Contre la guerre capitaliste ! (fr)

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  • Contre la guerre capitaliste ! (La Oveja Negra)
  • Réflexions sur le carnage capitaliste en cours (Russie-Ukraine) (Vamos Hacia la Vida)
  • L’ennemi principal est dans notre propre pays ! (Esclave Salarié Internationaliste)
  • KRAS-AIT sur la guerre en Ukraine (Grupo Moiras)

Contre la guerre capitaliste !

Source en espagnol : https://boletinlaovejanegra.blogspot.com/2022/03/contra-la-guerra-capitalista.html

Aucune guerre n’est facile à comprendre, aucune situation « géopolitique » n’est facile à appréhender. Encore moins si l’on part du principe qu’il n’y a pas de classes sociales dans le monde : il n’y a que des pays, des dirigeants et des idéologies politiques. Ainsi, il y a ceux qui soutiennent et justifient les massacres et l’horreur de la guerre. Ce sont ceux qui oublient ou veulent faire oublier que les guerres se font pour de l’argent. Comme le soulignent actuellement les camarades en Russie, derrière la guerre se cachent uniquement les intérêts de ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et militaire : « Pour nous, travailleurs, retraités, étudiants, elle n’apporte que souffrance, sang et mort. Le siège de villes pacifiques, les bombardements, le meurtre de personnes n’ont aucune justification. »

La guerre rend explicite l’horreur d’une société basée sur l’accumulation et le profit. C’est la paix capitaliste par d’autres moyens. Ce qui se passe en Ukraine s’ajoute aux guerres et aux invasions dont on ne signale malheureusement aucuns nouveaux développements (Palestine, Yémen, Syrie) et aux millions de morts de la faim, de la misère, du travail, de maladies évitables ou du suicide.

Dans les zones de conflit, il y a aussi des morts et des difficultés dues aux bombardements, au manque d’eau, de nourriture, de médicaments, d’abris et d’énergie. Ainsi que dans les camps de réfugiés, dans les prisons, au front. Ils recrutent des prolétaires de différents pays pour qu’ils s’entretuent dans l’intérêt de leurs exploiteurs et dirigeants, dans l’intérêt de la bourgeoisie ! Ils emprisonnent ceux qui, en Russie, s’opposent à la guerre et manifestent publiquement et collectivement. Ils militarisent et augmentent l’intensité du travail tout en exacerbant les ajustements. C’est la guerre ! Ce sont les guerres contre le prolétariat !

La guerre est le domaine de la destruction contrôlée, du désastre prémédité, de la gestion et de l’administration de la mort et de la misère. Cette concurrence est inhérente au Capital. Les prolétaires se battent, meurent et subissent l’état de guerre au nom d’un bloc ou d’un autre, alors que nous, prolétaires, n’avons aucune patrie et aucune nation à défendre. Comme le soulignait Marx : « La nationalité du travailleur n’est pas française, anglaise, allemande, elle est le travail, le libre esclavage, le trafic de soi-même. Son gouvernement n’est pas français, anglais, allemand, c’est le capital. L’air qu’il respire chez lui n’est pas l’air français, anglais, allemand, c’est l’air des usines. Le sol qui lui appartient n’est pas le sol français, anglais, allemand, c’est quelques pieds sous la terre. A l’intérieur, l’argent est la patrie de l’industriel. »

Pourtant, il y a ceux qui, s’obstinant à appartenir ou à s’identifier à un camp capitaliste, c’est-à-dire meurtrier, justifient telle ou telle guerre, tel ou tel attentat, tel ou tel État. Avec des arguments éculés, qu’ils soient staliniens ou libéraux, fascistes ou antifascistes, voire anti-impérialistes, ils se concentrent tous sur la consolidation de l’exploitation et de l’oppression : c’est-à-dire le capitalisme.

Bien sûr il y a des différences, ce n’est pas parce qu’ils sont tous merdiques qu’ils sont tous pareils : Zelenski, Biden, Poutine, l’OTAN, les néo-nazis ukrainiens, les néo-nazis russes. Les dirigeants des États, leurs conflits et leurs alliances, leur paix et leurs guerres, leurs développements et leurs destructions, leurs sciences et leurs religions, leurs aides humanitaires et leurs contrôles de sécurité ne servent qu’un seul intérêt : le maintien du règne de la paix sociale, qui n’est rien d’autre que la paix des cimetières.

Il n’existe pas de « bons » ou de « mauvais » dirigeants bourgeois, de « bons » ou de « mauvais » partis bourgeois ; et cela n’a pas non plus de sens de parler de « bonnes » ou de « mauvaises » nations ou de « bons » ou de « mauvais » États. Hier, aujourd’hui et demain, l’intérêt de la classe bourgeoise est et sera toujours en guerre contre le prolétariat. Le travail, l’exploitation, la misère et la guerre sont les formes concrètes de cet intérêt.

En temps de guerre comme en temps de paix, nous nous adaptons « dans l’intérêt du pays ». Mais comme nous le disons depuis des décennies sur tous les continents : l’ennemi est aussi « dans notre propre pays », c’est « notre » bourgeoisie.

La force révolutionnaire du prolétariat dépend de sa capacité à lutter contre les différentes fractions bourgeoises, contre les différentes formes de domination que le capital déploie. C’est dans ce sens que, face à toutes les guerres bourgeoises, les révolutionnaires sont solidaires de leurs semblables des autres régions et, comme ils l’ont fait dans le passé, ils lancent aujourd’hui et lanceront toujours des consignes internationalistes et révolutionnaires contre la guerre. Ces consignes n’ont peut-être pas actuellement la force nécessaire pour être une pratique de masse du prolétariat, mais elles constituent néanmoins une direction et une perspective.

Dans l’Argentine pacifique et mortuaire, les gouvernements nous ajustent pour le bien du pays, les faux détracteurs nous disent que le problème n’est pas la bourgeoisie locale mais le FMI. Ils nous parlent de « peuple » comme s’il n’y avait que des intérêts nationaux dans ce pays et non des intérêts de classe. Ainsi, ils veulent nous apprivoiser en toute quiétude et nous préparer à des conditions encore pires, voire à la guerre. En Ukraine, la loi martiale a été décrétée pour réprimer toutes sortes d’actions considérées comme antipatriotiques, tout en déclenchant une campagne violente contre les personnes qui volent dans les magasins ou se livrent au pillage. Ailleurs dans le monde, la détérioration des conditions de vie due à la guerre a déjà commencé. Tant dans les pays directement concernés, chez leurs voisins européens, que dans le reste du monde, c’est le prolétariat qui en paiera le prix. Alors que la « guerre » contre le virus semblait terminée, une autre a commencé. Une nouvelle justification pour se serrer la ceinture. En Argentine, au cours de la première semaine de mars, les prix de la farine ont augmenté de 52% en quatre jours. Depuis le début du conflit, les prix des matières premières de base pour l’alimentation déficiente de cette région sont montés en flèche. Et il y en a encore qui pensent qu’ils décident du cours du pays parce qu’ils votent tous les quelques années.

Traduction française : Los Amigos de la Guerra de Clases

Réflexions sur le carnage capitaliste en cours (Russie-Ukraine)

Source en espagnol : https://hacialavida.noblogs.org/reflexiones-a-proposito-de-la-carniceria-capitalista-en-curso-rusa-ucrania/

[EN COURS DE TRADUCTION]

L’ennemi principal est dans notre propre pays !

Source en espagnol : https://panfletossubversivos.blogspot.com/2022/03/el-enemigo-principal-esta-en-el-propio.html

Sans entrer ici dans les détails des causes de l’affrontement entre la Russie et le bloc occidental dominé par les États-Unis et qui a conduit à la guerre en territoire ukrainien, le bourrage de crâne du capitalisme qui règne en maître sous toutes les latitudes est le même qu’il y a un siècle, le même qu’en 1914, le même qu’en 1940, le même que dans toutes les guerres qui ont eu lieu après, par-ci, par-là dans le monde. En effet, les conflits guerriers n’ont jamais cessé. La guerre est intrinsèque au capital.

Et bien, face à cette situation, notre réponse doit être la même que celle émise par les révolutionnaires, forcément internationalistes, d’antan.

Face à l’agression russe, les États capitalistes opposés à cette dernière n’ont de cesse d’insister sur les atrocités de l’impérialisme russe, à l’intérieur de ses frontières comme à l’extérieur de celles-ci. Comme si ces États très démocratiques et civilisés n’avaient pas de sang sur les mains, comme si ces États n’étaient désireux que du bien-être de leurs esclaves appelés de temps à autre à choisir par les urnes ceux qui gèreront les fruits de leur exploitation !

Ainsi, ces États insistent lourdement, c’est leur intérêt, sur la résistance de la population ukrainienne face à l’invasion des forces militaires russes de « son » territoire. La défense de la patrie est ainsi encensée, applaudie, vénérée. Cependant, n’oublions pas que des centaines milliers d’Ukrainiens essaient de fuir « leur » territoire et que les hommes entre 18 et 60 ans n’ont pas le droit de sortir d’Ukraine. Une belle kalashnikov leur est gracieusement offerte pour tirer sur la soldatesque russe et mourir pour l’indépendance de leur pays !

Cette soldatesque, pour sa part, peut bien, pourquoi pas, remonter au Moyen Âge et revendiquer l’État slave oriental de la Rus’ de Kiev, l’entité commune à l’histoire des trois États slaves orientaux actuels : Biélorussie, Russie et Ukraine ; ou bien encore revendiquer la Grande Russie comprenant l’Ukraine sous les tsars et sous Staline, alors dénommée fallacieusement URSS, elle qui n’avait rien ni de soviétique ni de socialiste. Cette Russie, en envoyant sa soldatesque et ses moyens de destruction, prétend reprendre cette terre qui était sienne, dit-elle, d’autant qu’il est hors de question pour elle que l’Ukraine puisse faire partie de l’OTAN, ce bloc impérialiste qui lui a toujours été opposé.

La classe des esclaves salariés, la classe des prolétaires, les marchandises à deux pattes que le capitalisme mondial utilise à son gré et jette à la poubelle quand il n’en a plus besoin, cette classe qui est la nôtre donc, n’a rien à défendre dans tout ça. Elle ne doit pas servir de chair à canons. En temps de guerre comme en temps de paix, c’est toujours elle qui trinque.

Que cette classe, la nôtre, n’oublie pas que lorsqu’elle proteste, lorsqu’elle s’insurge, les puissances capitalistes qui s’affrontent les unes aux autres pour défendre leurs intérêts et leurs profits, de même que les différentes fractions capitalistes d’un même pays qui s’opposent les unes aux autres pour les mêmes raisons, S’UNISSENT, comme par enchantement, pour écraser le mouvement de subversion sociale là où il se manifeste !

Ces kalashnikovs que le pouvoir ukrainien est prêt à distribuer, voire à imposer à sa population civile entre 18 et 60 ans, la classe des exploités devrait les retourner contre lui pour arrêter la guerre en fraternisant avec les soldats russes qui, eux, devraient retourner leurs armes contre leurs officiers et leur propre État.

Sachons prolétaires que le système qui nous exploite, qui fait de nous de simples marchandises jetables créatrices de valeur, n’est rien sans nous ! Pour aussi loin que nous soyons actuellement d’agir comme une classe unie et solidaire, la seule solution est d’en finir mondialement avec le capitalisme sous toutes ses formes politiques. C’est la seule façon d’en finir à jamais avec les causes des guerres impérialistes !

Pas une seule goutte de sang en défense de la patrie !

Comme l’a dit Karl Liebknecht lors de la première Guerre Mondiale, « l’ennemi principal est dans notre propre pays ».

Prolétaires de tous les pays, unissons-nous, supprimons les armées, les polices, la production de guerre, les frontières, le travail salarié.

Pour une société sans classes !

2 mars 2022

Esclave Salarié Internationaliste

Traduction française : https://leftcommunism.org/IMG/pdf/notre_ennemi_est_dans_nos_propres_frontieres.pdf

KRAS-AIT sur la guerre en Ukraine

Source en espagnol : https://grupomoiras.noblogs.org/post/2022/03/13/kras-ait-acerca-de-la-guerra-en-ucrania

Face à la vitesse à laquelle les événements de la guerre en Ukraine avancent et aux informations fragmentaires, confuses et biaisées qui nous parviennent à travers les différents médias, le groupe Moiras a décidé d’envoyer cette semaine quelques questions à la section russe de l’AIT, afin d’obtenir une perspective libertaire sur le conflit qui nous aidera à nous positionner et à prendre des décisions sur la base d’une connaissance élargie. Dans le texte ci-dessous, ces questions sont rassemblées avec les réponses envoyées par la KRAS, que nous remercions pour leur réponse rapide et claire.

Moiras : Dans votre communiqué à l’AIT sur la guerre en Ukraine, vous désignez les marchés du gaz comme la principale raison du conflit. Nous aimerions en savoir plus sur les intérêts capitalistes spécifiques qui se cachent derrière cette guerre, tant du côté russe que du côté des pays pro-OTAN, et sur les récents développements politiques dans votre région en ce qui concerne ces marchés et leur influence sur l’économie des pays occidentaux. Ces informations ont tendance à être reléguées au second plan dans les médias d’ici, qui sont très axés sur l’actualité quotidienne, mais où il y a peu d’analyse.

KRAS : Tout d’abord, il est nécessaire de comprendre qu’il existe différents niveaux de conflit et différents niveaux de contradictions intercapitalistes. Au niveau régional, la guerre d’aujourd’hui n’est qu’une continuation de la lutte entre les castes dirigeantes des États post-soviétiques pour la redivision de l’espace post-soviétique. Contrairement au mythe populaire, l’Union soviétique s’est effondrée non pas à la suite de mouvements de libération populaires, mais à la suite des actions d’une partie de la nomenklatura au pouvoir, qui s’est partagé des territoires et des sphères d’influence, alors que les méthodes habituelles et établies de leur domination étaient en crise. Depuis cette division initiale, fondée sur l’équilibre des forces à l’époque, une lutte constante pour la redistribution des territoires et des ressources s’est développée, entraînant des guerres constantes dans toute la région post-soviétique. Dans le même temps, les classes dirigeantes de tous les États post-soviétiques (tous, à un degré ou à un autre, sont issus de la nomenklatura soviétique ou de ses successeurs) ont adopté le nationalisme militant dans leur idéologie, le néolibéralisme dans leur économie et des méthodes de gestion autoritaires dans leur politique.

Le deuxième niveau de conflit est la lutte pour l’hégémonie dans l’espace post-soviétique entre l’État le plus puissant de la région, la Russie, qui prétend être une puissance régionale et considère l’ensemble de l’espace post-soviétique comme une zone d’intérêts hégémoniques, et les États du bloc occidental (bien qu’ici aussi, les intérêts et les aspirations des États-Unis et des différents États européens de l’OTAN et de l’UE puissent ne pas être exactement les mêmes). Les deux parties cherchent à établir leur contrôle économique et politique sur les pays de l’ancienne Union soviétique. D’où le conflit entre l’expansion de l’OTAN vers l’est et le désir de la Russie de placer ces pays sous son influence.

Le troisième niveau de contradictions est de nature économico-stratégique. Ce n’est pas un hasard si la Russie moderne est qualifiée d’« appendice à l’oléoduc et au gazoduc ». La Russie joue aujourd’hui sur le marché mondial, avant tout, le rôle de fournisseur de ressources énergétiques, gaz et pétrole. La classe dirigeante prédatrice et profondément corrompue, purement parasitaire dans son essence, n’a pas commencé à investir dans la diversification de la structure économique, se contentant des superprofits de l’approvisionnement en gaz et en pétrole. Pendant ce temps, les capitaux et les États occidentaux entament la transition vers une nouvelle structure énergétique, dite « énergie verte », visant à réduire la consommation de pétrole et de gaz à l’avenir. Pour le capital russe et son économie, cela signifiera le même effondrement stratégique que la chute des prix du pétrole a autrefois provoqué pour l’économie soviétique. Le Kremlin cherche donc à empêcher ce tournant énergétique, ou à le ralentir, ou du moins à obtenir des conditions plus favorables pour lui-même dans la redistribution du marché de l’énergie. Par exemple, la recherche de contrats d’approvisionnement à long terme et de meilleurs prix, l’éviction des concurrents, etc. Si nécessaire, cela peut impliquer une pression directe sur l’Ouest de diverses manières.

Enfin, le quatrième niveau (mondial) est celui des contradictions entre les principales superpuissances capitalistes, les États-Unis qui reculent et la Chine qui avance, autour desquelles se forment des blocs d’alliés, de vassaux et de satellites. Les deux pays se disputent aujourd’hui l’hégémonie mondiale. Pour la Chine, avec sa stratégie « une ceinture, une route », la conquête progressive des économies d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine et la pénétration de l’Europe, la Russie est un partenaire subalterne important. La réponse des États-Unis et de leurs alliés occidentaux est l’expansion de l’OTAN vers l’est, s’approchant par l’Ukraine et la Géorgie du Proche et du Moyen-Orient et de ses ressources. Il s’agit également d’un projet de type « ceinture ». Elle se heurte à la résistance des rivaux impérialistes : la Chine et la Russie, qui en sont de plus en plus dépendants.

En même temps, l’aspect politique interne ne doit pas être négligé. La crise de Covid a révélé la profonde instabilité interne de la structure politique, économique et sociale de tous les pays du monde. Cela vaut également pour les États de l’Ouest, la Russie, l’Ukraine, etc. La détérioration des conditions de vie, l’augmentation des prix et des inégalités sociales, l’indignation massive de la population face aux mesures coercitives et dictatoriales et aux interdictions ont donné lieu à un mécontentement généralisé dans la société. Et dans de telles situations, les classes dirigeantes ont toujours eu recours à des méthodes éprouvées pour rétablir la fameuse « unité nationale » et la confiance de la population dans le pouvoir : créer l’image d’un ennemi et attiser l’hystérie militaire, jusqu’à une « petite guerre victorieuse ».

Moiras : Dans les pays de l’Union européenne, les médias, se faisant l’écho des gouvernements, ne cessent de nous dire que Poutine est le seul responsable de cette guerre. Connaissant l’histoire de l’OTAN, avec les États-Unis en tête, nous pensons que ce n’est pas le cas. Comment pouvons-nous expliquer cela à nos populations sans avoir l’air de justifier l’attaque russe et de nous ranger du côté du gouvernement Poutine ?

KRAS : Malheureusement, la conscience du grand public a tendance à chercher des réponses simples et grossières aux questions. Nous n’avons aucune raison de sympathiser avec le propriétaire du Kremlin et son administration. Ses politiques néolibérales ont conduit à un véritable effondrement des systèmes de santé et d’éducation, à la pauvreté des retraités et des travailleurs du secteur public en province. Les salaires dans le pays sont monstrueusement bas, le mouvement ouvrier est vraiment paralysé… Mais, quoi qu’il en soit, nous comprenons que tout cela est le produit d’un certain système basé sur l’État et le capital. Nous ne vivons pas au XVIIe siècle, ni à l’époque des monarchies absolutistes. Considérer que tout ce qui se passe dans le monde est l’œuvre de quelques « héros » ou « anti-héros » individuels est pour le moins naïf, mais c’est en fait l’une des formes de la théorie du complot elle-même. C’était excusable au XIXe siècle pour le romantique Carlyle ou l’écrivain Alexandre Dumas. Mais à notre époque, il convient de comprendre que le monde est beaucoup plus compliqué et que le capitalisme, en tant que système social, fonctionne d’une manière différente. Notre tâche consiste donc à expliquer aux gens la conditionnalité systémique des problèmes qui secouent le monde actuel. Y compris les guerres de ce monde. Et que la seule façon de résoudre ces problèmes est de détruire le système social qui les crée.

Moiras : Les modèles de la guerre froide sont reproduits, de sorte qu’il semble que si vous critiquez un camp, vous êtes avec l’autre. C’est très problématique pour les anarchistes, surtout lorsque nous ne sommes socialement pas assez forts. Nous voulons agir, mais nous avons peur d’être entraînés et utilisés par les armées des États. Dans les manifestations qui se déroulent dans nos villes, la proclamation de « non à la guerre » se mêle aux appels à l’intervention de l’OTAN. Le journalisme favorable au gouvernement du parti socialiste espagnol, le PSOE, nous présente la nécessité d’une intervention, en établissant parfois un parallèle historique avec la guerre civile espagnole et les conséquences de la non-intervention des pays européens, ou la participation des exilés espagnols en France, dont beaucoup d’anarchistes, à l’armée française contre les nazis. Que faire : pacifisme et non-intervention, comme c’était la position majoritaire de l’anarchisme pendant la première guerre mondiale, ou soutenir la résistance ukrainienne contre l’invasion des troupes russes ? Cette deuxième option peut-elle être considérée comme une action internationaliste contre l’impérialisme ?

KRAS : De notre point de vue, il n’y a aucune comparaison avec la situation de la guerre civile en Espagne et il ne peut y en avoir. Les anarchistes espagnols prônaient une révolution sociale. De même, il ne peut y avoir de comparaison entre, par exemple, le mouvement makhnoviste en Ukraine et la défense de l’État ukrainien moderne. Oui, Makhno s’est battu contre les envahisseurs étrangers, austro-allemands, et contre les nationalistes ukrainiens, et contre les Blancs et, finalement, contre les Rouges. Mais les partisans makhnovistes ne se sont pas battus pour l’indépendance politique de l’Ukraine (à laquelle ils étaient d’ailleurs indifférents), mais pour la défense de ses acquis sociaux révolutionnaires : pour la terre paysanne et la gestion ouvrière de l’industrie, pour les soviets libres. Dans la guerre actuelle, nous parlons exclusivement de l’affrontement entre deux États, deux groupes de capitalistes, deux nationalismes. Il n’appartient pas aux anarchistes de choisir le « moindre mal » entre les deux. Nous ne voulons pas la victoire de l’un ou de l’autre. Toute notre sympathie va aux travailleurs ordinaires qui meurent aujourd’hui sous les obus, les roquettes et les bombes.

En même temps, il convient de rappeler que la position de la plupart des anarchistes sur la Première Guerre mondiale n’est pas simplement pacifiste. Comme l’indique le manifeste contre la guerre de 1916, c’est un moyen de transformer la guerre impérialiste en une révolution sociale. Quelles que soient les possibilités d’y parvenir à l’heure actuelle, les anarchistes, à notre avis, devraient constamment formuler et propager une telle perspective.

Moiras : D’autre part, des images de groupes armés se présentant comme des bataillons anarchistes de l’armée ukrainienne nous parviennent sur internet, savez-vous s’il s’agit réellement d’anarchistes et quelle est leur façon de voir le conflit ? Et quant à la dépendance aux armes occidentales pour lutter contre l’attaque russe, cela ne conditionne-t-il pas trop la possibilité de bataillons libertaires dans l’armée ou d’une guérilla anarchiste ukrainienne indépendante ? Savez-vous ce qui reste de la makhnovtchina, la révolution anarchiste d’il y a un siècle, dans la mémoire de la population ukrainienne ? Existe-t-il aujourd’hui un mouvement anarchiste en Ukraine ?

KRAS : En 2014, le mouvement anarchiste ukrainien était divisé entre ceux qui ont soutenu la contestation libérale-nationaliste sur Maidan puis ont aidé le nouveau gouvernement contre les séparatistes du Donbass et ceux qui ont essayé d’adopter une position plus internationaliste. Malheureusement, ces derniers étaient moins nombreux, mais ils étaient là. Aujourd’hui, la situation est similaire, mais encore plus aiguë. De manière générale, il existe trois positions. Certains groupes (comme « Nihiliste » et « Action révolutionnaire » à Kiev) considèrent ce qui se passe comme une guerre contre l’impérialisme russe et la dictature de Poutine. Ils soutiennent pleinement l’État nationaliste ukrainien et ses efforts militaires dans cette guerre. La tristement célèbre photo des combattants « anarchistes » en uniforme montre exactement les représentants de cette tendance : elle montre les supporters du club de football « antifasciste » Arsenal et les participants d’« Action révolutionnaire ». Ces « antifascistes » ne sont même pas gênés par le fait que des formations armées ouvertement profascistes, comme Azov, se trouvent parmi les troupes ukrainiennes.

La deuxième position est représentée, par exemple, par le groupe « Bannière noire » à Kiev et à Lvov. Avant la guerre, il critiquait sévèrement l’État ukrainien, la classe dirigeante, ses politiques néolibérales et son nationalisme. Lorsque la guerre a éclaté, le groupe a déclaré que le capitalisme et les dirigeants des deux camps étaient responsables de la guerre, mais a en même temps appelé à rejoindre les forces de la soi-disant « autodéfense territoriale » – des unités militaires volontaires d’infanterie légère, qui sont formées sur une base territoriale, sur le terrain.

La troisième position est exprimée par le groupe « Assemblée » de Kharkov. Elle condamne également les deux parties du conflit, même si elle considère que l’État du Kremlin est la force la plus dangereuse et la plus réactionnaire. Il n’appelle pas à rejoindre des formations armées. Les militants du groupe organisent désormais l’assistance à la population civile et aux victimes des bombardements de l’armée russe.

La participation des anarchistes à cette guerre dans le cadre des formations armées opérant en Ukraine, nous la considérons comme une rupture avec l’idée et la cause de l’anarchisme. Ces formations ne sont pas indépendantes, elles sont subordonnées à l’armée ukrainienne et exécutent les tâches fixées par les autorités. Ils ne proposent pas de programmes et de revendications sociales. Les espoirs de mener une agitation anarchiste parmi eux sont douteux. Il n’y a pas de révolution sociale à défendre en Ukraine. En d’autres termes, ces personnes qui se disent anarchistes sont simplement envoyées pour « défendre la patrie » et l’État, jouant le rôle de chair à canon pour le Capital et renforçant les sentiments nationalistes et militaristes parmi les masses.

Moiras : Dans nos villes, les communautés de travailleurs migrants ukrainiens, avec la collaboration des organisations humanitaires et des mairies, organisent la collecte et l’envoi en Ukraine de nourriture, de vêtements chauds, de médicaments… La population espagnole est très solidaire mais ni la guerre ni la pandémie de covid ne semblent avoir aidé nos sociétés à remettre en question leur dépendance aux ressources énergétiques et aux matières premières, dépendance qui entretient le néocolonialisme et détruit l’équilibre naturel de la planète. Compte tenu de la rareté des ressources, un retour au charbon et une poussée vers l’énergie nucléaire sont prévus. Peut-être la société russe est-elle plus consciente des dangers et de la nécessité d’alternatives ? Les mouvements sociaux ont-ils un plan d’action dans ce sens ? Qu’en pensent la KRAS et l’AIT ?

KRAS : Malheureusement, l’état des mouvements sociaux dans la Russie moderne est déplorable. Il est vrai que, même ces dernières années, il y a eu plusieurs protestations pour l’environnement, actives et persistantes, au niveau local : contre les décharges, les incinérateurs de déchets ou la destruction de l’environnement par l’industrie minière, notamment l’exploitation du charbon. Mais elles n’ont jamais abouti à un mouvement puissant au niveau du pays dans son ensemble. Quant à la lutte contre l’énergie atomique et les centrales nucléaires, qui a atteint son apogée en Union soviétique et en Russie à la fin des années 1980 et dans les années 1990, il n’y a pratiquement plus de soulèvements de ce type aujourd’hui.

Moiras : Les manifestations des Russes contre la guerre aident les populations d’Europe à comprendre que ce ne sont pas les Russes qui attaquent l’Ukraine, mais l’armée de l’État qui dirige la Russie. Cela se reflète dans les médias de nos pays, et nous savons que des milliers de personnes ont été arrêtées en Russie à la suite des manifestations, comment cela affecte-t-il l’anarchisme russe ? Qu’est-ce que cela signifie pour votre liberté d’expression et d’action dans votre pays ?

KRAS : Les manifestations et diverses autres actions contre la guerre ont eu lieu sans discontinuer depuis le premier jour. Des milliers de personnes y participent. Les autorités en interdisent la tenue sous le prétexte de « restrictions anti-covid » et les dispersent brutalement. Au total, jusqu’au 8 mars, quelque 11 000 personnes ont été arrêtées lors de manifestations dans plus de 100 villes du pays. La plupart d’entre eux risquent des amendes de 10 000 à 20 000 roubles pour avoir organisé une manifestation « non autorisée ». Cependant, les accusations sont déjà plus vicieuses : 28 personnes ont déjà été inculpées de hooliganisme, d’extrémisme, de violence contre les autorités, etc., pour lesquelles elles risquent des peines allant jusqu’à de nombreuses années de prison. Les autorités profitent clairement de la guerre pour « serrer la vis » à l’intérieur du pays. Les médias critiques sont fermés ou bloqués. Une campagne de guerre hystérique est menée dans les médias officiels. Une loi a été adoptée selon laquelle la diffusion de « fausses informations » sur les activités de l’armée et le « discrédit de l’armée », ainsi que la résistance à la police, sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison. Le Parlement est même saisi d’un projet de loi qui permettrait d’envoyer au front les opposants à la guerre arrêtés. Des personnes sont licenciées de leur emploi, des étudiants sont expulsés des universités pour des discours anti-guerre. La censure militaire est introduite.

Dans cette situation, le mouvement anarchiste russe, petit et divisé, fait ce qu’il peut. Certains prennent part à des manifestations de protestation. Ensuite, deux de nos camarades ont également été arrêtés et condamnés à une amende. D’autres critiquent ces manifestations, car les appels à ces dernières proviennent souvent de l’opposition libérale de droite et ne sont pas tant anti-guerre que pro-ukrainiens (et parfois même pro-OTAN). Il reste la possibilité d’aller aux manifestations avec ses propres slogans et affiches (certains anarchistes le font), ou de mener de petites actions indépendantes et décentralisées. Les anarchistes écrivent des slogans anti-guerre sur les murs, peignent des graffitis, collent des autocollants et des tracts, accrochent des bannières anti-guerre. Il est important de transmettre aux populations notre position particulière et indépendante, en même temps anti-guerre, anticapitaliste, antiautoritaire et internationaliste.

Traduction française : Los Amigos de la Guerra de Clases

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