[Barbaria] Le défaitisme révolutionnaire et ses ennemis

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Présentation de GdC :

Nous avons traduit en français et nous publions ici la dernière contribution du groupe Barbaria concernant la guerre en Ukraine et la lutte contre les deux camps bourgeois en présence. Barbaria réaffirme très correctement la seule alternative prolétarienne face à la négation de notre humanité, que ce soit au travail ou à la guerre : le défaitisme révolutionnaire et la transformation de la guerre capitaliste entre États en une guerre révolutionnaire entre classes.

Il y a pourtant un bémol que nous avons du mal à digérer : nous nous refusons de suivre les camarades du groupe Barbaria lorsqu’ils citent Lénine (même si la citation peut être correcte), comme si ce personnage avait été un camarade de notre classe, de notre parti, comme s’il n’avait pas été (lui et son parti en tant que structuration politique), dans tous les processus où notre classe tente d’émerger du néant de son aliénation, l’un des éléments les plus radicaux de la social-démocratie historique (c’est-à-dire le parti bourgeois à destination des ouvriers) et donc de la reconstitution de l’État en Russie ébranlé par la vague insurrectionnelle prolétarienne.

Qui plus est, en ce qui concerne le rôle de Lénine dans la lutte contre la guerre, nous affirmons simplement ceci : ni la conférence de Zimmerwald, qui était de fait une réunion de la social-démocratie internationale « non-belliciste » et pacifiste, ni même ladite « gauche zimmerwaldienne », qui n’avait que la couleur de la révolution sans en avoir véritablement les attributs, ne représentaient une quelconque véritable réponse de notre classe au carnage mondial. Par contre, nous revendiquons bel et bien toutes les ruptures communistes (et/ou anarchistes) qui s’affirmeront en-dehors et contre la mise au pas du prolétariat.

Et en conséquence de quoi, nous refusons également de considérer le groupe Matériaux critiques comme des « camarades » comme l’affirme le texte de Barbaria. Quelle que puisse être éventuellement l’importance de certaines affirmations de ce groupe, il n’a jamais, au grand jamais, véritablement rompu avec le léninisme, avec le bolchevisme, bien du contraire !

Cela étant dit, nous vous souhaitons une bonne lecture…

Guerre de Classe – 29 mai 2023

Le défaitisme révolutionnaire et ses ennemis

Source en espagnol : https://barbaria.net/2023/05/26/fragmentando-el-imperialismo-el-derrotismo-revolucionario-y-sus-enemigos/

« Souillée, déshonorée, pataugeant dans le sang, couverte de crasse ; voilà comment se présente la société bourgeoise, voilà ce qu’elle est. Ce n’est pas lorsque, bien léchée et bien honnête, elle se donne les dehors de la culture et de la philosophie, de la morale et de l’ordre, de la paix et du droit, c’est quand elle ressemble à une bête fauve, quand elle danse le sabbat de l’anarchie, quand elle souffle la peste sur la civilisation et l’humanité qu’elle se montre toute nue, telle qu’elle est vraiment. »

Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie (la brochure de Junius), 1915

Introduction

Un an après le début de la guerre en Ukraine, à la lumière des événements, il devrait être plus évident que jamais qu’il s’agit d’une guerre impérialiste. Nous avons vu comment, progressivement, de plus en plus d’États se sont impliqués dans le massacre des prolétaires ukrainiens et russes pour défendre leurs intérêts géopolitiques. Dans ce contexte, les positions révolutionnaires à défendre par rapport à la guerre devraient être plus évidentes que jamais. Or, ce n’est pas toujours le cas. Au sein de certains courants dits révolutionnaires, des positions campistes continuent de s’affirmer sur la base d’arguments les plus divers qui nient le défaitisme révolutionnaire et, par conséquent, les leçons passées de notre tradition.

A notre avis, ces courants, en choisissant un camp impérialiste, ont décidé de tourner le dos à l’internationalisme et au principe de l’indépendance de classe et, ce faisant, ont automatiquement quitté le camp révolutionnaire. Dans ce texte, nous entendons rendre compte à la fois des arguments des organisations qui, sans venir de la gauche du capital, se séparent des positions de classe en abandonnant les positions du défaitisme révolutionnaire, et d’autres organisations qui viennent de la gauche du capital et qui, en ne rompant pas avec la contre-révolution idéologique, reproduisent les arguments campistes consistant à toujours choisir un moindre mal dans les conflits inter-capitalistes.

Les positions campistes

Soutien au peuple ukrainien : le fétichisme ouvriériste de l’auto-organisation

L’un des arguments utilisés pour défendre la position du camp pro-ukrainien est l’idée qu’il faut faire preuve de solidarité avec le peuple ukrainien qui s’organise pour défendre ses maisons et ses terres. Dans le texte de John Garvey publié dans la revue Insurgent Notes, celui-ci affirme qu’il ne soutient pas l’État ukrainien mais le peuple ukrainien, les travailleurs ukrainiens qui se sont organisés en milices pour lutter contre l’offensive de l’État russe. Dans Avtonom, ils soulignent que ce n’est pas seulement l’armée ukrainienne qui se bat contre l’armée russe, mais aussi les unités de défense territoriale : des gens ordinaires qui ont maintenant des armes et pourraient dès lors les garder et exiger le respect de la part des autorités.

Les liens que ces gens ordinaires armés tissent en se battant aux côtés de leur bourgeoisie pour défendre l’État ukrainien ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Leur expérience de collaboration contre un ennemi extérieur ne conduira pas le prolétariat, une fois la guerre terminée, à se battre contre sa bourgeoisie, aussi armé soit-il. L’histoire a montré que la collaboration interclassiste pour la défense de l’Etat en guerre ne conduit pas à un renforcement de la lutte des classes, bien au contraire : les fronts populaires et la victoire des Alliés dans la seconde guerre mondiale n’ont pas conduit à une vague de révolutions, mais ont contribué à réduire à néant la lutte des classes ; il en a été de même dans les guerres anticoloniales d’indépendance nationale. En revanche, la révolution prolétarienne est allée de pair avec le défaitisme révolutionnaire qui a mis fin à la Première Guerre mondiale.

Il existe en effet des milices auto-organisées se réclamant de l’anarchisme, composées de personnes sociologiquement prolétaires. Cependant, les prolétaires n’agissent pas toujours dans un sens révolutionnaire, ils n’agissent pas toujours en tant que prolétariat, en tant que classe, quel que soit le nombre de dénominations radicales auxquelles ils s’identifient. Le prolétariat ne se constitue en classe que dans la mesure où il réalise son indépendance de classe, s’approprie sa doctrine et adhère à son programme historique. Dans la mesure où ces milices ne retournent pas leurs armes contre l’État ukrainien et sa bourgeoisie mais le défendent et en dépendent, les soutenir revient à soutenir directement l’interclassisme et la défense de l’État bourgeois. Et c’est le contraire de la défense de la révolution.

Nous regrettons que certains groupes qui se croient révolutionnaires soient prêts à échanger les principes d’indépendance de classe et d’internationalisme contre un soutien ouvriériste à toute activité pratique dans laquelle la classe ouvrière sociologique est présente, même si cela va directement à l’encontre des intérêts historiques et immédiats du prolétariat. Dans cette situation, nous considérons qu’il est nécessaire de critiquer les positions qui, en défendant ces formes d’auto-organisation, finissent par soutenir un interclassisme qui sape la possibilité réelle d’auto-organisation de classe. Il est nécessaire de s’opposer clairement à ces organisations autoproclamées libertaires en Ukraine telles que RevDia, Black Flag ou Black Headquarter, qui se sont armées et organisées en milices pour lutter aux côtés de leur bourgeoisie pour la défense du territoire contre l’invasion russe, ainsi qu’aux initiatives telles que les Solidarity Collectives – anciennement Operation Solidarity – un réseau qui collecte des fonds pour armer des bataillons anarchistes et antifascistes « non autoritaires » en Ukraine. Ces organisations doivent être considérées comme des ennemis de notre classe, car elles travaillent activement à ce que les prolétaires russes et ukrainiens s’entretuent au lieu de s’unir et d’affronter leurs véritables oppresseurs.

Solidarité avec l’impérialisme le moins fort

Il y a aussi ceux qui justifient leurs positions défensistes pro-ukrainiennes en arguant que cette guerre n’est impérialiste que d’un côté. Il s’agirait d’un pays impérialiste, la Russie, qui soumettrait un pays plus petit, l’Ukraine, qui tente simplement de se défendre. Par exemple, le groupe Militant Anarchiste déclare :

« Tous les États sont des camps de concentration. Cependant, ce qui est en train de se passer en Ukraine dépasse largement cette formule, et le principe selon lequel tout anarchiste devrait lutter pour la défaite de son pays. Car il ne s’agit pas simplement d’une guerre entre puissances relativement égales, portant sur la redistribution des zones d’influence du capital (…). Ce qui se passe actuellement en Ukraine est un acte d’agression impérialiste. »

Comme il ne s’agit pas d’une guerre entre puissances égales, Militant Anarchiste, comme le groupe Avtonom ou l’article cité d’Insurgent Notes, ont conclu que la meilleure chose à faire était de faire preuve de solidarité avec la puissance la plus faible et la défense de son territoire contre l’invasion russe ; de faire preuve de solidarité – diront-ils – avec le peuple ukrainien, avec les gens qui défendent leur terre et leurs maisons. Mais quel genre de solidarité est-ce donc que d’envoyer le prolétariat mourir et tuer d’autres prolétaires pour des intérêts bourgeois nationaux, même s’il s’agit d’une nation faible ? Solidarité pour défendre un État qui interdit aux hommes de fuir le pays pour se mettre à l’abri, les forçant à se battre et à mourir pour la patrie ? Avec qui sont-ils réellement solidaires ? Certainement pas avec le prolétariat.

Pour nous, la solidarité c’est la camaraderie entre les prolétaires russes et ukrainiens contre la guerre impérialiste, contre leurs bourgeoisies respectives. Les manifestations de masse en Russie, avec des milliers d’arrestations, la désobéissance, la désertion et la fuite face à la mobilisation forcée dans les deux pays, ou le sabotage des chemins de fer en Biélorussie, etc. sont des signes de solidarité internationaliste et d’instinct prolétarien. Nous soutenons ceux qui s’opposent à leurs classes dirigeantes, boycottent leurs plans et refusent de tuer ou d’être tués au nom de la nation. Cela implique une critique de toutes les bourgeoisies nationales et donc aucune solidarité avec l’une d’entre elles au nom d’un moindre mal.

Il ne s’agit pas de critiquer de manière moralisatrice les actions du gouvernement russe ou ukrainien ou des gouvernements américain et européen, mais de comprendre la tendance impérialiste intrinsèque de chaque État, y compris des États plus petits ou subalternes comme l’Ukraine. L’impérialisme est l’expression politique et internationale de l’accumulation du capital, de la concurrence capitaliste mondiale. Chaque État a un capital et un territoire à défendre, une bourgeoisie en lutte avec d’autres bourgeoisies pour s’approprier sa part de plus-value et pour avoir accès à des ressources naturelles et une certaine force de travail. À certaines occasions, la concurrence capitaliste pousse les États à faire la guerre, tant dans le cas des grands États ou des États dominants que dans le cas des petits États ou des États subalternes. Les États dominants et subalternes sont tous deux impérialistes et mènent leurs guerres contre d’autres États, sacrifiant la vie de leur prolétariat pour protéger les intérêts de leurs bourgeoisies.

En effet, il ne s’agit pas d’une guerre entre puissances égales, mais cela ne signifie pas qu’il ne s’agit pas d’une guerre impérialiste et ne doit pas nous faire douter de la pertinence du défaitisme révolutionnaire. D’autre part, nous ne devons pas oublier que la guerre actuelle ne concerne pas seulement la Russie et l’Ukraine, mais que l’ensemble du bloc impérialiste occidental est également impliqué dans la défense de l’État ukrainien. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas choisir un impérialisme du fait qu’il est mineur ou défendre un État du fait que c’est l’État envahi. Il ne s’agit pas non plus de se demander dans quelles circonstances un État a le droit d’utiliser des moyens belliqueux – face à une agression sur son territoire, par exemple – et dans quelles circonstances il ne l’a pas, quelles mesures sont légales et lesquelles ne le sont pas, et sur la base de tout cela de choisir le camp supposé le plus « juste ». Laissons cela aux délibérations des théoriciens bourgeois, car cela ne nous sert pas à grand-chose. Comme nous l’avons soutenu dans Pourquoi le défaitisme révolutionnaire, le prolétariat ukrainien « ne défend pas son existence dans la guerre impérialiste, mais devient la chair à canon d’intérêts qui ne sont pas les siens : ce sont ceux de la bourgeoisie ukrainienne et ceux du bloc impérialiste occidental qui est derrière elle ». Nous savons que tout État agira toujours à l’encontre du prolétariat et que le seul camp révolutionnaire c’est celui du prolétariat en lutte contre son propre État et sa propre bourgeoisie. C’est pourquoi, dans toute guerre impérialiste, la seule position révolutionnaire c’est le défaitisme révolutionnaire : transformer la guerre impérialiste en guerre de classe.

Tactiques contre principes : défendre la démocratie ukrainienne contre la Russie autoritaire

Comme pendant la Seconde Guerre mondiale, la question du moindre mal incarnée par le discours antifasciste est le carburant de la gauche pour défendre la boucherie impérialiste en faveur de l’un des deux camps. Dans ce cas, le slogan du stalinisme espagnol de 1936 « d’abord gagner la guerre et ensuite faire la révolution » réapparaît et avec lui l’alliance avec la bourgeoisie la plus progressiste. Il faudrait donc lutter contre Poutine, puisque la Russie est un régime autoritaire ou directement fasciste, et donc la victoire de Poutine aboutirait à une situation bien pire que la situation actuelle et la capacité d’action des révolutionnaires serait bien moindre. C’est ce qu’explique John Garvey dans la revue américaine Insurgent Notes :

« D’autre part, il est essentiel d’argumenter avec ceux qui pensent que chacun des Etats en guerre est aussi mauvais que l’autre et que tout nationalisme est toxique. Il faut en finir avec les faux équivalents : une république bourgeoise, dénaturée par une corruption excessive, n’est pas la même chose qu’une autocratie quasi-fasciste. Dans l’une, la politique est possible ; dans l’autre, il n’y a que consommation et collaboration abrutissantes. »

Les mêmes arguments que l’antifascisme a toujours utilisés, il y a toujours un moindre mal, une bourgeoisie à défendre au nom d’un prétendu avenir qui ne vient jamais et ne viendra jamais parce que la rupture avec les principes révolutionnaires ne créera jamais de meilleures conditions pour que le prolétariat puisse s’organiser. La seule possibilité c’est la défense du défaitisme révolutionnaire contre toutes les bourgeoisies. Nous, révolutionnaires, refusons de défendre la politique du possible parce qu’elle se trouve toujours sous les cadavres de nos frères prolétaires. Oui, tout nationalisme est un poison. Oui, toute défense de la bourgeoisie nationale implique la négation de l’indépendance de classe. Et quand on nie l’internationalisme prolétarien et l’autonomie de classe, on rompt avec toute perspective révolutionnaire réelle.

C’est pourquoi, lorsque nous parlons de défaitisme révolutionnaire, nous ne faisons pas référence à une position à adopter à un moment donné, mais qui peut varier en fonction de la situation de la lutte des classes. Il ne s’agit pas d’une question tactique mais de la seule arme dont nous disposons en tant que classe pour affronter les conflits impérialistes en tant que révolutionnaires, toute autre alternative conduisant toujours à la collaboration avec la bourgeoisie nationale dans la défense de ses intérêts. En ce sens, rien de mieux que de laisser parler ceux qui renoncent à la politique de classe pour défendre un camp impérialiste. En particulier, un volontaire russe des Forces internationales antiautoritaires en Ukraine qui s’exprime ainsi sur le défaitisme :

« Le défaitisme révolutionnaire, la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie sont pour moi des mythes étrangers assez insultants pour ceux qui savent ce que le monde russe apporte. La société est presque unie dans sa perception de l’invasion comme une tentative d’oppression du peuple. »

Voici très explicitement ce que nous voulons dire lorsque nous parlons d’abandonner les intérêts du prolétariat. Il n’y a plus d’antagonisme de classe, tous unis dans l’union sacrée sous le drapeau national, malgré le fait que pendant l’interview elle-même, on parle des problèmes des volontaires russes avec les autorités ukrainiennes parce qu’ils sont russes. Et c’est normal, dans leur Arcadie nationale il n’y a pas d’internationalisme et l’antagonisme est national et non de classe. Mieux vaut la bourgeoisie nationale que le prolétariat étranger. Défendre l’interclassisme et la disparition de toute velléité d’indépendance de classe pour empêcher la victoire russe n’aidera pas à prolonger la lutte quand la guerre sera finie, ni les révolutionnaires à être en meilleure position au sein du prolétariat, tout simplement parce que nous ne serons plus des révolutionnaires.

Ni Poutine, ni l’OTAN, mais…

Sous ce slogan, qui dénonce en apparence le caractère impérialiste de la guerre des blocs, se cache un soutien au camp opposé aux États-Unis, qui devient l’incarnation du capitalisme. C’est la même politique du moindre mal dans laquelle le pire mal serait l’OTAN en tant que bras armé de l’impérialisme américain. Dans ce cas, au lieu de braquer les projecteurs sur « le peuple » ukrainien ou directement sur le régime autoritaire de Poutine, nous devrions parler de l’expansion impérialiste de l’OTAN à l’Est.

Dans cette perspective, l’impérialisme est fracturé en plaçant les Etats-Unis, et donc l’OTAN, au sommet, suivis par d’autres puissances impérialistes, mais de moindre importance. Ainsi, l’OTAN et ses intérêts sont la cause de la guerre et la réponse de la Russie sa conséquence. Dans ce sens, l’analyse de la guerre lors du dernier congrès de la section espagnole du Courant Marxiste International nous semble très pertinente :

« Ce n’est pas une guerre de la Russie contre l’Ukraine, c’est une guerre de la Russie contre l’OTAN et l’OTAN c’est l’impérialisme américain. […] Il s’agit d’une guerre inter-impérialiste, mais nous devons faire attention que les deux puissances impérialistes impliquées dans cette guerre ne sont pas exactement identiques. Les États-Unis sont la puissance impérialiste la plus puissante et la plus réactionnaire du monde. La Russie est une puissance impérialiste qui a des ambitions impérialistes, mais à un niveau régional. »

Un mouvement similaire c’est celui qui, à partir des publications du Mouvement Socialiste en Euskadi, défend les républiques populaires du Donbass comme une troisième position différenciée du soutien à la Russie et à l’Ukraine (ce qui est évidemment impossible, les républiques du Donbass ayant toujours été un appendice de l’impérialisme russe). Selon cette position, les républiques du Donbass à l’est de l’Ukraine et à la frontière avec la Russie défendraient leur droit à l’autodétermination face à l’influence croissante de l’Occident et au poids du fascisme dans l’Euromaïdan. Par conséquent, les révolutionnaires devraient non seulement soutenir leur lutte pour l’indépendance, mais aussi se solidariser avec leur résistance antifasciste :

« Face à cet ethnocide dirigé depuis l’occident, différents groupes attaqués se sont rassemblés pour se défendre : les antifascistes, ceux qui avaient de bons souvenirs de l’URSS, ceux qui se sentaient appartenir à la Russie… mais aussi ceux qui étaient persécutés pour le simple fait de parler russe ou qui ne trouvaient pas juste de subir la pauvreté parce qu’ils vivent à l’Est. Ainsi, comme dans la plupart des pays de l’Est, cette question des classes et des intérêts multiples a été réduite à la simple lutte entre « pro-russes » et « pro-européens ». »

Mais cette position rompt frontalement avec les deux principes de base des révolutionnaires : l’indépendance de classe et l’internationalisme. La défense du droit à l’autodétermination entraîne inévitablement une position interclassiste où l’indépendance de classe est subordonnée aux intérêts nationaux, c’est-à-dire à sa bourgeoisie nationale. Ainsi, le prolétariat, au lieu de lutter contre son exploitation, devrait lutter pour un nouvel État qui administrerait cette exploitation. D’autre part, tout processus de création d’un nouvel État impliquera inévitablement un rapprochement avec l’une des puissances impérialistes afin d’obtenir une protection économique et militaire, comme nous le voyons clairement dans la guerre. Dans ce cas, les républiques du Donbass doivent choisir le camp impérialiste de la Russie dans le conflit et ceux qui les défendent devront soutenir l’un des camps impérialistes dans la guerre. Il n’y a pas de troisième voie :

« Et quelle est la réaction de la « gauche » occidentale face à tout cela ? Dans l’État espagnol, comme dans beaucoup d’autres endroits, la position antirusse a été la priorité, plutôt que de dénoncer le fascisme qui sévit à Kiev et les bombardements dans l’Est. Les mêmes personnes qui, lors des élections, s’élèvent bruyamment contre le fascisme en opposition à leurs rivaux, ont fait le jeu de l’OTAN en défendant contre la « méchante » Russie un gouvernement qui est arrivé au pouvoir au cœur de l’Europe avec le soutien explicite des nazis. Pendant ce temps, les milices des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk sont confrontées à une armée professionnelle qui a demandé à adhérer à l’OTAN. Dans une guerre qu’il leur est impossible de gagner d’emblée, faute de moyens, elles n’ont d’autre choix que de résister à la frontière avec les moyens dont elles disposent, faisant de la mort et de la pauvreté leur quotidien. »

La seule possibilité face à la mort et à la pauvreté n’est pas le droit à l’autodétermination, mais le défaitisme révolutionnaire. Le prolétariat ne peut lutter contre son exploitation que s’il maintient une position d’indépendance de classe vis-à-vis de tout camp impérialiste et de tout projet national.

Comme le disent les camarades de Matériaux Critiques, l’anti-impérialisme est le sous-produit le plus nocif de l’impérialisme et sous l’égide de l’anti-impérialisme tout se tient car il ne fait que donner un vernis rouge à la position favorable à un camp impérialiste. Ainsi, en fin de compte, cela revient au même de dire que la Russie n’est pas impérialiste ou qu’elle ne fait que défendre le droit à l’autodétermination des républiques du Donbass et de braquer les projecteurs sur l’OTAN en tant que plus grande puissance impérialiste, puisque la conséquence dans la pratique est la même, soit plus directement, soit par le biais d’une analyse géopolitique astucieuse. En tant que révolutionnaires, nous ne pouvons qu’opter pour le défaitisme révolutionnaire.

Le défaitisme révolutionnaire : la seule alternative

Nous avons déjà vu les différentes formes d’expression du défensisme et les tentatives de justifier le soutien à l’un des camps en présence sous un soi-disant prétexte révolutionnaire. Nous avons également vu que, sous couvert de dénoncer le conflit inter-impérialiste, l’OTAN est placée par rapport à la Russie ou la Russie par rapport à l’Ukraine comme un impérialisme majeur, brouillant ainsi la frontière de classe qui doit être, à tout moment, infranchissable.

Lorsque nous parlons de défaitisme révolutionnaire, nous entendons la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile de classe. On pourrait dire qu’il s’agit d’une phrase vide, d’un simple slogan sans contenu politique réel, et même d’une consigne juste, mais seulement dans les moments de forte lutte de classe. Mais la réalité nous montre le contraire, l’actualité du défaitisme révolutionnaire est plus grande que jamais parce qu’il est la manifestation des deux fondements de toute politique révolutionnaire : l’indépendance de classe et l’internationalisme. Le contraire de cela a toujours le même caractère que ce que Lénine dénonçait en 1915 :

« L’unité avec les opportunistes, n’étant rien d’autre que la scission du prolétariat révolutionnaire de tous les pays, marque en fait aujourd’hui la subordination de la classe ouvrière à « sa » bourgeoisie nationale, l’alliance avec celle-ci en vue d’opprimer d’autres nations et de lutter pour les privilèges impérialistes. »

Il est important de souligner la centralité de cette position programmatique car, comme nous l’avons expliqué dans l’article, bien que sous des formes différentes, la capitulation implique toujours la subordination du prolétariat à sa bourgeoisie nationale et la suspension fallacieuse de la lutte des classes pour les intérêts de la nation. Le prolétariat cesse d’être une classe mondiale ayant les mêmes intérêts déterminés par sa position sociale et est divisé en nations aux intérêts contradictoires, puisque ses intérêts sont ceux du capital national en concurrence sur le marché mondial. Lorsque nous disons qu’une fois que les révolutionnaires se positionnent dans un camp impérialiste, il n’y a pas de retour en arrière possible – ils font partie du camp bourgeois – c’est ce que nous voulons dire. C’est pourquoi le défaitisme révolutionnaire n’est pas simplement une question tactique qui a son utilité dans les moments où la classe joue un rôle révolutionnaire, mais une question de principe qui sépare le camp révolutionnaire du camp bourgeois. En effet, les communistes n’agissent pas sur la base du moment présent et de notre capacité à agir dans l’immédiat, mais notre tâche consiste à tenir la ligne de l’avenir dans le présent. Ainsi, maintenir et défendre l’importance des positions sert à permettre à la classe de se les approprier dans le futur.

Traduction française : Les Amis de la Guerre de Classe

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