir ; au contraire, un emploi titularisé offre à l’universitaire radical l’isolation suprême. Ce manque de responsabilité protège les idées dépassées et inutiles, car il permet aux vieilles théories poussiéreuses, vaincues depuis longtemps dans la véritable lutte des classes, de continuer à vivre dans le milieu académique et de devenir un poids mort sur le cerveau du mouvement.

Cela va s’arrêter maintenant. Toute la force d’une rébellion a dégagé les débris d’une manière que la critique n’a jamais pu faire. Bien que la consolidation politique de la rébellion ait pour l’instant sombré dans la contre-insurrection noire, la Rébellion George Floyd a permis à la prochaine génération de révolutionnaires noirs issus des rangs du prolétariat, ainsi qu’à certains renégats de la classe moyenne, d’émerger et de se regarder en face. Dans les mois et les années à venir, nous devrons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider à se débarrasser des fausses divisions entre l’activité intellectuelle et l’action révolutionnaire qui ont longtemps affligé nos mouvements.

Conclusion

Si le capitalisme doit un jour être aboli, si un avenir communiste libérateur doit un jour voir le jour, le prolétariat doit s’émanciper par la force de sa dépendance à l’égard de l’ordre social bourgeois. Mais avant que l’antagonisme n’atteigne ce point, une autre bataille devra également avoir lieu, dans laquelle le prolétariat noir règle politiquement et matériellement ses comptes avec la classe moyenne noire. Il ne s’agit pas d’une nouvelle réalité, mais d’une réalité avec laquelle toute révolution impliquant des Noirs a dû se débattre. Jusqu’à présent, le prolétariat noir a perdu chacune de ces luttes, avec pour résultat un capitalisme et un État à visage noir.

La classe moyenne noire a pu mener la contre-insurrection avec autant d’efficacité en partie grâce au fait qu’elle s’est emparée de secteurs clés de l’État. Lori Lightfoot à Chicago, Keisha Lance Bottoms à Atlanta, Chokwe Antar Lumumba à Jackson et Bernard Young à Baltimore ne représentent que quelques exemples d’une couche managériale ambitieuse, consciente de ses intérêts de classe d’une manière que le prolétariat noir n’a pas encore comprise. Ils fréquentent les meilleures écoles du pays, ce qui leur permet de structurer les arguments cyniques nécessaires à l’articulation d’un programme réformiste et contre-insurrectionnel.

Les classes moyennes ont leurs universités, leurs élections, leurs entreprises et autres institutions pour développer leur version de la coalition arc-en-ciel. Le prolétariat est laissé en dehors du processus.

Le prolétariat noir peut diriger et initier la lutte, mais il ne gagnera aucune bataille décisive sans la complicité du prolétariat blanc et latino, et des « nations indigènes ». Le prolétariat noir s’est battu aux côtés d’autres prolétaires pour dévaliser le plus grand nombre de magasins possible. Pendant une semaine, une alliance organique s’est construite, alors que divers groupes d’opprimés faisaient pleuvoir le feu sur la police et redistribuaient des marchandises dans tout le pays.

Toutefois, ces alliances organiques ne débouchent pas automatiquement sur des alliances plus permanentes. Les gigantesques éruptions de solidarité lors des émeutes et des soulèvements ont tendance à rapidement se résorber, pour aboutir peu après à des rapports antagonistes entre prolétaires. Somme toute, partager un moment de lutte n’est pas la même chose que de forger une confiance et une solidarité à long terme. Qu’est-ce qui est plus réel, une semaine d’unité partagée ou toute une vie de conflit entre prolétaires, les uns contre les autres ?

Le prolétariat noir est confronté à la concurrence des autres prolétaires pour les emplois, les logements et d’autres ressources rares. Les classes moyennes respectives promettent de garantir ces avantages tant que les prolétaires noirs continueront à voter pour des politiciens noirs, les prolétaires latinos pour des politiciens latinos, et ainsi de suite. Bien que cette logique soit une impasse pour la solidarité prolétarienne multiraciale, elle sert des objectifs à court terme que les personnes démunies peuvent difficilement ignorer. Ainsi, la fragile unité forgée dans les moments de révolte se dissout à nouveau dans les relations sociales de la vie quotidienne, règne de la séparation. Les prolétaires construisent parfois une solidarité entre eux au quotidien, mais dans l’ensemble, il leur manque les mécanismes ou les institutions pour développer une telle unité sous le capitalisme racial. C’est pourquoi les attaques contre l’infrastructure du capitalisme sont si cruciales et pourquoi de nouveaux espaces de reproduction sociale sont vitaux.

Mais il faut parier que le soulèvement a changé le prolétariat. Nous devons croire en la possibilité que les relations quotidiennes commencent également à changer. C’est une supposition et nous devons la tester au combat.

En fin de compte, une sorte de processus de crise plus large – guerre, crise économique, pandémies, effondrement écologique – sera nécessaire pour forcer une unité stratégique entre les différents groupes racialisés de prolétaires. Sans vouloir fétichiser des organisations, certaines formes d’organisation seront nécessaires pour cristalliser et concentrer cette alliance. Le prolétariat devra développer ses propres intérêts de classe, de race et de genre contre la classe moyenne noire et blanche, simultanément et par l’action, l’organisation et un programme.

Depuis la crise économique de 2007/2008, le monde entier est entré dans une période de lutte massive. Elle s’est développée de manière inégale, la Grèce à un moment donné, puis le printemps arabe, Marikana à un autre moment, ou Haïti, avec des contre-révolutions ou des contre-insurrections respectives dans le cadre de ce processus. La Rébellion George Floyd s’inscrit dans ce processus continu de lutte contre les vastes inégalités, la violence policière et d’autres formes d’oppression. J’ai mis l’accent sur la défaite et le recul au moment présent, car c’est ce à quoi nous sommes aujourd’hui confrontés. Mais dans un avenir proche, le mouvement attaquera à nouveau, car il n’y aura pas d’autre option. La défaite est temporaire, la lutte est permanente.

Source en anglais : https://illwilleditions.com/the-rise-of-black-counter-insurgency/

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