[GCI-ICG] Cisjordanie, Gaza, Jérusalem… En réponse à la lutte des prolétaires, ce que prépare la bourgeoisie (une fois de plus) : le massacre ! [1988]

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Source : Groupe Communiste Internationaliste (GCI), Communisme n°26, février 1988, pp.40-48

Des émeutes dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, la bourgeoisie mondiale, toutes fractions confondues – de l’OLP à Reagan en passant par les Etats d’Israël, de Syrie, d’Égypte et Cie – quelles que soient la place qu’elles occupent et les solutions qu’elles proposent dans le conflit, veut en faire un problème strictement « palestinien » et couvre le bruit de ses chars, bastonnades et pilonnages de discours sur le « droit ou non à l’autodétermination du peuple palestinien ».

Mais à Gaza, en Cisjordanie, au Liban ou ailleurs, quand des camps dans lesquels ils ont été si généreusement ( !) parqués, les dits « réfugiés palestiniens » (qui viennent autant de la Palestine, de la Syrie, d’Irak… d’Afghanistan ou encore du Pakistan) commencent à lancer leurs cris de révolte, à s’insurger contre les conditions de vie effroyables qui leur sont imposées, c’est bien de la lutte d’une classe qu’il s’agit, d’une classe dont la condition de prolétaire est là plus exacerbée qu’ailleurs, mais d’une classe mondiale qui se retrouve dans tous les camps de concentration du monde capitaliste, que ce soit les camps de la mort, les prisons et leurs palais de justice dominant les quartiers ouvriers, les parcs à bestiaux si joliment appelés « foyers pour travailleurs immigrés », les bidons-villes ou encore nos bagnes de travail communément appelés usines, entreprises,… quand on n’est pas encore relégué dans le camp des surplus.

Depuis des siècles zone d’attraction de capitaux et d’enjeux stratégiques, l’historique Palestine, cette bande de terre coincée entre la mer et le désert, convoitée par des fractions bourgeoises rivales du monde entier, a connu différentes vagues de conquête, âpres guerres de rapine se faisant toujours sur le dos des prolétaires courbés au travail ou dans les tranchées et, à l’issue desquelles, des traités, pactes, etc. viennent ratifier le rapport de forces établi entre les différentes forces en présence. L’un des derniers en date est celui donnant lieu à la création de l’État d’Israël, confirmé et étendu dans sa fonction de gendarme garant de l’ordre capitaliste dans toute la région par la guerre des Six jours lors de laquelle celui-ci s’annexe en plus le contrôle de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, de Jérusalem-Est et du Golan.

Historiquement aussi :

  • contre les différentes vagues d’expropriation où des couches de plus en plus larges de la population se sont vues dépouillées de tout, chassées, déportées, parquées dans des camps, sous contrôle militaire permanent quand elles n’étaient pas simplement (sic !) massacrées…
  • du fait de l’important brassage provoqué par ces différentes vagues de migration et de la concentration forcée de ces masses prolétarisées,

cette plaque tournante du Moyen-Orient est aussi marquée par une tradition d’intenses luttes prolétariennes (1921, 1925, 1929, 1933-1936,…).

Et, à la mesure de la force de ces luttes, la bourgeoisie, l’ensemble de la bourgeoisie mondiale regroupée derrière et sponsorisant de plus en plus l’Etat d’Israël – réalité mondiale qui dépasse bien largement les frontières de l’ex-Palestine, ne fût-ce que la diaspora aux USA, et qui préexiste bien avant sa juridiction de 1948 – a systématiquement répondu par une répression féroce.

Par exemple, en 1936, après six mois d’une grève générale largement suivie dans les ports et paralysant jusqu’à la raffinerie de pétrole de Haïfa, après trois ans aussi de lutte dans les campagnes contre les grands propriétaires fonciers tant palestiniens qu’anglais ou sionistes… les chefs d’Etat d’Arabie, d’Irak, de Transjordanie… commencent à s’alarmer du développement quasi insurrectionnel de la lutte et exhortent la « fière nation arabe en Palestine, à retrouver la paix, à mettre fin à la grève et aux troubles », discours qui se traduiront par l’assassinat de plus de 5.000 grévistes, l’arrestation de 6.000 autres par les armées arabes, anglaises et sionistes.

En 1948, à l’issue de la guerre israélo-arabe, c’est l’occupation par l’armée israélienne, l’évacuation générale, la destruction de villages entiers… place au sionisme ! Avec le massacre de Deir Yassin en 1949, dès le début de sa consécration, l’Etat d’Israël donne le ton : pour les prolétaires sur qui la bourgeoisie ne peut pas compter pour identifier leurs intérêts et se sacrifier à la cause sioniste, c’est l’exode forcé hors des frontières du nouvel Etat. Les familles sont disloquées et repoussées vers la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ceux qui refuseront de tout abandonner seront massacrés.

Les visées expansionnistes de l’Etat d’Israël ne s’arrêtent pas là. En 1967, plus de 10% de la population en Israël (96.000 sur 950.000) sont au chômage, capitaux et capitalistes désertent le pays. Les Etats avoisinants voyaient déjà avec ambition leur rival s’affaiblir, mais la guerre des Six jours met un terme à ces convoitises. L’armée israélienne occupe la bande de Gaza et la Cisjordanie. Une fois de plus chassés et contraints à l’exil, beaucoup de prolétaires fuient alors au Liban et en Jordanie, mais partout indésirables, ils seront parqués dans des camps, militairement gardés.

Ces concentrations prolétariennes, criantes de misère, surpeuplées et sous les feux constants de la répression…, massées aux frontières, sont dès lors, comme une grenade dégoupillée que les différents Etats concernés se relancent. Mais s’il est une chose sur laquelle ils sont tous d’accord, c’est sur la « solution » à apporter à ce « problème » : le génocide.

Pour tous, faute de pouvoir l’éliminer immédiatement, il s’agit du stockage d’une main d’œuvre dans laquelle il est loisible de puiser et qu’il est loisible de jeter à peu de frais, selon les besoins de la production, la force de travail nécessaire.

Mais, que ce soit sous « administration » égyptienne, jordanienne, des forces de l’ONU, syriennes, libanaises ou israéliennes… ces conditions de vie n’ont pu être maintenues que du fait d’un état de siège quasi permanent et du recours d’autant plus rapide au massacre que la masse de prolétaires produite et reproduite dans ces camps, excède en nombre les besoins d’armée industrielle de réserve du capital, et que cette concentration énorme de prolétaires constitue un potentiel de lutte, dangereux pour la bourgeoisie.

Et, comme on a déjà pu le voir dans l’application de la terreur d’Etat contre le prolétariat, pour parer à toute éventualité d’extension de la lutte, pour surtout éviter que cette haine qui habite les camps ne se transforme en haine de classe de tous les prolétaires – « palestiniens » et autres – contre tous les représentants de l’ordre bourgeois, à chaque phase de recrudescence des affrontements de classe, c’est l’ensemble des armées bourgeoises, soutenant et complétant les troupes israéliennes qui ont été mises à pied d’œuvre.

En 1970, pendant qu’Israël amasse ses troupes sur le Jourdain, c’est l’Etat en Jordanie qui prendra en charge ce qui portera le nom de sinistre mémoire de Septembre Noir, c’est-à-dire la liquidation des émeutes par l’extermination des émeutiers. Dans la seule ville d’Amman, on compte près de 20.000 morts touchés par les bombardements continus d’écoles, de mosquées, d’églises et d’hôpitaux dans lesquels ils s’étaient réfugiés vu que leurs maisons avaient été détruites… tandis que, parlant au nom du « peuple palestinien », les organisations, fronts de résistance ou de libération nationale se mettaient à l’écart des événements et qu’Arafat faisait le tour des différents chefs d’Etat arabes pour les assurer de leur bonne conduite et de leur innocence à l’égard des affrontements précédant le massacre.

En 1971, au nom d’une campagne « antiterroriste », les réservistes préposés au maintien de l’ordre à Gaza, furent remplacés par des unités d’élite de parachutistes. Gaza fut découpée en secteurs et passée au peigne fin. Les plantations qui gênaient le quadrillage de la ville sont rasées, les maisons des ruelles étroites qui empêchaient l’accès des blindés aux camps de réfugiés, abattues, forçant à nouveau des dizaines de milliers d’habitants expropriés à s’entasser dans d’autres parties de la ville. Les paras ratissèrent les maisons. Chaque cave susceptible d’abriter des « terroristes » fut scellée au béton.

En juin 1976, toute une série de grèves, manifestations, émeutes éclatent aux confins des Etats libanais, syrien, jordanien et israélien. Après les tentatives infructueuses des diverses formations de l’OLP de désarmer elles-mêmes le mouvement, celles-ci se retirent pour laisser les armées syriennes et libanaises organiser le massacre de Tell-el-Zaatar. Pendant cinquante-deux jours, les prolétaires des camps résisteront à l’offensive militaire, résistance qui ne fut possible que par l’aide des prolétaires de Jordanie et du Liban qui organisèrent des actions de solidarité, par le sabotage à l’arrière des lignes se refermant sur les camps et notamment par l’approvisionnement en eau des prolétaires assiégés. Arafat, après avoir rendu ses hommages aux différents chefs d’Etat, charognard parmi les charognards, revient et dit aux prolétaires s’occupant de leurs morts que, s’ils sont si nombreux étendus là, c’est parce qu’ils n’ont pas suivi ses consignes !

En 1982, lorsque les armées israéliennes envahissent le Sud-Liban, c’est avec l’objectif clair de briser la nouvelle flambée de violentes manifestations qui avaient éclaté de manière concomitante dans tous les principaux camps de Cisjordanie, Gaza et du Liban. L’Etat au Liban, devenu réceptacle de toutes les tensions du Moyen-Orient, était affaibli, déchiré entre les diverses fractions qui, sans prétendre rivaliser avec Israël, tentent malgré tout de se tailler la meilleure place à sa suite dans le rapport général des forces en présence dans la région, en prévision des négociations qu’une nécessaire période de stabilisation va imposer. Démonstrations de forces se concurrençant notamment dans la capacité à massacrer les derniers centres de dangers d’explosion des luttes, comme le montrent les charniers de Sabra et Chatila, Bourj-el-Brajneh, aujourd’hui encore continuellement bombardés. Guerre dans laquelle les milices chiites, chrétiennes ou druzes, les unes principalement soutenues par la Syrie, les autres par Israël, de même que les composantes de l’OLP qui interviennent aussi dans ces sombres alliances… se disputent l’honneur d’amonceler le plus grand nombre de cadavres de prolétaires non seulement « palestiniens » mais quelle que soit leur « identité » ethnique ou religieuse. Les charognes n’hésitent pas, quelques fois, à faire étalage de leur repas, cf. les dires du général Rabin à la Knesset, qui, en réponse aux critiques de la « droite », répond : « Moi, j’ai expulsé trois fois plus de palestiniens que vous, le Likoud ! » (décembre 1987).

Aujourd’hui, un nombre de plus de plus important de bourgeois du monde entier se rend compte que la question des camps n’est plus tenable. Non parce qu’un brin d’humanité aurait attendri leur cœur qui, depuis toujours, ne répond qu’à l’appel métallique et froid de l’argent qui sonne, mais parce que pour tous, il devient clair que la situation pourrait devenir « incontrôlable » même par les forces de l’OLP ! Un militaire israélien, membre du Kibboutz Beit Guvrin, en poste à Jebalya, déclare : « L’explosion est inévitable, cette situation honteuse de pauvreté sont les ingrédients d’une bombe à retardement ».

Aujourd’hui, des « territoires occupés » (Cisjordanie et Gaza), tous les jours, près de 120.000 ouvriers partent travailler en Israël. Il fait encore nuit quand les camions viennent les chercher et il fera à nouveau nuit quand ils seront ramenés de même, avec interdiction formelle de séjourner en Israël. Leur salaire est de moitié moindre que celui d’un ouvrier de nationalité israélienne et plus de 40% de ce qu’ils gagent retourne immédiatement à l’Etat d’Israël sous forme de taxes.

A Jebalya, camp de 45.000 réfugiés à Gaza, le camp est un dédale de ruelles qui n’ont parfois pas plus de 80 cm de large. Les égouts débordent et, avec un taux de densité de population des plus élevés du monde, il y a toujours du monde dans les rues ; les enfants courent pieds nus dans les tessons de bouteilles et les morceaux de ferraille.

Au camp de la plage, toutes les barques de pêche sont obligatoirement peintes en jaune vif pour être plus facilement repérées et il est interdit aux pêcheurs de s’éloigner de plus de 12 km des côtes.

A Deishe en Cisjordanie, à Naplouse aussi, toutes les ruelles du camp ont été obturées avec des fûts de béton afin d’obliger tout le monde à emprunter la même voie d’accès. La nuit le camp est éclairé par des projecteurs et la route est barrée par des barbelés.

Et quotidiennement : interdiction de sortir du camp ; obligation de se tenir pendant des heures, debout, sous un soleil de plomb, sans eau ; descentes surprises dans les maisons ; fouilles corporelles ; interrogatoires de nuit…

Régulièrement, en guise de représailles, des habitations, hôpitaux, écoles, sont rasés au bulldozer ou dynamités…

Et, de plus en plus : les colons qui se chargent eux-mêmes d’expéditions punitives, 22 long-rifle en bandoulière, contre ceux qui ont osé lancer des pierres ou chaparder dans leurs propriétés !

Aujourd’hui aussi, c’est la première fois dans l’histoire des affrontements en « territoires occupés » que la participation aux manifestations est aussi massive, débordant largement l’encadrement par l’OLP, première force sur le terrain qui veut faire de cette lutte contre les conditions de vie effroyables que ces prolétaires endurent, une lutte de conquête de territoires, de défense d’un Etat, de libération nationale aux accents anti-impérialistes, c’est-à-dire qui veut faire de cette lutte, une guerre fratricide dans laquelle prolétaires « palestiniens » et prolétaires « israéliens » ou « libanais » ou « syriens », « jordaniens », « égyptiens », « irakiens »… s’entretueraient pour le plus grand bien du capital.

C’est la première fois aussi depuis cette époque que des manifestations de solidarité avec la lutte des prolétaires de Gaza et Cisjordanie débordent les frontières et s’étendent de Jérusalem-Est au Caire.

Au Liban aussi, là où la bourgeoisie avait cru éliminer le danger prolétarien par la liquidation systématique des prolétaires massés dans les camps, les émeutes de l’été dernier et les grèves actuelles réunissant chaque fois des dizaines de milliers de prolétaires de toutes origines (toutes confessions et nationalités confondues) démontrent la réalité internationaliste de la lutte prolétarienne, montrent qu’il ne s’agit nullement d’un problème « palestinien », mais bien d’un affrontement de classes, affrontement entre ceux qui, de la guerre, ressortent les poches plus pleines que jamais, redorant le blason de « Suisse du Moyen-Orient » du Liban; et ceux qui, de la guerre, n’ont jamais connu que les bombardements, la famine… ceux qui n’héritent que des décombres et dont les salaires sont payés avec une monnaie… qui ne vaut plus rien ; l’écart grandissant entre les deux classes – bourgeoisie et prolétariat – se faisant tellement flagrant à ce niveau, que durant les émeutes de l’été dernier, les prolétaires lynchaient les surnommés « dollarisés » et démolissaient, banques, bureaux de change… tout ce qui symbolisait l’argent, la richesse si cruellement amassée sur leur dos et dont ils sont toujours plus cruellement privés.

Quand, au Liban, les prolétaires luttent, que ce soit contre les édifices du capital ou pour des augmentations de salaires, ils défendent aussi les intérêts et la lutte des prolétaires en Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est ; parce qu’il s’agit de la même lutte contre les conditions de vie drastiques héritées de tant d’années de guerre, de la guerre perpétuelle que la bourgeoisie mène contre le prolétariat POUR tirer un profit maximum de l’exploitation de la force de travail, et CONTRE sa lutte, contre sa force de classe qui fait qu’elle, la bourgeoisie, n’a plus face à elle des moutons dociles qui acceptent de se faire tondre sans broncher, mais des prolétaires unis dans la lutte contre leur condition de classe exploitée.

Mais, si nous mettons en avant ici l’internationalisme prolétarien qui existe de fait dans ces luttes, du fait de la réalité mondiale du mode de production capitaliste et donc du prolétariat, la faiblesse de la lutte est justement de ne pas reconnaître cette identité d’intérêts et de ne pas centraliser ses forces.

Comme on peut le voir à nouveau, ce n’est pas la combativité ni la massivité qui manque, mais la détermination claire de contre quoi on se bat, la définition nette de l’ennemi de classe que celui-ci, la bourgeoisie, s’attache évidemment, au travers de sa démocratie et de ses diverses représentations : partis, syndicats, fronts de résistance… à rendre toujours plus diffus.

Ainsi, face à chaque radicalisation du mouvement, l’OLP se subdivise en autant de tendances nécessaires, de gauche comme de droite, pro-syriennes ou pro-irakiennes… islamistes ou chrétiennes, plus extrémistes les unes que les autres, pour faire que toute critique, toute prise de distance à l’égard de sa direction, de ses objectifs de lutte, ne sorte pas du cadre de la défense de l’Etat palestinien. Et si malgré toute cette panoplie de formations, digne de toute représentation parlementaire si chère à la bourgeoisie, des tendances classistes se dessinent, rompent avec toute approche nationale de la lutte, tentent de s’organiser en dehors et contre l’OLP, l’OLP même – qui a sa propre armée, ses propres prisons comme tout Etat qui se respecte – pourchasse, emprisonne, torture et assassine.

Aujourd’hui, de ce marasme démocratico-nationaliste de résistance ou de libération… après des semaines d’affrontements, ne se dégage (apparemment parce que l’information qui nous parvient est celle que nous distille la bourgeoisie) pas de tendance réelle à l’autonomie de classe. Les affrontements restant désordonnés, sans objectifs précis sinon celui de s’attaquer à l’Ennemi tout désigné, juste en face, en uniforme que sont les forces israéliennes mais qui servent aussi de paravent aux autres, et face à une répression systématique, ce manque de perspective, risque d’épuiser la combativité, et les consignes de résistance passive de l’OLP vont évidemment dans ce sens. Epuisement qui, à moyen terme, peut déboucher sur un « règlement du conflit » par un nouveau massacre.

Malgré ces faiblesses de la lutte, la crainte de tous les Etats en quête de stabilisation de l’ordre capitaliste dans la région, est que Jérusalem, après Beyrouth, ne devienne un autre point de fixation de tous les conflits au Moyen-Orient ; ce qui, vu la position particulière de l’Etat d’Israël dans la région, est très grave pour la bourgeoisie mondiale. La fonction de gendarme attribuée à Israël est possible tant que celui-ci maintient en son sein une cohésion, une paix sociale relativement bien établie – paix sociale historiquement assurée du fait que l’Etat d’Israël soit constitué sur base du sionisme et est, au départ, un Etat de volontaires, les nouveaux arrivants étant toujours sélectionnés ; ce qui a impliqué, comme nous l’avons vu, l’expulsion des populations qui, du fait de leur histoire, pouvaient difficilement s’identifier à la cause sioniste mais qui est par contre toujours maintenue très vivante, notamment par l’arrogance des colons dans les « territoires occupés ».

Si, aujourd’hui, avec l’extension du mouvement à Jérusalem-Est, les prolétaires d’Israël commençaient à reconnaître dans la lutte de leurs frères de classe à Jérusalem, Gaza, en Cisjordanie ou encore au Liban ou ailleurs, leur propre lutte, c’est la fin de la fonction spécifique de l’Etat d’Israël. Déjà, les deux années de service militaire que doivent se taper les jeunes en Israël sont moins bien acceptées et avec le développement des conflits, l’Etat commence à avoir peur que « le citoyen s’oppose au soldat », « le civil au militaire », que dans son armée, historiquement une des plus fortes au monde mais fort mise à l’épreuve ces derniers temps, ne se développe l’insoumission, le refus d’aller se battre ! Et le problème, pour la bourgeoisie mondiale, c’est qu’aujourd’hui, aucun autre Etat n’est réellement capable de prendre la relève.

Quant à l’Etat d’Israël, étant donné qu’historiquement c’est sa position de « fermeté », d’« agression » et de répression féroce, notamment lors de la guerre des six jours où il s’est vu confirmé et étendu dans sa fonction de gendarme de toute la région et qui lui a valu le resserrement de l’unité nationale et l’afflux de capitaux de la diaspora et du monde entier, il reconduit la même politique.

Ce qui détermine aujourd’hui les dissensions au sein du gouvernement israélien entre faucons et colombes, c’est que la gestion des territoires « occupés », devient, malgré tout le bénéfice qu’il en retire, une charge trop lourde pour l’Etat. Des suggestions secrètes ont été faites à l’Egypte pour qu’elle reprenne éventuellement le contrôle de la bande de Gaza (ce qui était le cas avant 1967) mais celle-ci a refusé d’emblée. De ces masses de prolétaires dont 51,3% sont nés sous l’occupation, élevés dans la haine de l’Etat israélien et prêtes à reproduire cette haine vis-à-vis de tout autre occupant… personne n’en veut. Et si aujourd’hui, l’ONU a levé le doigt, a fait quelques remontrances à l’Etat d’Israël, son intention est à cent lieues de condamner la répression des émeutes. Au contraire, l’enjeu réel du débat est : « Qui va bien pouvoir se charger de l’extermination finale de ces perpétuelles menaces d’explosion de luttes concentrées dans ces camps, sans que cette recrudescence de la répression ne soit elle-même facteur de durcissement et d’extension de la lutte dans l’ensemble de la région ? »

Au plus la bourgeoisie parle de paix, au plus elle prépare la guerre. De sommet en sommet, d’Hafez-el-Assad à Amman, de Damas à Alger… au travers de ses plans de « paix », la bourgeoisie mondiale confirme l’Etat d’Israël dans son rôle de gendarme de cette région du Moyen-Orient. Sa paix signifie évidemment la paix de l’ordre capitaliste et pour les prolétaires, la paix des cimetières. Pour la bourgeoisie l’écrasement à long terme de tous les bastions prolétariens de la région est la condition de sa stabilisation de la situation dont la carence commençait à gêner le processus de valorisation des capitaux. Entérinant pour un temps le rapport de forces établi entre toutes les fractions bourgeoises en présence, la paix capitaliste, la paix sociale, permettrait à la bourgeoisie de relancer sa course effrénée au profit, à partir d’une exploitation toujours plus violente de la force de travail des prolétaires qu’à cet effet, elle voudrait voir défaits et pour longtemps.

Dans ces horribles négociations de chair humaine, se faisant aux sommets de monceaux de plus en plus élevés de cadavres prolétaires, l’OLP et ses fractions dissidentes, comme nous avons déjà pu voir lors des massacres de Septembre Noir et de Tell-el-Zaatar, n’ont pas un rôle négligeable.

Quand dans lesdits territoires occupés, sur une population de plus d’un million et demi, soixante mille colons sionistes soit près de 4% de la population possède 28% des terres (engageant comme manœuvres les prolétaires chaque fois plus refoulés) et bénéficie de toutes sortes de subventions de l’Etat alors que les autres voient le peu qu’ils touchent repartir immédiatement à l’Etat sous forme de taxes ; quand les uns disposent de 27.000 m³ d’eau par tête par an et que les autres ne peuvent en avoir que 200 et la paient quatre fois plus cher… quand les uns circulent armés et que les autres ont les armes braquées sur eux… que ceux à qui sont réservés tous ces privilèges de classe sont presque exclusivement de nationalité israélienne et que ceux qui croupissent dans la misère sont « réfugiés »… c’est-à-dire, quand la division en classes recoupe une séparation volontaire de la bourgeoisie, d’identité nationale ; il est facile de détourner la haine de classe en une haine a-classiste, il est facile de détourner la haine de tous ces prolétaires « réfugiés », « palestiniens » et autres, en une haine de l’Israélien, sans distinction de classe, que celui-ci soit bourgeois ou prolétaire.

De même qu’en Afrique du sud, où les prolétaires ont majoritairement la peau noire, et les bourgeois la peau blanche, la bourgeoisie mondiale exploite cette situation et ne parle que de racisme, d’Apartheid, pour camoufler l’antagonisme de classe par une polarisation qui lui est propre, ici raciale. Au Moyen-Orient, la bourgeoisie et son avant-garde, l’OLP, tente de transformer l’antagonisme de classe en une polarisation nationaliste, en un conflit entre Israéliens et Palestiniens, en un problème de compatibilité ou non de coexistence de deux « peuples ».

Pour la population des « territoires occupés », dont la prolétarisation a correspondu avec le fait d’être déportée, il est aussi facile de croire que se retrouver démuni de tout et entassés dans des camps, est dû au fait d’être privé de nationalité.

Pour cette population encore, dont les luttes ont chaque fois été livrées, par les bons soins de l’OLP, à la répression d’armées « étrangères », il est facile de faire passer les frontières qui partagent les classes sociales pour des frontières de territoires et par conséquent, d’identifier la lutte contre les conditions de vie qui leur sont imposées à une lutte de « libération nationale ».

Dans les camps, dès le plus jeune âge, à la vue des soldats israéliens, les gosses crient : « Vive l’OLP », « Palestine vaincra », etc. Dans la bande de Gaza, répondant à un journaliste, un réfugié montrant son permis de circuler dont la rubrique « nationalité » est barrée par un cachet « UNDEFINED » (indéterminée) dit : « Je ne suis rien, je n’existe pas ».

Mais ce dont les prolétaires « undefined » devraient se rendre compte c’est que ce qu’il est écrit sur leur passeport c’est : prolétaire non rentable – à éliminer. Pour le capital, effectivement, ils n’existent plus. Et si le capital est aujourd’hui emmerdé, c’est parce que ces prolétaires dont la force de travail ne l’intéresse plus se manifestent sous un autre jour, expriment l’autre pôle de la contradiction, celui de la lutte, expriment qu’existe la classe prolétaire qui est, qui vit, pour, dans, par sa lutte contre la perspective de mort que lui propose le capital.

« Les prolétaires n’ont pas de patrie, on ne peut leur enlever ce qu’ils n’ont pas. » – Marx –

Aux prolétaires du monde entier : quelles que soient les identités nationales dont on nous affuble, les Etats, quel que soit leur drapeau, ne sont jamais que l’espace de notre exploitation. Qu’en avons-nous à foutre de nous faire exploiter par des bourgeois authentiquement palestiniens plutôt qu’israéliens ! Tous les Etats du monde déportent, emprisonnent, assassinent les prolétaires selon les besoins de développement de leurs capitaux. Le profit, c’est la seule chose qui les guide. L’Etat en Palestine, avec ses ex- ou nouvelles frontières a été et sera, comme tous les Etats du monde, l’Etat de la bourgeoisie CONTRE le prolétariat. Si demain les « réfugiés », les « undefined » acquièrent une nationalité, le droit de vote, etc., ce titre de citoyenneté ne changera pas – tout au plus camouflera-t-il – le fait que les prolétaires aient juste le droit de se taire, de produire, de cracher de la valeur pour enrichir un monde dont ils seront toujours les exclus.

Aujourd’hui, la bourgeoisie mondiale réfléchit sérieusement (ce qui n’exclut pas la perspective d’un nouveau massacre) à donner ce droit de citoyenneté aux « réfugiés » de la bande de Gaza et de Cisjordanie parce qu’elle a peur que les émeutes essentiellement prolétariennes qui s’y déroulent ne se développent et remettent en question l’existence de tous les Etats de la région, elle a peur de l’extension du mouvement, elle a peur que les prolétaires d’Israël, de Palestine, du Liban, de Syrie et d’ailleurs ne se rendent compte que partout, leur lutte est la même, que partout ils triment et meurent au profit d’une même classe qui, au travers de ses différents Etats, mène une guerre perpétuelle contre le prolétariat.

Aujourd’hui, la bourgeoisie mondiale réfléchit sérieusement à donner ce droit de citoyenneté parce que pour un temps, il ferait taire les antagonismes de classes, il donnerait l’illusion aux prolétaires qu’ils ont quelque chose à gagner de ce monde. Mais la seule chose qui aurait alors changé pour eux, c’est que le drapeau sous lequel ils continueront à bosser comme des damnés, à vivre pauvrement, à toujours être dépossédés de tout et à mourir dans des guerres pour des intérêts qui ne sont pas les leurs… aura changé de couleur.

Quand les prolétaires crient : « Vive l’OLP, Palestine vaincra » et aspirent à enfin pouvoir élire leurs propres bourreaux, ils crient contre eux, contre leur lutte, contre leurs propres intérêts de classe, antagoniques à tout Etat ; ils enterrent eux-mêmes leur propre lutte.

L’OLP et ses diverses formations, est, dans cette lutte, une des premières forces opérantes de la bourgeoisie. Organisant elle-même des comités de lutte, de défense de réfugiés, participant aux affrontements… l’OLP tente de prendre le contrôle du mouvement pour mieux le dévoyer, le conduire dans des impasses, le fatiguer, l’essouffler et ISOLER LES PROLETAIRES LES PLUS COMBATIFS POUR LES DONNER A LA REPRESSION si possible israélienne… pour entretenir la polarisation !

Pour cela, il est significatif de voir qu’aujourd’hui l’OLP (qui en a les moyens) n’arme pas la lutte. Pour Arafat et les démocrates du monde entier, vu l’ampleur du mouvement, il est préférable d’en parler et même de faire le spectacle de la condamnation de la répression, de se pencher sur le sort de tel petit garçon battu à mort… plutôt que de taire l’information. Taire l’information comporte le danger de laisser le mouvement parler de lui-même, laisser parler sa nature de classe, son internationalisme. Par rapport à ça, la bourgeoisie préfère prendre les devants et donner sa version des faits.

Pour la bourgeoisie, il s’agit de légitimer la révolte d’un « peuple » contre « une injustice sociale » flagrante et donc de préserver l’image majoritaire et martyre de la lutte. Pour cela, l’image de cailloux lancés contre un char est très efficace. C’est-à-dire que tant que les prolétaires ne font pas le pas d’organiser et d’armer leur lutte, tant qu’ils n’iront pas plus loin que la simple explosion d’un trop plein sans perspective, cela permet à la bourgeoisie de continuer à flatter les faiblesses du mouvement, à faire l’apologie de tout ce qui va à l’encontre du mouvement, de toutes les illusions démocratiques, pacifistes, nationalistes. Tant que cette image est préservée, tant que c’est elle qui détient le monopole des armes, elle voudra bien verser une petite larme sur le triste sort de ces prolétaires.

Et c’est à cela aussi que répond l’OLP. Premièrement, l’OLP n’arme pas la lutte parce qu’armer une telle combativité peut être vraiment dangereux pour la bourgeoisie et ensuite parce qu’Arafat tire, à nouveau, de cette situation, tous les avantages politiques. D’un côté, il courtise tous les chefs d’Etat pour démontrer que lui aussi, en tant que bon chef d’Etat qui a déjà largement servi les intérêts capitalistes de la région, capable de reprendre en mains le contrôle des luttes, de remettre tous ces prolétaires au pas, tout en laissant la porte ouverte à l’un ou l’autre de ses collègues pour opérer un massacre nocturne pour parachever l’écrasement, bref, se targuant de pourvoir assurer la paix sociale, il a droit à une part du gâteau. De l’autre, comme poids dans la balance des négociations, il met évidemment la possibilité d’armer la lutte pour faire comprendre à ses concurrents qu’il a non seulement son mot à dire mais encore une force de frappe pour appuyer ses mots.

Face à toutes ces magouilles politicardes où chaque carte avancée est synonyme du massacre d’autant de centaines ou de milliers de prolétaires, se développe aussi l’intégrisme islamiste qui, par ses perspectives radicales recrute un nombre de plus en plus grand de jeunes prolétaires qui, n’ayant jamais connu d’autre horizon que celui des barbelés de « leur » camp, se reconnaissent moins facilement dans la perspective qu’on voudrait faire leur, de retrouver les « terres ancestrales » ; et qui, depuis la naissance mêlés à des immigrants de tout l’Orient, accordent moins de crédit aux discours nationalistes et sont plus attirés par la dimension universelle des propos islamistes.

Aujourd’hui aussi, par sa campagne médiatique, la bourgeoisie tente d’attirer la pitié sur les « pauvres déshérités » des « territoires occupés ». La commission des droits de l’homme de l’ONU… tout le monde s’en mêle pour éviter qu’apparaisse au grand jour que la situation des camps de réfugiés à Gaza, en Cisjordanie… est la même que celle des Soweto en Afrique du sud ou des villages de mineurs en Bolivie et que… ô grand mythe de l’histoire auquel on ne peut pas toucher… les camps de concentration de la guerre 1940-1945 tristement célèbres en Allemagne mais qui existaient autant en France, en Angleterre et auxquels les Etats du monde entier collaboraient. Le capital produit partout où il est (c’est-à-dire mondialement) ce genre de camps. Aucune « nationalité » de prolétaires n’a eu le privilège du génocide. C’est le sort que réserve le capital à toutes les masses de prolétaires excédentaires… par rapport à SES besoins… qu’ils soient d’origine « juive », « arménienne », « palestinienne », « algérienne »…

Les prolétaires apatrides de Cisjordanie et de Gaza concentrent en eux toute la condition de prolétaire, tout le passé d’expulsion, de migration, d’entassement, de dépossession, d’exploitation, d’extermination des prolétaires du monde entier. Et si la bourgeoisie s’acharne à donner à ces prolétaires une patrie à défendre, c’est parce que ce prolétariat, de par sa tradition de luttes, représente aussi le futur du mouvement prolétarien. Et c’est de cela que la bourgeoisie a peur ; c’est pourquoi sa campagne médiatique ; c’est pourquoi l’OLP n’arme pas le mouvement.

Si ce texte passe aussi par la description des conditions de vie des prolétaires dans les camps, ce n’est pas, contrairement à ce qu’en fait la bourgeoisie, pour en appeler à la pitié, à verser quelques larmes… mais parce que, ce que ces prolétaires vivent n’est que la caricature de ce que nous vivons ici et de ce que tous les prolétaires du monde vivent.

Depuis le début du mouvement, même si toute la bourgeoisie a dû en reconnaître la spontanéité, la massivité et le débordement des structures d’encadrement de l’OLP, elle accusera toujours l’OLP de fomenter ces révoltes parce qu’en faisant de l’OLP un martyr, elle pousse à identifier leur lutte à la cause de l’OLP. Image d’autant plus facile à entretenir que la bourgeoisie est réellement divisée en fractions concurrentes et que réellement Israël mène la guerre à l’OLP.

Mais malgré tout ce que veut en faire la bourgeoisie, le mouvement de lutte des prolétaires représente le futur du mouvement prolétarien en ce qu’il n’est pas « palestinien », en ce qu’il déborde l’encadrement de l’OLP, en ce qu’il porte en lui les perspectives de débordement des frontières des « territoires occupés », en ce qu’il peut développer son autonomie de classe en dehors et contre toutes les tendances de l’OLP et de l’Etat bourgeois mondial, en ce qu’il est, dans cette région du monde, une expression de la lutte du prolétariat mondial CONTRE la bourgeoisie mondiale.

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